“Hurry Up Tomorrow”, le geste ultime de The Weeknd ?
Forcément inégal par son format (22 morceaux, près d’une heure trente), “Hurry Up Tomorrow” a tout de même quelque chose de fascinant. À commencer par ces moments où le Canadien oublie les tubes et s’aventure vers des architectures sonores héritées de Justice, Giorgio Moroder ou Oneohtrix Point Never. Hasard ou non : ils sont tous présents sur l’album.
On n’avait plus trop de nouvelles de The Weeknd depuis The Idol (2023), cette série de Sam Levinson plombée par diverses polémiques. Minorisation des personnages féminins, départ de la réalisatrice Amy Seimetz, ambiance de tournage toxique… Tout cela a hélas contribué à masquer les qualités intrinsèques de ces cinq épisodes, parfois malaisants et inaboutis, quoique jamais dénués d’intérêt, que ce soit pour la performance de Lily-Rose Depp ou cette mise en scène stylisée des pires excès que l’époque a en réserve.
Depuis, le Canadien a semble-t-il partagé son temps entre sa tournée blockbuster (The After Hours Til Dawn Tour, étirée de juillet 2022 à octobre 2024) et l’enregistrement de Hurry Up Tomorrow, censé acter la fin d’une trilogie entamée avec After Hours et Dawn FM. Paraîtrait également que ce sixième album serait le dernier de son auteur sous l’entité The Weeknd…
Amant solitaire
Pour l’heure, Abel Tesfaye continue de regarder les années 1980 droit dans les yeux, avec toute la démesure qui le caractérise, tous synthés en avant, bien décidé à faire lustrer sa machinerie disco dans des mélodies pétaradantes, nettement moins économes que ne l’étaient celles de sa première Trilogy, publiée en 2012 et centrée autour d’un lover éminemment torturé, obsédé par le sexe et la violence… Déjà !
Tout, chez le Starboy, ne serait donc que drame psychologique, regrets et variations sur le thème du romantique mal dans sa peau – rappelons que les derniers mots de Dawn FM, si l’on met de côté l’outro narrée par Jim Carrey, étaient : “Je serai toujours moins que zéro / Tu as fait de ton mieux avec moi, je le sais”. Tout aussi intense, voire carrément dense (22 titres…), Hurry Up Tomorrow s’ouvre sur ce même sentiment de solitude, cette même propension à la désolation : “Tout ce que j’ai, c’est mon héritage / Je perds la mémoire / Pas de vie après la mort, pas d’autre côté / Je suis tout seul quand tout devient noir”.
Odyssée pop
Perpétuellement à la limite de basculer dans les grandes envolées opératiques (rappelons qu’un film lié à l’album est prévu le 16 mai prochain, aux côtés de Jenna Ortega et Barry Keoghan), rarement le cœur à la fête (Dancing in the Flames, lancé en éclaireur l’été dernier, ne figure pas au tracklisting), The Weeknd n’en a pas pour autant perdu le goût de la belle mélodie, soignée, spatiale, rendue plus subtile et exploratrice encore grâce à l’intervention de ses nombreux·ses invité·es de prestige : Justice, Lana Del Rey, Playboi Carti, Travis Scott, Florence and the Machine, Future ou même Giorgio Moroder le temps d’un Big Sleep d’une grande beauté, porté par des nappes puisées dans la bande originale de Scarface et chargé de parachever ce qui constitue probablement la meilleure partie de Hurry Up Tomorrow.
Débutée cinq morceaux plus haut avec Given Up On Me, complétée par les effets “funkadelesques” de I Can’t Wait To Get There et le hit Timeless, celle-ci prend fin avec le diptyque Niagara Falls / Take Me Back to LA, qui aurait pu être la conclusion parfaite à ce long format. Cette tâche, hélas, est confiée à la chanson titre, dont le seul intérêt est d’être basée sur une interpolation du In Heaven (Lady in the Radiator Song) de David Lynch. C’est évidemment too much, parfois monolithique, pompeux ou hyper storytellé, mais n’est-ce pas finalement là le propre à toute épopée, un défaut inhérent à ces œuvres qui visent à dynamiter la pop de l’intérieur, dans des chansons qui exigent d’office un minimum de grandeur et un grand nombre d’artifices ?
Hurry Up Tomorrow (Republic Records/Polydor/Universal). Disponible.