Appel de Villers-Cotterêts Pour un espace numérique intègre et de ...
Un Internet libre, ouvert et sûr constitue un outil indispensable pour favoriser les échanges, l’inclusion et le développement. Les plateformes numériques occupant une place substantielle sur la toile, leur responsabilité sociétale ne saurait être négligée.
La Francophonie est une communauté de langue et de valeurs, celle de femmes et d’hommes qui ont le français en partage, celle aussi de 88 Etats et gouvernements membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) qui promeuvent les mêmes valeurs : la démocratie, les droits de l’Homme et les libertés fondamentales, ainsi que l’engagement constant en faveur de la diversité culturelle et linguistique.
Source de progrès et d’opportunités, la transformation numérique soulève également des défis pour les Etats et gouvernements membres de la Francophonie. Ces défis sont multiples : lutte contre les fractures numériques et pour l’inclusion, protection des droits fondamentaux, promotion du pluralisme des courants de pensée et d’opinion, maintien de l’intégrité des processus électoraux ou encore promotion et protection du droit à bénéficier d’une information fiable et de qualité, comme de celui d’être protégé des contenus trompeurs, malveillants ou haineux et des discriminations sous toutes leurs formes.
Le présent Appel entend contribuer à la résolution de ces défis en invitant les plateformes numériques à renforcer leurs engagements en faveur d’un espace numérique plus sûr et intègre.
A cet effet, Nous, Chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage, réunis les 4 et 5 octobre 2024 à l’occasion du XIXe Sommet de la Francophonie en République française,
Entendant œuvrer au développement, au sein de la Francophonie et au-delà, d’un espace numérique inclusif, respectueux de la démocratie et des droits de l’Homme, favorisant la diversité culturelle et linguistique, conformément à nos engagements pris dans les Déclarations de Bamako (2000) et de Saint-Boniface (2006), de la Stratégie de la Francophonie numérique (2022-2026), de la Déclaration sur la langue française dans la diversité linguistique de la Francophonie (2022) et de la Déclaration du XVIIIe Sommet de la Francophonie de Djerba (2022) ;
Nous appuyant sur les lignes directrices applicables à la coopération numérique et à la gouvernance de l’Intelligence artificielle (IA) qu’apportent le droit international, y compris la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l’Homme et l’Agenda 2030 pour un Développement durable, mais aussi les instruments spécifiques que constituent les acquis du Sommet mondial sur la Société de l’Information (SMSI) repris notamment dans la Déclaration de Principes et le Plan d’Action de Genève ainsi que dans l’Agenda de Tunis pour la Société de l’information, la Déclaration de l’UNESCO sur la Protection et la Promotion de la Diversité des Expressions culturelles, la Déclaration NETmundial+10, les Principes de l’UNESCO pour la Gouvernance des plateformes numériques et le Pacte numérique mondial ;
Continuons d’accorder une attention particulière aux besoins spécifiques de toutes les populations de l’espace francophone dans leur diversité.
Appelons les plateformes numériques à amplifier leurs efforts et leurs engagements en faveur d’un espace numérique inclusif, pluraliste, de qualité et de confiance, notamment à travers la mise en œuvre des actions et mesures suivantes :
Assurer une plus grande transparence, diversité et proximité
1. Garantir l’accès en langue française et dans le plus grand nombre possible de langues locales nationales et officielles des États et gouvernements membres de la Francophonie, dans un langage clair et compréhensible, aux conditions générales d’utilisation de leurs services, ainsi que leurs politiques et moyens de modération des contenus ;
2. Mettre en œuvre des mécanismes simples d’usage et aisément accessibles à tous, en français et dans le plus grand nombre possible de langues locales des États et gouvernements membres de la Francophonie pour signaler la présence de contenus qui seraient considérés comme illégaux ou contraires à leurs conditions d’utilisation ;
3. Rendre compte aux parties prenantes concernées, notamment les utilisateurs, les autorités publiques et les régulateurs, de la mise en œuvre de leurs conditions d’utilisation et de leurs politiques relatives aux contenus ;
4. Faciliter l’accès des chercheurs et universitaires francophones aux données et aux interfaces d’applications, dans des conditions protégeant de manière appropriée les droits et les intérêts légitimes, notamment le respect et la protection des données à caractère personnel des utilisateurs et la confidentialité des processus algorithmiques protégés par le secret des affaires ;
5. Assurer une protection des données personnelles selon des procédures transparentes, accessibles et compréhensibles par tous, en français et dans les langues des Etats et gouvernements dans lesquelles elles offrent un service, et s’assurer d’avoir les capacités humaines suffisantes pour accomplir ce rôle.
