L'assaillant de Conflans, un réfugié tchétchène de 18 ans «qui ne parlait pas beaucoup»
Qui était Abdoullakh Abouyezidovitch A., 18 ans, l’assaillant de Samuel Paty, cet enseignant d’histoire-géographie retrouvé décapité vendredi après-midi rue du Bois-Moineau à Eragny (Val-d’Oise), à quelques centaines de mètres du collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) où il enseignait? Si l’enquête, menée sous l’égide du Parquet national antiterroriste (Pnat), ne fait que commencer, le procureur Jean-François Ricard a d’ores et déjà exposé, lors d’une conférence de presse tenue ce samedi, de nombreux éléments factuels. Rappelant en préambule le contexte tout particulier dans lequel s’est déroulée l’attaque: le «second [crime terroriste] commis pendant que se déroulent les procès des attentats du mois de janvier 2015».
Né le 12 mars 2002 à Moscou, d’origine tchétchène, Abdoullakh A. «bénéficiait du statut de réfugié et demeurait à Evreux, dans l’Eure», a indiqué Jean-François Ricard. Connu de la police pour des faits de droits commun – «des affaires de dégradation de bien public et de violences en réunion alors qu’il était encore mineur» –, il n’avait jamais fait l’objet d’une condamnation, ni attiré l’attention des services de renseignement.
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Lorsque les policiers de la brigade anticriminalité de Conflans, avertis par les policiers municipaux d’Eragny après la découverte du corps de Samuel Paty, ont tenté d’interpeller le jeune homme, celui-ci a «couru dans leur direction en tirant à cinq reprises avec une arme de poing», avant d’être lui-même abattu, atteint de «neuf impacts», a détaillé le procureur. Sur son corps et à proximité, outre un permis de séjour datant du 4 mars dernier, ont été retrouvés un poignard, «une arme de poing de type airsoft», ainsi qu’un téléphone. Dans celui-ci, les enquêteurs ont d’ores et déjà retrouvé une photo de l’enseignant décédé, «horodatée à 16h57», et le texte de la revendication postée sur Twitter immédiatement après le meurtre par le compte @Tchétchène_270 : «De Abdullah, le serviteur d’Allah, à Macron, le dirigeant des infidèles, j’ai exécuté un de tes chiens de l’enfer qui a osé rabaisser Muhammad [Mahomet, ndlr].»
Samedi après-midi devant le domicile de l’assaillant dans le quartier de la madeleine à Evreux. Photo Victor Rival-Garcia pour Libération
«Je ne comprends pas pourquoi il a fait ça»Ce samedi, dans le quartier de la Madeleine à Evreux, où réside sa famille, c’était l’incompréhension qui dominait. Une ancienne camarade de classe, qui loge dans un immeuble voisin de celui de ses parents, évoque ainsi un garçon «discret, qui ne parlait pas beaucoup, et traînait surtout avec des garçons de son âge. Il ne parlait pas vraiment aux filles». «Choquée» en apprenant les événements de la veille, elle a côtoyé l’assaillant dès l’école primaire de la Forêt, et surtout au collège Pablo-Neruda, où il a poursuivi son cursus scolaire. En classe, elle se souvient qu’il «aimait faire rire la galerie. Il n’avait pas envie de bosser». La dernière fois qu’elle l’a vu, «il aidait son père à ramasser les courses. C’était quelqu’un de normal. Je ne comprends pas pourquoi il a fait ça».
Dans l’une des allées qui jouxtent l’ensemble Peyresourde, où loge la famille de l’assaillant, Sophia raconte le Abdoullakh A. qu’elle connaissait : «Un gars très respecté. Il a des amis, mais je le voyais souvent seul, à faire des allers-retours [au quartier]. Il a une tête de personne énervée. C’est quelqu’un qui impressionne quand on le voit, qui s’est déjà battu.» La jeune fille de 18 ans, qui habite dans l’immeuble voisin de celui de la famille, assure aussi qu’il était «très serviable, toujours là pour sa famille» : «Dès que j’avais un problème avec un de ses petits frères lorsqu’ils faisaient le bazar, il les engueulait.»
Repérages dans l’après-midiSelon les premiers témoignages recueillis par les enquêteurs, vendredi, Abdoullakh A. «se trouvait devant le collège durant l’après-midi et avait sollicité des élèves afin de lui désigner la future victime», a indiqué Jean-François Ricard lors de sa conférence de presse. Samuel Paty, 47 ans, rentrait chez lui depuis le collège du Bois-d’Aulne de Conflans quand il a été attaqué avec un couteau de 35 cm de long, retrouvé «à une trentaine de mètres du lieu du crime». Son corps présentait «de multiples plaies à la tête, aux membres supérieurs et à l’abdomen», et il avait été décapité.
Les investigations vont désormais se poursuivre pour déterminer le déroulement exact de l’attaque et l’emploi du temps de l’assaillant pendant les jours qui ont précédé. Il s’agira aussi d’«établir l’implication des personnes gardées à vue, ainsi que de toute autre personne complice ou impliquée, à un titre ou à un autre, dans les faits». Pour l’heure, neuf personnes ont été interpellées et placées en garde à vue, dont quatre membres de la famille de l’assaillant.
Amaelle Guiton , Romain Métairie envoyé spécial à Evreux (Eure)