Thomas Bangalter fait danser les “Mythologies” d'Angelin Preljocag ...
Pour sa première composition pour orchestre, l’ex-moitié de Daft Punk accompagne le spectacle du chorégraphe français sous l’égide de Prokofiev et Stravinsky. Bluffant.
D’un mythe à l’autre. Du duo iconique Daft Punk, officiellement séparé depuis le 22 février 2021, au livre cultisssime de Roland Barthes (Mythologies, Seuil, 1957), où ce dernier décrypte l’importance symbolique des détergents, du bifteck-frites ou du catch – que l’on retrouve dans l’une des créations chorégraphiques les plus excitantes de 2022, signée Angelin Preljocaj, pour qui la danse, selon ses propres termes, est “un art de combat”.
L’ayant découverte enfant grâce à une photo de Rudolf Noureev, puis lors de sa formation par Merce Cunningham, le chorégraphe français a conscience du poids des idoles. Fasciné par les divers chocs vécus par les civilisations, il les convoque à tour de rôle dans ses Mythologies. Les dieux et déesses grec·ques, d’Aphrodite à Zeus, les légendes se déroulant tout autour d’eux et elles : Persée, Danaé, Ariane et un Minotaure témoignant d’une scénographie aussi labyrinthique que captivante. Il nous donne à voir les Mayas et des Amazones, accompagné·es d’une bande-son conquérante de Thomas Bangalter.
Air, Laurent Garnier, Enki Bilal, Jean Paul Gaultier : Preljocaj n’en est pas à sa première collaboration. Ce n’est pas non plus la première fois qu’il s’attaque à une œuvre impressionnante, voire intouchable : Les Quatre Saisons de Vivaldi, Jimi Hendrix et Deleuze (conjointement !), Le Lac des cygnes… En 2019, il propose à Thomas Bangalter une carte blanche pour la musique d’un ballet destiné à vingt artistes de sa compagnie et de l’Opéra national de Bordeaux.
Si la mélancolie ne cesse de pointer, nul besoin d’être initié·eÇa tombe à pic : si le Daft Punk encore casqué n’avait jamais composé pour un orchestre, il y songeait depuis longtemps. Sensibilisé aux subtilités chorégraphiques grâce à une mère danseuse, il s’affranchit largement des contraintes pop sur Mythologies. Et s’aventure dans une partition lyrique, émotionnelle, sous l’influence de Prokofiev et de Stravinsky, entre autres.
Sous la direction musicale de Romain Dumas de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine, les vingt-trois tableaux se succèdent sur scène comme ils s’enchaînent naturellement sur disque. En écho à l’agilité des danseur·ses, les morceaux sont portés par moult cordes, les violons survolant l’ensemble, flûtes, hautbois, trompettes, trombone ou cor.
Des corps gracieux, mais également soumis à rude épreuve jusqu’à chuter…
Si la mélancolie ne cesse de pointer, imprégnant plus largement Les Gémeaux (titre logiquement divisé en deux parties), Icare ou encore l’avant-dernier titre, la majestueuse Danse funèbre, nul besoin d’être initié·e à la sculpturale hybridité de Preljocaj pour être emporté·e par les roulements de tambours d’Icare ou le geste baroque des Gorgones.
Car cette proposition se prête aussi bien à la danse qu’à un cinéma qu’on imagine volontiers épique. Lorsque La Guerre clôt ce voyage entre antique et contemporain, on est bouleversé·e. Car si la musique dépeint des corps gracieux, ils sont également soumis à rude épreuve, jusqu’à chuter… pour mieux se relever et avancer à tâtons. Malgré l’adversité et l’obscurité du monde, auxquelles Thomas Bangalter oppose une sensible composition. Sophie Rosemont
Mythologies(Erato/Warner Classics). Sortie le 7 avril. Mythologies, chorégraphie Angelin Preljocaj, diffusion sur Culturebox, le 15 avril, et au Théâtre de la Criée, Marseille, du 8 au 11 juin.