Assumer plus avant leurs responsabilités en matière de modération des contenus
6. Désigner des points de contact uniques régionaux et sous-régionaux avec des capacités suffisantes pour assurer une communication directe avec les autorités publiques de chaque Etat et gouvernement membres de la Francophonie, et un traitement efficace des demandes des utilisateurs, en langue française et dans les langues locales ;
7. Approfondir le renforcement des liens avec les autorités de régulation compétentes, sur le modèle des engagements pris avec le Réseau francophone des régulateurs des médias (REFRAM) lors de la conférence d’Abidjan des 23 et 24 avril 2024 ;
8. Mettre en place des politiques et moyens de modération des contenus en ligne, dimensionnés à la hauteur des besoins, et aptes à prendre en compte la diversité des cultures et des langues nationales et régionales, que ces moyens soient automatisés ou qu’ils relèvent de la supervision humaine ;
9. Reconnaitre le rôle éminent des associations, collectifs, organisations non gouvernementales, et plus généralement des organismes reconnus dans les sociétés civiles francophones en tant que signaleurs de confiance, en capacité de produire des requêtes fondées et argumentées pour en faciliter le traitement prioritaire par les plateformes numériques.
Contribuer à mieux protéger les sociétés et les espaces informationnels francophones des risques liés à l’utilisation de leurs services
En toutes circonstances : 10. Evaluer, dans des rapports publics, les risques de diffusion, à grande échelle dans les Etats et gouvernements membres de la Francophonie, de contenus susceptibles de véhiculer des discours de haine ou de conduire à des violences en raison de tout motif de discrimination ; proposer, en lien avec les acteurs concernés, des mesures préventives visant à les réduire ;
11. Renforcer les cadres juridiques et normatifs organisant la protection des droits de l’enfant dans l’espace numérique, conformément au droit international des droits de l’homme et notamment à la Convention relative aux droits de l’enfant.
12. Mettre en place des mesures propres à assurer un haut niveau de confidentialité, de sûreté et de sécurité aux mineurs qui utilisent leurs services ;
13. Collaborer, dans des conditions conformes à l’Appel de Christchurch de 2019, à la suppression rapide et efficace des contenus illégaux terroristes et extrémistes violents en ligne ;
14. Assurer une diligence particulière pour la prévention des risques liés aux manipulations de l’information et aux ingérences étrangères ; soutenir dans ce sens le développement des initiatives de vérification indépendantes des faits, en appuyant notamment les actions de l’OIF dans le domaine, telle que la plateforme ODIL ;
15. Veiller à l’utilisation de systèmes de recommandations assurant une diversité de sources d’information ainsi que la libre expression d’un pluralisme de courants de pensée et d’opinion, notamment en identifiant et promouvant les contenus d’une information labellisée par des professionnels indépendants, à l’image de l’Initiative pour la confiance dans le journalisme (Journalism Trust Initiative) ; ceci dans le respect des législations nationales ;
16. Contribuer au développement d’une intelligence artificielle éthique et responsable, respectueuse des droits de l’Homme, de la démocratie et de la paix, ainsi que des objectifs du développement durable ;
En période électorale 17. Contribuer, dans le strict respect de la souveraineté des États et gouvernements et conformément à leurs législations, au renforcement des institutions démocratiques en préservant l’intégrité des processus électoraux, notamment en établissant des protocoles publics d’évaluation et de réduction des risques portant spécifiquement sur l’intégrité des élections ou des référendums dans les États et gouvernements membres de la Francophonie, avant, pendant, et après chacune des échéances ;
18. Identifier de manière transparente les publicités politiques, en particulier lors des cycles électoraux ; assurer le suivi de la monétisation des publications par les partis politiques et les personnes qui les représentent et conserver ces publicités et toutes les informations pertinentes permettant leur analyse dans une bibliothèque au contenu exhaustif, accessible en ligne au public et mise à jour régulièrement ;
En période de crise : 19. Analyser, dans les situations d’urgence ou de crise, telles que des conflits armés, des crises environnementales ou de santé publique, l’impact des opérations, produits, services et systèmes publicitaires des entreprises sur les droits fondamentaux et sur la dynamique desdites situations.
