« Pour la plupart, ni les Israéliens ni les Palestiniens ne voulaient de ...
Il est de retour sur scène. Après avoir fait vibrer plus d’1 million de fans lors de sa dernière tournée, Patrick Bruel revient avec une création exceptionnelle autour de son nouvel album, » Encore une fois « , composé de chansons plus personnelles, comme un passeport pour mieux se connaître. Il nous attend au bar de l’hôtel Kimpton. Parce qu’il n’est jamais en retard. Une prouesse au volant à Paris. Malgré ses quarante ans de carrière, Patrick Bruel ne croit pas être sorti de la cuisse de Jupiter. Il est généreux dans ses paroles, soucieux de bien faire. Au cours de ce dialogue de près de deux heures, il était inévitable de parler du 7 octobre avec l’artiste, juif séfarade né en 1959 à Tlemcen en Algérie, mais aussi citoyen effrayé.
Ensemble pour Jane : les coulisses d’un hommage
LA TRIBUNE DIMANCHE – M’en voulez-vous si je commence notre tête-à-tête en parlant du 7 octobre ?
PATRICK BRUEL- Pourquoi devrais-je te blâmer ? Il y a eu assez de silence, tu ne trouves pas ? C’était même assourdissant… Or, il est très difficile d’aborder ce sujet, car nous sommes confrontés à beaucoup d’incompréhension, de parti pris et d’ignorance. Mais, au-delà du conflit et de l’aspect géopolitique, ne pas réagir ou ne pas vouloir nommer cette ignominie, ce pogrom provoqué par un groupe terroriste, me laisse sans voix.
Comprenez-vous ceux qui ne se sont pas exprimés ?
Je ne porterai pas de jugement. Ni dans un sens ni dans l’autre. Je peux comprendre que les gens aient eu peur. Chacun vit avec ses sentiments mais forcément avec sa conscience. Ce n’est pas dans ma nature de garder le silence.
Vous vous sentez moins en sécurité ?
Après le 7 octobre, j’ai dit ce que j’avais à dire avec mes mots et avec le plus de fierté possible. De nombreuses personnes alimentent le feu dans un but très précis. J’ai toujours eu un discours qui tendait vers l’apaisement pour tenter d’éviter les escalades et les risques de confusion. Mais sans ironie. Il faut nommer les choses. Cela dit, si votre question est si je me sens menacé en tant que juif, la réponse est oui. Mais surtout en tant que citoyen. L’histoire l’a prouvé. Chaque fois que les Juifs étaient touchés, la République et la démocratie tout entière en subissaient les conséquences.
Comprenez-vous les pro-palestiniens et les pro-israéliens ?
J’ai toujours prôné la création de deux États. Mais pour créer deux États, il faut deux personnes pour le vouloir, et les derniers commentaires des dirigeants du Hamas sont clairs : ils ne veulent pas entendre parler de deux États. Le Hamas et le peuple palestinien n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Le Hamas comme le Hezbollah sont à la solde d’une autre puissance qui ne pense qu’à rayer Israël de la carte. Vous comprendrez que cela pourrait poser problème. La question des colonies devra évidemment être résolue, mais la grande majorité d’entre elles, ni les Israéliens ni les Palestiniens, ne voulaient de cette guerre.
Le projet de loi visant à inscrire l’avortement dans la Constitution sera bientôt présenté au Sénat… Etes-vous pour ?
Cela ne devrait pas être un sujet et je ne comprends pas l’argument. Celle d’affirmer que l’avortement n’étant pas en danger, il est inutile de l’inscrire dans la Constitution. Mais ce qui n’est pas gravé peut être menacé, alors pourquoi ne pas l’inscrire ? Pouvait-on s’attendre à une telle régression sur ce sujet aux Etats-Unis ? Comme pour le mariage pour tous. Pourquoi la France a-t-elle si mal réagi, contrairement à tant d’autres pays dans le monde ?
Vous avez 64 ans et avez plus de trente-cinq ans de carrière… Vous avez l’impression d’avoir raté un épisode de votre vie ?
Nous ne pouvons pas tout avoir, tout faire ; il serait indécent de regretter ce qu’on m’a proposé. Maintenant, aurais-je été un grand avocat ou un grand médecin ? Aurais-je été un grand footballeur ? C’est la seule chose que ma famille m’a empêché de faire. A 14 ans, je jouais au PUC (Paris Université Club) et les dirigeants de l’INF Vichy, le centre de formation qui est aujourd’hui Clairefontaine, m’ont proposé l’aventure professionnelle ! Mais super conseils familiaux, à mon grand regret. Adieu les champs verts.
Je me sens un peu amer…
Non… pas du tout… (Rires.) Maintenant, quand vous avez un ami, Luis Fernandez, contre qui vous avez joué, qui marque un penalty en quart de finale de la Coupe du Monde 1986… Aujourd’hui – là, j’ai dit à ma mère : « Vous avez ruiné ma carrière. » (Rires.) Mais comme c’était le 21 juin, fête de la musique, je pense que c’était un signe.
Je suis un grand inquiet. A l’aube d’une tournée, j’ai toujours peur de ne pas être à la hauteur
Tu dis ta chanson Je prétends est très autobiographique. Qu’est-ce que tu fais semblant de faire ?
C’est la subtilité de la chanson. Faire semblant de croire que je mérite tout ça, toute cette vie… Amanda (Sthers, la mère de ses enfants) a réussi à voir au-delà et à deviner que, derrière une apparente confiance, il y avait pas mal de défauts.
Comme la plupart des artistes…
Oui, je suis une personne très anxieuse qui se remet constamment en question. Je ne prends jamais rien pour acquis. Je suis à l’aube d’une grande tournée et j’ai toujours peur de ne pas être à la hauteur du défi.
Il y a un an, vous êtes retourné pour la première fois avec votre mère dans votre terre natale, Tlemcen, en Algérie. Pourquoi as-tu attendu si longtemps ?
Je ne sais pas. C’est sans doute un acte raté, car j’ai pourtant été élevé dans l’amour de ce pays. Ce voyage a été très important pour moi et bien évidemment pour ma mère. Je suis tellement heureuse de lui avoir fait vivre ça et de l’avoir vécu avec elle.
Votre mère était enseignante. Quel regard porte-t-elle sur l’Éducation nationale ?
Elle a suivi avec beaucoup d’intérêt et d’admiration, comme moi, les débuts de Gabriel Attal à l’Éducation nationale. Elle espère qu’il amènera l’école à Matignon, comme il l’a dit. Elle a été très touchée par ma chanson L’Institut, car il rendait hommage non seulement à elle mais surtout à l’ensemble du corps enseignant. Elle et moi savons que l’école est le fondement de la démocratie.
Après avoir évoqué tous ces sujets un peu « assourdissants », restez-vous optimiste ?
J’ai deux enfants âgés de 18 et 20 ans qui me donnent la conviction que cette nouvelle génération va changer le monde.
Comment se passe le dimanche de Patrick Bruel ?
Pour le moment, pas de dimanche. Dernières répétitions avant le premier concert le 27 février à Narbonne. Vous avez dit trac ? Évidemment. (Des rires.)
SA PRÉFÉRÉ
Lorsqu’il a retrouvé ses enfants à Los Angeles, il les a emmenés au Giorgio Baldi à Santa Monica. A Paris, il adore faire la fête au Bœuf sur le Toit avec ses amis de tous horizons. Il a dévoré le livre de Raphaël Enthoven L’esprit artificiel en écoutant le dernier album de la chanteuse Emma Peters.