« Taxe lapin » sur les rendez-vous non honorés chez le médecin ...
« Quand on ne vient pas à un rendez-vous médical sans prévenir, on paye ! » Tel est l’avertissement lancé par Gabriel Attal lors de son discours de politique générale, mardi 30 janvier à l’Assemblée. Surnommée la « taxe lapin », cette mesure vise à responsabiliser les patients face à un « phénomène qui semble en constante augmentation [et qui] entraîne de sérieuses répercussions sur l’offre de soins », selon l’Académie nationale de Médecine et le Conseil national de l’Ordre des Médecins. Dans un communiqué en janvier 2023, les deux organisations alertaient :
« Plusieurs enquêtes suggèrent que chaque semaine 6 à 10 % des patients ne se présentent pas à leur rendez-vous, ce qui correspond à une perte de temps de consultation de près de deux heures hebdomadaires pour le médecin quelle qu’en soit la discipline et, par extrapolation, près de 27 millions de rendez-vous non honorés par an. Par ailleurs, près de deux tiers de ces défections concerneraient un premier rendez-vous. »Voilà pour les chiffres donnés, « reflet d’une évolution regrettable » vers une consommation de la santé, regrettent l’Académie et l’Ordre des Médecins. D’autant que les conséquences sont nombreuses : « désorganisation » du quotidien des médecins libéraux et hospitaliers, réduction de la disponibilité médicale, limite d’accès aux soins…
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« Comment on taxe ? De combien ? Et pour qui ? »
Sur le papier, Benoît Coulon, médecin généraliste à Besançon, est satisfait de cette annonce. « Le nombre de rendez-vous non honorés représente le travail de 4 000 médecins à plein temps. Cette “taxe lapin” est une bonne chose étant donné la pénurie de médecins et les déserts médicaux », juge-t-il. Mais très vite, la question des modalités se pose : comment comptabiliser les rendez-vous non honorés à rembourser ? « Le plus simple serait que l’on remonte les cas à l’assurance-maladie qui centralise tout », estime celui qui est aussi vice-président du mouvement Médecins pour Demain.
« Donc, les médecins vont devoir dénoncer les personnes qui ne viennent pas ? » interroge Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de la Fédération française des Médecins généralistes (MG France). Le médecin généraliste de Feytiat (Haute-Vienne) soulève plusieurs autres questions toujours sans réponses : « Comment on taxe ? De combien ? Et pour qui ? » énumère-t-il.
« On a appelé tous les pédiatres de la ville » : Cherche médecin traitant désespérémentMême le droit s’oppose à cette mesure. Le Code de la Santé publique prévoit que « les honoraires du médecin […] ne peuvent être réclamés qu’à l’occasion d’actes réellement effectués ». En d’autres termes : il est légalement interdit de faire payer les rendez-vous non honorés. Pour contourner cette règle, plusieurs propositions ont déjà été faites par la droite sénatoriale : une ponction du montant de la taxe lors de futurs remboursements de prestations au patient, une facturation dès la prise de rendez-vous en ligne ou le renseignement des identifiants bancaires. « C’est techniquement possible de faire payer ces gens quand ils prennent rendez-vous sur Doctolib [site de prise de rendez-vous médicaux, NDLR], mais comment on fait quand c’est au téléphone avec les secrétaires ? » questionne Benoît Coulon.
Même si la taxe est mise en place, le gouvernement s’oppose aussi aux médecins sur le devenir de cet argent. Dans une interview à « Ouest-France » en avril 2023, Gabriel Attal – alors ministre délégué chargé des Comptes publics – proposait une taxe de 10 euros dont la moitié irait au professionnel lésé, et l’autre à l’assurance-maladie. « L’argent doit revenir au médecin, c’est lui qui est lésé, pas la Sécu ! » proteste Benoît Coulon.
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« Les grandes oreilles qui cachent le vide intersidéral derrière »
En définitive, l’annonce de Gabriel Attal le laisse dubitatif : « C’est un effet d’annonce », tranche le médecin généraliste de Besançon. Une certitude renforcée du fait que cette mesure n’a rien de nouveau : Emmanuel Macron l’avait déjà évoquée lors de ses vœux aux soignants pour l’année… 2023 ! « Un travail sera engagé avec l’assurance-maladie pour responsabiliser les patients lorsqu’un rendez-vous ou plusieurs ne sont pas honorés », promettait-il déjà. « Ce phénomène a un côté très irritant pour les médecins, donc le Premier ministre a sans doute cru nous faire plaisir en annonçant cette taxe, mais ça n’arrivera jamais ! » brocarde Jean-Christophe Nogrette.
Faut-il forcer les médecins à aller dans les déserts médicaux ?D’autant que la déclaration de Gabriel Attal n’a pas fait que des heureux. « J’ai énormément de mal avec la proposition de sanctionner les consultations non honorées… » a déclaré l’oncologue azuréen Jérôme Barrière sur X (ex-Twitter). Il justifie ses réserves notamment en dénonçant les inégalités produites : « Les plus défavorisés seront les plus impactés ! Les CSP s’en “cagueront” de payer 26,50 euros ! » écrit-il. Il propose plutôt qu’au bout de deux ou trois rendez-vous non honorés sans justification, le médecin ait la possibilité de refuser une nouvelle consultation. « Pas la peine de taper au porte-monnaie », conclut-il.
⚠️Unpopular opinionJ’ai énormément de mal avec la proposition de sanctionner les consultations non honorées…1/ comment s’enquérir de la raison justifiée ou non ?Si la secrétaire ne répond pas ?En radio dans mon établissement => sms à 2 reprises en devant confirmer le rdv…
— Dr Jérôme BARRIERE, MD. (@barriere_dr) January 30, 2024
Twitter - Dr Jérôme BARRIERE, MD. on Twitter / X
Même si le gouvernement estime que cela va libérer de la place pour de nouveaux patients qui manquent de médecins, « le système de santé sera toujours en tension », signale Benoît Coulon. « Cette annonce fait surtout office de grandes oreilles qui cachent le vide intersidéral derrière », ironise Jean-Christophe Nogrette. Cette taxe fait d’autant plus figure d’arbre qui cache la crise que le phénomène est loin de pouvoir changer les choses : « Au niveau des généralistes, on estime que le nombre de rendez-vous non honorés est de l’ordre de 6 millions sur 250 millions d’actes. Le phénomène est donc marginal », explique le médecin syndicaliste, remettant ainsi en cause le chiffre de 27 millions. « Sauf si les spécialistes ont 21 millions de consultations non honorées », sourit-il. En octobre, l’assurance-maladie calculait que ces « lapins » représentaient 4 % des consultations hebdomadaires. Soit moins de 10 millions par an.