Polémique Sylvain Tesson : pourquoi la directrice du Printemps des ...
Sophie Nauleau, la directrice artistique du Printemps des poètes, démissionne. Le dernier rebondissement d’une polémique agitant le monde littéraire et médiatique depuis une semaine concernant l’organisation de la manifestation nationale qui fête cette année ses 25 ans, et qui doit se tenir du 9 au 25 mars prochain. Le Printemps des poètes est l’un des rares moments de l’année ou la poésie contemporaine est mise en lumière au-delà des cercles d’amateurs.
Tout commence le vendredi 19 janvier dernier. Une tribune publiée dans le journal Libération conteste avec virulence la nomination de l’écrivain Sylvain Tesson pour parrainer l’édition, rôle traditionnellement offert à un comédien ou écrivain connu du public. Elle qualifie l’écrivain d’« icône réactionnaire » et affirme que cette nomination viendrait « renforcer la banalisation et la normalisation de l’extrême droite dans les sphères politiques, culturelle, et dans l’ensemble de la société, (…) à l’encontre de l’extrême vitalité de la poésie revendiquée par le Printemps des poètes ». La tribune récoltera 600 puis 1 200 signatures de poètes, éditeurs, libraires ou écrivains parmi lesquels Baptiste Beaulieu, Chloé Delaume, Jean D’Amérique ou Nancy Huston.
Bataille d’« Hernani »
L’écrivain-voyageur à succès, ancré à droite, assume, certes, volontiers ses prises de position réactionnaires. «Je suis tellement réactionnaire que je préfère le début de mes phrases à leur fin », aime-t-il à répéter. Les auteurs de la tribune commettent cependant une erreur factuelle, qui sera corrigée par la suite : Sylvain Tesson, amateur de l’écrivain monarchiste et catholique traditionaliste Jean Raspail, n’a jamais signé la préface de son roman nationaliste Le Camp des saints – un fait avancé pour le dénoncer –, mais le volume de ses récits de voyage édité dans la collection « Bouquins » de Robert Laffont. Une petite nuance qui a son importance.
La polémique enfle. Les tribunes, dans les médias ou en ligne, se multiplient. Une contre-pétition dans Le Point, d’un côté, idée d’un contre-Printemps des poètes, de l’autre, et c’est à une nouvelle bataille d’Hernani qu’assiste le milieu de la poésie contemporaine, d’habitude confidentiel. L’ampleur de la crise surprend même les auteurs du texte. Les insultes fusent. L’hebdomadaire Valeurs actuelles dénonce des « poètes d’extrême gauche sans talent et sans public », traitant les signataires de « cafards ».
« Entre-soi »
Le politique s’en mêle. La nouvelle ministre de la culture, Rachida Dati, dont le ministère soutient la manifestation via le Centre national des lettres à hauteur de 260 000 € par an, défend l’écrivain. « Sylvain Tesson fait partie de ces écrivains qui ont le désir de partager avec tous l’amour des mots », tandis que Bruno Le Maire dénonce « l’exclusion sectaire d’une plume aventureuse ». À gauche, des voix comme celle de Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste, rappelle également l’attachement à la liberté d’expression.
????️ La culture est généreuse, elle a besoin d’auteurs qui font découvrir notre patrimoine littéraire et notre nouvelle scène poétique :
Sylvain Tesson fait partie de ces écrivains qui ont le désir de partager avec tous l’amour des mots.
Je suis heureuse que le Printemps des…
— Rachida Dati ن (@datirachida) January 21, 2024
D’autres, comme l’écrivain et Prix Goncourt Nicolas Mathieu, contestant les termes de la pétition, replace l’enjeu dans le champ littéraire : «J’ai durant toute ma vie admiré le travail d’auteurs de droite, de réacs, voire de salauds, et n’ai jamais pensé qu’il fallait aligner ni la littérature ni mes goûts sur mon appétit de progrès. Il faut craindre, autant que le mal, les moyens que l’on met à favoriser l’avènement du bien. »
Au-delà de la personne de l’écrivain, c’est la direction de la manifestation qui, au fil de la polémique, est mise en cause. Le 24 janvier, un article du journal Le Monde cite plusieurs anciens salariés de l’association pointant durement le management de Sophie Nauleau. Ancienne productrice à France Culture et épouse du poète André Velter, l’un des fondateurs de la manifestation il y a vingt-cinq ans, Sophie Nauleau avait succédé en 2008 à Jean-Pierre Siméon, grand passeur de poésie, directeur emblématique de la manifestation pendant quinze ans. Certains contempteurs, et souvent concurrents, dénonçaient également une forme d’« entre-soi », Jean-Pierre Siméon étant devenu depuis directeur de collection de la prestigieuse collection de poche « Poésie/Gallimard », maison ou est également édité André Velter.
« Cabale effarante »
Ne s’étant pas exprimée depuis la parution de la tribune, Sophie Nauleau a donc décidé, après huit jours de fièvre médiatique, de démissionner de l’association vendredi 26 janvier, laissant vacante la direction de la manifestation à un mois de son lancement. « Le choix, que j’assume pleinement, de Sylvain Tesson pour féerique parrain de « La Grâce » (thème de l’édition 2024) a déclenché une cabale effarante, consternante pour ne pas dire monstrueuse. Dans ce contexte, aucune parole n’étant audible, j’ai préféré réserver la mienne au silence », explique-t-elle dans le communiqué annonçant son retrait, ajoutant : «À ceux qui me somment de répondre, je rappellerai que j’ai consacré ces quinze dernières années, d’abord sur France Culture puis au Printemps des Poètes, à faire entendre, dans toute sa diversité, la voix des poètes d’hier et d’aujourd’hui ». Sylvain Tesson, quant à lui, « meurtri » selon les mots de son éditeur, n’a pas encore fait part de sa position.