"Taxe lapin" pour les rendez-vous non honorés chez le médecin : "Il ...
Une "taxe lapin" ? Voilà un nom qui pique de curiosité. Après avoir multiplié les annonces devant l'Assemblée nationale mardi 30 janvier, Gabriel Attal est revenu sur une mesure déjà évoquée par le passé : la mise en place prochaine d'une taxe pour les patients qui poseraient des lapins à leurs médecins. "Quand on a un rendez-vous chez le médecin et qu’on ne vient pas sans prévenir, on paye", a lancé le Premier ministre, manifestant, une fois de plus, sa volonté de lutter contre les difficultés d'accès aux soins des Français.
En novembre 2023, dans le cadre de l'examen du Budget de la sécurité sociale 2024, les sénateurs (majoritairement à droite), s'étaient prononcés "pour" l'amendement de cette taxe lapin. Mais le gouvernement avait préféré renvoyer le sujet à la négociation conventionnelle entre les médecins et l’Assurance maladie. Selon l'Académie nationale de médecine et le Conseil national de l'Ordre des médecins, le nombre de rendez-vous médicaux non honorés par les patients en France serait de l'ordre de 27 millions par an, un chiffre en constante augmentation... non sans conséquences.
Manque à gagner et allongement des délais de consultations
Médecin gynécologue installée en libérale à Marseille (6e), le Dr. Julia Maruani perd "environ deux patientes par jour ouvrable". "Si on compte un acte facturé 50 euros en moyenne, c'est un manque à gagner de 500 euros par semaines", déplore la professionnelle. Sur son espace Doctolib', la gynéco (comme tous les professionnels de la plateforme) a accès à un onglet "présence des patients" qui permet de consulter le nombre de rendez-vous "annulés en ligne", "annulés par sa secrétaire" et "les patients en rouge qui ne sont tout simplement pas venus". En moyenne, 10% de ses rendez-vous ne sont pas honorés. "Rien que le 16 décembre, je peux voir que cinq patientes sur 15 ont planté ma remplaçante ce jour-là, ça m'horripile", déplore la professionnelle.
D'après le Dr. Maruani, et comme confirmé par les données du Conseil national de l'Ordre, près de deux tiers des lapins posés (sans prévenir) concerneraient davantage les "premières consultations". "Ça pose le problème du manque de rémunération pour les libéraux et les remplaçants. On en vient à surcharger un peu les plannings au cas où, car on se dit qu'il y a toujours de l'absentéisme".
Pour limiter l'impact des "rendez-vous perdus" et organiser au mieux sa journée, le Dr. Cyrille Chablis, médecin généraliste à Marseille, a carrément engagé un secrétariat à distance pour "faire les contre-appels", c'est-à-dire se faire confirmer la venue ou des non-patients le jour-même.
Outre le manque à gagner pour les médecins libéraux, "les créneaux perdus rallongent surtout les délais de rendez-vous de plusieurs mois par les patients", affirme le Dr. Chablis, en faveur de la taxe lapin. Un rendez-vous planté au dernier moment, ne peut, par définition, être remplacé. "C'est du temps perdu pour tout le monde et c'est un gros problème, surtout pour les spécialistes", explique-t-il. "À titre d'exemple, mes correspondants gastroentérologues voient entre un et trois rendez-vous non honorés par jour, donc c'est un tiers de temps perdu. En sachant que les délais pour les consultations se rallongent partout de manière importante, car on manque de personnel soignant".
"C'est devenu un sport national !"
Planter un médecin généraliste, un spécialiste... "C'est devenu un sport national", fulmine le Dr. Sophie Bauer, du Syndicat des Médecins Libéraux. Selon le SML, les spécialistes seraient en effet plus touchés que les généralistes. Au vu de la difficulté à trouver un médecin traitant, "les patients prennent moins le risque de se faire blacklister", analyse la chirurgienne de profession. Certes boosté par les agendas électroniques, le phénomène croissant des "lapins" posés au professionnel est surtout le reflet d'une société toujours plus consumériste avec l'exigence de l'instantanéité. "On va sur Doctolib' comme on choisirait, ou non, un produit dans les rayons d'un supermarché".
Toujours est-il que sanctionner ce type de comportement, "on est pour", assure le Dr. Bauer au nom de ses confrères/sœurs. "27 millions de consultations perdues par an, ça représente l'activité annuelle de 4 500 médecins. Pour certains généralistes ou spécialistes, c'est de l'ordre de 3 à 4 créneaux perdus par jour. Ça ne peut pas durer comme ça ! Il faut taper au portefeuille", tranche le Dr. Bauer. "Mais je ne vois pas comment on va mettre ça en place en pratique".
Et en pratique, comment payer ?
En avril dernier, aux prémices du projet de taxe lapin, Gabriel Attal alors ministre des Comptes publics avait évoqué dans les colonnes de Ouest-France la possibilité d'un moins bon remboursement, c'est-à-dire un "un remboursement minoré du rendez-vous suivant à hauteur de 10€ pour redistribuer "5€ au professionnel de santé, et 5€ à l'assurance maladie".
"Mais celui qui perd de l'argent, c'est d'abord le médecin", déplore la présidente du Syndicat des Médecins Libéraux. Le Dr. Julia Maruani, elle non plus, ne voit pas très bien pourquoi 5€ devraient être perçus par la sécurité sociale. "Ça paraît aussi absurde logistiquement et administrativement de dire qu'on va retenir la taxe sur le remboursement de la consultation suivante, pour reverser au médecin précédemment impacté". Et en pratique, "ça ne pourrait pas être mis en place pour tout le monde, car certains patients bénéficiaires de la CSS, anciennement CMU ou de l'AME ne payent pas leurs soins".
Payer en avance n'est pas non plus une option, car "selon le code de déontologie du Code de la santé publique (CSP) français, il n'est pas possible de prélever les patients avant leur consultation", rappelle le Dr. Bauer, qui ne voit que comme seule solution : la mise en place d'une empreinte bancaire via la plateforme Doctolib', ou le prélèvement de la taxe par la Caisse d'assurance maladie, dès lors que le médecin signale un "lapin". Mais alors, "il faudrait pouvoir distinguer clairement les rendez-vous "annulés" à l'avance avec une excuse du patient, et ceux qui ne se sont tout simplement pas présentés au rendez-vous", prévient le Dr. Maruani.
La Belgique fait déjà payer les lapins !
Si les systèmes de santé diffèrent en Europe, la Belgique, elle, fait déjà payer les lapins depuis plusieurs années, rappelle le Quotidien du médecin. Le médecin peut ainsi réclamer à son patient un dédommagement raisonnable, qui ne doit pas dépasser le montant des honoraires, s'il démontre qu'il a subi un dommage à cause du non-respect de ce rendez-vous. Lorsqu'un patient ne se présente pas au rendez-vous, la facture est envoyée à son domicile.
Si la méthode de prélèvement de cette taxe reste encore à clarifier sur le sol français, le ministre Gabriel Attal s'est prononcé pour une mise en place de la taxe lapin "dès cette année".