"Submersion" migratoire : quelle est la réalité des chiffres de l ...
C'est la première grosse polémique de François Bayrou depuis qu'il a été nommé au poste de Premier ministre. Il s'est attiré les foudres de la gauche et des défenseurs des droits des migrants en affirmant lundi 27 janvier que la France "s'approch[ait]" d'un "sentiment de submersion" migratoire. Face aux critiques, qui l'accusent de reprendre une expression de l'extrême droite, le chef du gouvernement a repris la parole le lendemain devant les députés et a maintenu l'idée d'une "submersion migratoire". François Bayrou a même ajouté : "Quiconque est confronté à la situation à Mayotte – et ce n'est pas le seul endroit de France – mesure que le mot de submersion est celui qui est le plus adapté." Alors, qu'en est-il vraiment ?
Le Vrai ou Faux a décidé d'en revenir aux faits pour faire le point sur l'immigration à Mayotte et ailleurs en France, mais il ne sera pas possible de dire s'il y a "trop" d'immigration ou pas, ni s'il y a une "submersion" migratoire ou non, car ce sont des jugements politiques, libres à l'appréciation de chacun, et non des faits objectifs qu'il est possible de vérifier.
Selon le dernier recensement exhaustif réalité par l'Insee à Mayotte, et qui date de l'année 2017, 35% des habitants de Mayotte sont nés dans un autre pays et près d'un habitant de l'archipel sur deux (48%) est étranger. Cela est dû à une forte immigration en provenance des Comores, un État d'Afrique centrale proche du département français dans l'océan Indien, et au départ des natifs de Mayotte vers d'autres régions de France ou vers d'autres pays.
Mais la situation de l'archipel n'est pas représentative de ce que connaissent tous les départements français. Dans les bases de données de l'Insee, on retrouve des taux d'immigration assez élevés dans certains départements spécifiques, tels que la Guyane (28%) et certains territoires de la région Île-de-France (31,6% en Seine-Saint-Denis, 22,7% dans le Val-de-Marne, 21,1% dans le Val-d'Oise et 20,1% à Paris". Mais il existe aussi tout une myriade de départements plutôt ruraux où moins de 10% de la population est immigrée, voire moins de 5% comme dans le Calvados, la Charente-Maritime, le Finistère, l'Indre, la Lozère, la Meuse, la Martinique ou encore à la Réunion.
L'idée de "submersion migratoire", qui est poussée par le Rassemblement national depuis des décennies, s'accompagne souvent d'une dénonciation d'une "hausse" de l'immigration. Le Vrai ou Faux de franceinfo a déjà pu expliquer ce qu'il y avait derrière le pic d'arrivées sur le territoire français en 2022 – chiffres les plus récents disponibles.
Cette année-là, plus de 300 000 personnes sont entrées en France, soit 100 000 de plus que 15 années auparavant, selon l'Insee. Ce pic a été dénoncé en septembre dernier par Éric Ciotti, le député des Alpes-Maritimes, qui s'est rapproché du parti Reconquête ! d'Éric Zemmour et du Rassemblement national. Sauf que ce pic était dû principalement à la guerre en Ukraine. En 2022, la France a accueilli près de 42 000 Ukrainiens. Les autres nationalités les plus représentées parmi ceux qui arrivaient en France étaient les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, les Italiens et les Afghans.
Ces chiffres comprennent aussi bien des immigrés légaux qu'illégaux, ceux qui ont ou vont demander l'asile ou des titres de séjours pour travailler ou étudier. Cela comprend également des personnes qui vont repartir dans leur pays. Selon l'Insee, un tiers des immigrés qui arrivent en France viennent y faire des études avant de repartir dans leur pays d'origine ou vers une autre destination. En vérité, si on soustrait les départs des immigrés au nombre d'arrivées, on constate que moins de 200 000 immigrés sont restés en France en 2020 – là aussi, derniers chiffres disponibles – un chiffre plutôt stable sur 15 ans, même s'il faut noter qu'il s'agit d'une année particulière, marquée par des confinements liés à la pandémie de Covid-19.
Aujourd'hui, les immigrés représentent 10,7% de la population vivant en France, selon l'Insee. La moitié d'entre eux est originaire d'Afrique, un tiers d'Europe et près de 14% d'Asie.
La proportion des immigrés dans la population en France a plus que doublé en un siècle, voire a presque triplé, en passant de 3,7% en 1921 à 10,7% en 2023. Certains de ces immigrés ont ou auront la nationalité française, si bien que la proportion d'étrangers en France est un peu différente : les étrangers représentent 8,2% de la population totale en 2023, contre 3,9% en 1921.
Cette hausse est liée à trois vagues d'immigration. La première a eu lieu dans les années 1920, après la Première Guerre mondiale, et la deuxième pendant les Trente glorieuses, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Dans les deux cas, la France avait besoin de main-d’œuvre et est allée la chercher à l'étranger. Après la première vague d'immigration, beaucoup d'immigrés sont repartis, mais après la deuxième, ils sont restés en France où ils avaient construit leur vie, fait des enfants, etc.
La troisième vague d'immigration est plus récente, plus progressive et plus mondiale. Elle s'inscrit dans un contexte de hausse des migrations dans le monde entier, notamment liée au fait qu'il est beaucoup plus facile de voyager aujourd'hui qu'avant et d'aller faire ses études dans un autre pays.
Mais la France est en réalité l'un des pays développés qui accueillent le moins d'immigrés. La proportion d'immigrés en France est sous la moyenne européenne, selon l'Insee. Les 10,7% français sont bien inférieurs aux 50% d'immigrés au Luxembourg, aux 28% de Malte, aux environ 20% de l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, Chypre, l'Irlande et la Suède.
La France est aussi plutôt dans le bas du classement des pays de l'OCDE. Car en 2022, les nouveaux immigrants accueillis en France représentaient 0,4% de la population totale du pays, alors que c'était, par exemple, plus de dix fois plus au Luxembourg (4,4%), 3,4% en Islande, 3% en Nouvelle-Zélande, ou encore 1,1% au Canada et 0,8% en Allemagne. Dans ce classement, la France se situe juste devant les États-Unis dont les nouveaux immigrants ne représentaient que 0,3% de la population en 2022.