The Idol : série sulfureuse ou scandale sexiste ?

Après sa suite de polémiques et sa présentation à Cannes, The Idol, la série avec Lily-Rose Depp et The Weeknd, débarque sur Amazon Prime Video. Critique.

N.B. : Ceci est une critique des deux premiers épisodes, vus lors de leur présentation hors-compétition au Festival de Cannes.

Depuis son apparition dans Uncut Gems, Abel “The Weeknd” Tesfaye confirme l’attirance du monde du cinéma à son égard. Il faut dire que sa musique mélancolique, désespérée et viscérale est justement tournée vers une forme de rise and fall scorsesien, amplifiée par la référence explicite de son album After Hours au film éponyme du maître. Derrière la précision envoûtante de ses mélodies, qui se sont réappropriées le RnB puis la pop eighties à grands coups de synthwave, il y a le mal-être de toute une génération, planquée derrière un hédonisme des plus autodestructeurs.

Désormais, Abel Tesfaye est à la fois l’un des acteurs principaux et l’un des auteurs de The Idol, la nouvelle grosse série d’HBO, chapeautée par Sam Levinson, le papa d’Euphoria. Logique, étant donné que l’artiste y crée une nouvelle extension de sa persona, au travers de Tedros, un gérant de boîte de nuit et impresario aussi étrange que toxique. Lorsqu’il rencontre Jocelyn (Lily-Rose Depp, magnétique), une pop-star qui traverse une période difficile, il lui permet de se réinventer tout en imposant petit à petit son emprise sur elle.

Sauf qu’entre-temps, The Idol a été le sujet de polémiques, suite à un article de Rolling Stone qui est revenu sur sa production chaotique. Alors que certains accusent déjà Sam Levinson d’une certaine complaisance dans sa représentation de la sexualité, des violences physiques et psychologiques depuis Euphoria, sa nouvelle création aurait subi de lourdes réécritures, en particulier à cause de The Weeknd, qui n’aurait pas voulu que le point de vue de la série soit trop féminin. Le mot “sexiste” n’a pas tardé à être employé pour dépeindre la série avant même sa sortie, en plus d’attaques sur une vision romantisée de la masculinité toxique, voire de la culture du viol.

Les soirées de samedi soir, quelques fois, ça me déçoit

Si tout cela est quelque peu exagéré, il faut bien admettre que The Idol est loin d’être réussie ou adroite dans sa démarche provocatrice. Levinson jouit de cette dimension polémique, et affiche un doigt d’honneur évident dès les premières minutes du pilote, où un coordinateur d’intimité se retrouve enfermé dans des toilettes. Soit mettre au placard un symbole hautement contemporain du progressisme hollywoodien, qui ne serait ici qu’une façade hypocrite.

C’est loin d’être subtil, mais le propos esquissé touche du doigt une idée passionnante dans sa noirceur. À vouloir protéger à tout prix l’image de Jocelyn, la pleine possession de son corps est réduite à un contrat tout aussi objectifiant que ce qu’il combat. À moins que Levinson n'utilise ce propos comme caution à sa propre objectivisation de son héroïne, qu’il sexualise dès que possible.

Mais pendant un instant, où une photo compromettante met tout le monde en panique, la fabrique écœurante de la célébrité est abordée par The Idol avec une gradation oppressante. Et il suffit d’une contre-plongée sur l’équipe de la pop-star pour saisir son infantilisation par l’industrie qui la possède.

Britney Depp

Concrètement, cette dépossession est passionnante lorsque la série colle à la condition désespérée de Jocelyn, et au regard de prédateur de tout son entourage, qui cherche à la dévorer. S’y dévoile la vulgarité d’une culture américaine abjecte, obsédée par la gloire et le fric, et qui digère ses talents comme de vulgaires bouts de viande. Le showrunner d’Euphoria rêve sans doute de faire son propre Showgirls, et le jusqu’au-boutisme de sa mise en scène exhibitionniste s’en approche en de rares instants. C’est notamment le cas lors de la meilleure séquence de ce début de saison : un tournage de clip qui vrille petit à petit au cauchemar.

Le problème, c’est qu'Abel Tesfaye ne peut pas s’empêcher de se réapproprier, voire de vampiriser le projet. The Idol reste un véhicule promotionnel à sa gloire, dont il a écrit la trame avec Levinson. Et alors que la série voudrait sans nul doute critiquer un show-business qui manipule et aliène de la pire des manières les femmes, au point de devenir une sorte d’ogre qui symboliserait une misogynie globalisée, elle se complaît pas mal dans le côté puant de cette imagerie.

"C'est le décor du Connemaraaaaaaaa"

À partir de là, la série se transforme en clip géant grotesque, dont l’insolence se réduit à une succession de scènes de sexe ridicules. Levinson a beau citer explicitement Basic Instinct, on se sent plus dans Cinquante nuances de Grey avec les glaçons, et autres bandeaux sur les yeux de soft porn gentillet. Pire, la libération tant espérée de Jocelyn, de son image et de sa sexualité, ne fait que passer d’un male gaze à un autre.

Nul doute que Levinson tient ouvertement à cette prison tragique du regard, dans laquelle il inclut d’ailleurs le spectateur, mais l’ensemble en vient à romantiser le comportement toxique de Tedros, tendance gourou manipulateur. La caméra a une fascination évidente pour lui, et s’accorde à sa prédation, psychologique et sexuelle, comme si elle filmait un tigre prêt à s’abattre sur sa proie.

En même temps, ces éléments ont toujours été présents dans la musique de The Weeknd, et The Idol en assume la filiation. Toute l’équipe de Jocelyn est aussi toxique que Tedros, tout ça pour maintenir le vernis de la célébrité en place. Est-ce une façon de dire que le public fait partie du problème ? Sans doute, mais c’est assez facile de la part de Sam Levinson et Abel Tesfaye qui s’amusent à sublimer le pacte faustien de l’héroïne, notamment lors de l’arrivée en contre-jour de Tedros dans la villa de Jocelyn, alors que les portes s’ouvrent et révèlent sa silhouette comme un Méphistophélès un peu risible.

Éblouis par une lumière subtile

Et c’est un peu dommage, parce qu’on sent que The Weeknd veut au fond parler de sa carrière et de son évolution, alors qu’il est devenu en quelques années ce prince de la nuit aussi envoûtant qu’inquiétant, ébloui par les lumières de Vegas et toujours en redescente. Pas étonnant que Tedros dise que la pop est le “cheval de Troie ultime”. The Weeknd a bouleversé la pop contemporaine par ses paroles crues et son désespoir, et les mots de Tedros portent en eux le projet de The Idol : voir cette vulgarité contrôlée du show-business être retournée contre elle-même.

Mais pour pleinement réussir ce postulat, il aurait fallu ne pas oublier que Jocelyn reste le personnage principal, et que c’est son regard, sa descente aux enfers qui comptent. The Idol semble s’être trompée de point de vue, ou du moins s’est perdue en cours de route, sans doute à cause de ses différentes têtes pensantes, qui prennent la couverture à elles. Et c’est d’autant plus dommage que Lily-Rose Depp déploie une énergie franchement hypnotique à l’écran. Reste à voir si la suite saura redresser le cap.

Le premier épisode de The Idol est disponible depuis le 5 juin 2023 sur Amazon Prime Video, via le Pass Warner.