Présidentielle 2022 : comment Christiane Taubira s'est laissé convaincre d'entrer en campagne
Ira, n'ira pas ? Jusqu'à la dernière minute, personne ne savait à gauche, ni même dans son équipe rapprochée, ce qu'annoncerait vraiment Christiane Taubira. C'est finalement dans un message vidéo d'un peu plus de trois minutes, posté vendredi 17 décembre en fin de matinée sur les réseaux sociaux, que l'ancienne garde des Sceaux a mis fin au suspense : "Je constate l'impasse. J'ai toujours dit que je prendrai mes responsabilités. Pour cela, j'envisage d'être candidate à l'élection présidentielle de la République française."
Taubira, huitième candidate à gauche en 2022, après Mélenchon, Jadot, Hidalgo, Roussel, Montebourg et les deux trotskystes Arthaud et Poutou ? Non : "Je ne serai pas une candidate de plus. Je mettrai toutes mes forces dans les dernières chances de l'union", a prévenu l'ancienne députée de Guyane en donnant rendez-vous à la "mi-janvier" pour la suite des événements.
Avec cette quasi-déclaration de candidature, l'ancienne ministre de François Hollande ne surprend en réalité pas grand monde. La petite musique d'une déclaration à la présidentielle revenait en effet avec insistance ces dernières semaines du côté des états-majors des différents candidats à gauche. D'après plusieurs de ses proches contactés par franceinfo, "Christiane Taubira est au combat depuis déjà longtemps et n'a peut-être même jamais cessé de l'être depuis qu'elle fait de la politique".
La presque candidate consulte en effet à tout-va depuis près deux ans. Le collectif de citoyens Taubira pour 2022, dont la page Facebook compte 93 000 abonnés, travaille activement à sa candidature, via des comités locaux dans toute la France. "Nous essayons de rallier les troupes pour que les conditions de sa victoire soient réunies. Christiane Taubira est quelqu'un de pugnace et une grande dame droite dans ses principes qui est la seule à pouvoir rassembler à gauche", lance Farah Ariche, la coordinatrice du comité local Paca-Corse.
L'ancienne ministre de la Justice a tenu à rencontrer les membres de son collectif national de soutien en octobre, à Paris. Un échange "de très grande qualité qui en disait long des ambitions de notre championne pour 2022", dixit Farah Ariche. "Elle nous a dit que notre élan était important et qu'il fallait se mettre en ordre de bataille pour la suite. Elle s'est félicitée également que les membres du collectif soient essentiellement des jeunes", raconte-t-elle.
Pour préparer sa candidature dans l'ombre, celle qui n'avait recueilli que 2,32% des suffrages lors de l'élection présidentielle de 2002 a également discuté à plusieurs reprises avec les organisateurs de la primaire populaire, cette initiative citoyenne qui vise à faire émerger un candidat unique incarnant toutes les sensibilités de la gauche à la présidentielle.
La dernière rencontre date du 29 novembre lors d'un dîner dont le lieu a été tenu secret jusqu'au dernier moment. "Elle nous a dit qu'elle voulait participer à cette bataille pour la France car elle est terrorisée par le fait que l'extrême droite monopolise le débat politique. Mais comme cette grande femme que nous respectons beaucoup est un secret permanent, nous ne pouvions pas savoir quelles étaient ses intentions. Nous connaissons en revanche sa volonté très affirmée de participer à notre primaire", explique à franceinfo Samuel Grzybowski, l'un des porte-paroles de la primaire populaire.
Même si elle ne l'évoque pas directement dans sa vidéo de candidature, Christiane Taubira mise tout sur ce mode de désignation inédit pour s'imposer, en cas de victoire, comme le recours ultime au rassemblement de la gauche derrière sa candidature en 2022.
"Son premier engagement, c'est de travailler pour l'union et elle souhaite le faire en participant à la primaire populaire. Quand on voit l'incapacité des partis politiques aujourd'hui à créer les conditions d'un rassemblement, elle pense que c'est le seul moyen pour la gauche de revenir dans la course", confirme à franceinfo l'un de ses rares soutiens officiels, Christian Paul, ancien député socialiste "frondeur" pendant le quinquennat de François Hollande.
Outre Christian Paul, celle qui se rêve en icône de la gauche peut compter sur une poignée de soutiens politiques : Erwann Binet, ancien député PS de l'Isère et rapporteur du texte sur le mariage pour tous en 2014 à l'Assemblée nationale ; Fabien Bazin, président du conseil départemental de la Nièvre ; ou encore Olivia Fortin, adjointe au maire de Marseille. Son déplacement le 27 novembre dans la cité phocéenne, à l'invitation du maire PS Benoît Payan, pour rendre hommage à l'écrivain Gaston Crémieux fusillé en 1871 pour sa participation à la Commune de Marseille, n'avait rien d'anodin.
"Nous verrons si le maire de Marseille lui apporte son soutien. Mais ce qui est certain, c'est que Marseille joue un rôle important, avec des gens qui croient en sa capacité de rassembler."
Christian Paul, ancien député PS et soutien de Christiane Taubiraà franceinfo
Reste à savoir si l'ancienne ministre parviendra réellement à convaincre tous les candidats de la gauche de participer à cette primaire populaire qui doit avoir lieu entre le 27 et le 30 janvier prochain.
La volonté d'Anne Hidalgo d'y participer, tout comme probablement son ancien collègue du gouvernement Arnaud Montebourg, est l'une des conditions de la tenue du scrutin. Mais les refus catégoriques de l'écologiste Yannick Jadot, du communiste Fabien Roussel et de "l'insoumis" Jean-Luc Mélenchon risquent de compromettre l'organisation d'une telle primaire. Même dans le camp de la maire de Paris, pourtant en grande difficulté dans les sondages et donc prête à tout pour discuter avec les autres candidats à gauche, on est très critique envers l'initiative de Christiane Taubira.
"C'est un personnage qui se croit providentiel. Mais je vous rappelle qu'elle a disparu de la vie politique depuis six ans pendant que d'autres à gauche sont restés au combat pour gagner des élections intermédiaires comme les municipales ou les régionales", tacle un ténor du PS, assurant que Christiane Taubira aurait reçu "des dizaines d'appels de la gauche responsable pour la dissuader d'y aller". D'autres s'interrogent sur "son absence cruelle de programme pour 2022", ou ne digèrent toujours pas son refus d'appeler à la vaccination les habitants de Guyane, dont elle est originaire.
En donnant rendez-vous aux Français "à la mi-janvier", Christiane Taubira se laisse un mois pour voir si la mayonnaise autour de sa candidature peut prendre. Elle mise notamment sur la bonne image qu'elle renvoie auprès des sympathisants de gauche. Selon un récent sondage Ipsos pour France 2, 46% d'entre eux seraient prêts à lui donner leurs suffrages, contre 47% pour Jean-Luc Mélenchon, et seulement 38% pour Yannick Jadot et 37% pour Anne Hidalgo. Selon cette même enquête, elle serait la deuxième candidate "la plus compétente" à gauche, là encore juste derrière Jean-Luc Mélenchon.
A quatre mois de la présidentielle, le temps presse pour donner un contenu à une éventuelle candidature et présenter un programme digne de ce nom. Si elle a elle-même fixé la prochaine échéance à la mi-janvier, elle ne s'interdit pas, selon ses proches, de reprendre la parole plus tôt. Mais comme souvent avec Christiane Taubira – elle avait hésité à se présenter à la présidentielle de 2017 et aux européennes de 2019, avant de renoncer – le suspense pourrait rester entier jusqu'au bout.