Contribuer à la diversité culturelle et linguistique et à la juste rémunération de la création 20. Promouvoir activement et de manière tangible la diversité culturelle et linguistique dans la création, la production, la distribution, la diffusion, l’accès et la jouissance des biens et services culturels en ligne, y compris dans le développement de l’intelligence artificielle ;
21. Contribuer au développement d’une intelligence artificielle favorisant la diversité culturelle et linguistique pour faire face au risque d’homogénéisation et d’appauvrissement de la culture et des contenus ;
22. Contribuer à promouvoir en la matière l’emploi d’une diversité de langues, notamment afin d’intégrer cette pluralité/diversité culturelle et linguistique lors de l’entrainement des modèles d’intelligence artificielle générative ;
23. Contribuer à la découvrabilité des contenus culturels et scientifiques francophones et en langues nationales et locales parlées au sein de l’espace francophone ainsi qu’à la mise à disposition et à la promotion des contenus numériques représentatifs de la diversité culturelle et linguistique de la Francophonie, notamment (i) en faisant état des données collectées pour entraîner les modèles sans préjudice des règles applicables en matière de propriété intellectuelle et (ii) en favorisant l’explicabilité algorithmique dans l’intérêt des utilisateurs ;
24. Assurer une protection efficace des œuvres protégées par le droit d’auteur et les droits voisins sans priver les utilisateurs du bénéfice effectif des exceptions au droit d’auteur ou aux droits voisins ;
25. Garantir une rémunération juste et équitable des créateurs des Etats et gouvernements de l’espace francophone et des titulaires de droits lorsque ceux-ci ont consenti, à travers la conclusion de licences, à l’utilisation de leurs œuvres sur les plateformes numériques.
Contribuer à l’inclusion numérique et à la formation des usagers pour l’avènement de citoyens numériques francophones 26. Contribuer activement au renforcement de la littératie numérique et de la formation aux métiers du numérique des populations des Etats et gouvernements membres de la Francophonie, en particulier des jeunes et des femmes, en soutenant et en collaborant avec le projet « D-Clic, Formez-vous au numérique » et, ainsi, améliorer la culture numérique de tous les utilisateurs francophones, sur les produits, services, processus et les risques induits par les plateformes elles-mêmes dans leur conception, leur fonctionnement comme dans leurs usages ;
27. Contribuer à la mise en œuvre de programmes d’éducation aux médias et à l’information destinés à autonomiser les usagers et développer leur esprit critique face aux informations avec lesquelles ils interagissent en ligne, en français et dans les langues locales des Etats et gouvernements membres de la Francophonie, en soutenant notamment les actions de l’OIF dans le domaine telle que la plateforme ODIL, et en collaborant avec les autorités publiques compétentes, les universités, les organisations de la société civile qui travaillent avec des groupes en situation de vulnérabilité, les chercheurs, les bibliothécaires, les enseignants, les éducateurs spécialisés, les professionnels de l’information et des médias, les journalistes, les artistes et les professionnels de la culture ;
28. Contribuer aux coopérations entre les Etats et gouvernements membres de la Francophonie en matière d’éducation aux médias, à l’information et à la citoyenneté numérique favorisant l’échange d’expériences, de bonnes pratiques et de ressources.
Demeurons mobilisés pour contribuer aux objectifs poursuivis par le présent appel et pour soutenir les actions permettant de les atteindre ;
Demandons en ce sens à l'OIF d'assurer un suivi régulier du présent Appel en lien avec les acteurs pertinents dans le cadre de la Stratégie numérique de la Francophonie et des actions déjà entreprises dans ce contexte ;
Appelons les plateformes numériques à se saisir du présent Appel et à contribuer à l’atteinte des objectifs qu’il poursuit, en coopérant avec les acteurs concernés.