Une enseignante des Yvelines menacée pour avoir montré Soprano en cours

ÉDUCATION - Seulement deux mois après la mort tragique de Samuel Paty, une enseignante d’un collège de Trappes a dû être “exfiltrée” de son établissement et du département des Yvelines après des menaces à la suite d’un cours sur l’évolution de l’Homme où étaient associées une image de singe et une photo du chanteur Soprano.

Lors d’une leçon pour une classe de 3e donnée en décembre 2020, cette professeure de SVT (sciences de la vie et de la terre) avait décidé, “pour intéresser les élèves” d’apposer une photo du rappeur français d’origine comorienne sur une frise chronologique, a-t-elle plaidé auprès de l’AFP.

Par la suite, la présence sur cette même frise d’une image de singe a suscité la colère d’un père d’élève, selon Le Parisien qui a révélé l’affaire dimanche 16 janvier.

“Situation prise très au sérieux par l’académie”

Selon le journal, l’énoncé de l’exercice que Stéphanie* proposait à ses élèves était: “Dans les documents suivants, définir les critères d’appartenance à la lignée humaine (genre homo)”. Pourtant, ”à aucun moment je n’assimile cet homme à un singe” a-t-elle déclaré lorsque les policiers l’ont entendue en juin dernier.

Deux mois après ce cours, Stéphanie est alors convoquée par son chef d’établissement pour un rendez-vous avec le parent, dont le profil n’a pas été précisé et qui a jugé raciste la juxtaposition des deux images et relayé le cours sur Facebook en le remettant en cause.

Mais le père de son élève de 3e n’a visiblement relayé qu’une partie du cours, privant alors sa publication du contexte initial de l’exercice. Comme le rapporte aussi Le Parisien, dans son message posté avec la photo diffusée par l’enseignante, le père de famille déclarait notamment: “Y a rien qui vous choque. Ma fille elle m’a dit papa c pas normal en cours de SVT (…) Éducation nationale de merde. FAITES TOURNE SVP ON DOIS PAS ACCEPTE” (sic).

Selon le rectorat de Versailles contacté par l’AFP, “cette situation a été prise très au sérieux par l’académie”, car “tout message haineux ou menaçant qui pourrait viser un personnel de l’académie fait l’objet d’une attention très vigilante de nos services”.

Une affaire jugée de la plus haute importance, seulement deux mois après l’assassinat et la décapitation dans le même département de Samuel Paty. Le rectorat a d’ailleurs précisé que les forces de l’ordre avaient été “immédiatement informées” de l’incident et qu’une protection fonctionnelle avait été accordée à l’enseignante.

“Traumatisée par l’assassinat de Samuel Paty”

Deux mois avant cette affaire, Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie du collège du Bois-d’Aulne, à Conflans-Saint-Honorine, avait été pris à partie sur les réseaux sociaux par un père d’élève à la suite d’un cours sur la liberté d’expression. Il avait ensuite été assassiné par Abdoullakh Anzorov, un jeune radicalisé qui lui reprochait d’avoir montré des caricatures de Mahomet à ses élèves.

De son côté, la professeure de Trappes, aujourd’hui âgée de 35 ans, a reçu plusieurs menaces après la publication du père de famille sur les réseaux sociaux, qu’il a supprimée après le rendez-vous au collège.

“Traumatisée par l’assassinat de Samuel Paty”, Stéphanie a alors déposé plainte et reçu la visite des policiers du renseignement territorial, qui lui ont demandé “de quitter l’Ile-de-France au plus vite”, se souvient Stéphanie, désormais professeure remplaçante dans une autre région tenue secrète.

“J’ai tout perdu, tout ce que j’ai construit depuis dix ans, cet homme m’a volé ma vie et j’ai eu très peur pour ma vie”, raconte-t-elle par téléphone à l’AFP, souhaitant travailler désormais “au plus près de sa famille”.

En novembre dernier, le père d’élève a été condamné pour harcèlement au moyen d’un service de communication au public en ligne à six mois de prison ferme et 13.600 euros de dommages et intérêts par le tribunal de Versailles.

Cependant, le parent d’élève a été relaxé du chef d’injure publique envers un fonctionnaire par moyen de communication, a indiqué le parquet à l’AFP, précisant qu’un appel était en cours. La date du nouveau procès n’est pas encore connue, selon l’avocat de la partie civile, Stéphane Colmant. 

“Exfiltrée en seulement quelques jours”

Visiblement choquée par cette affaire, Stéphanie a choisi de se confier à l’AFP et raconte la solitude qu’elle dit avoir traversée, sans véritable soutien de sa hiérarchie. “Je n’ai vu aucun signal d’alerte pendant, ni après le cours, et j’utilise ce support pour illustrer cet enseignement depuis déjà plusieurs années à la demande d’un ancien élève qui souhaitait voir plus d’illustrations de personnes issues de la diversité”, poursuit l’enseignante, qui regrette n’avoir reçu que le soutien de son syndicat, le Snalc, et “rien” du rectorat.

Aujourd’hui, “je n’ai plus confiance dans l’institution, j’appréhende d’aborder d’autres sujets sensibles comme la puberté et la reproduction. Quand va-t-on commencer à faire barrage à ces parents d’élèves qui menacent ?”, s’interroge la professeure qui ajoute avoir été obligée de tout quitter dans la précipitation:  “j’ai dû être exfiltrée en seulement quelques jours”.

De son côté, l’académie de Versailles explique que l’enseignante a été “placée en congé pour invalidité temporaire imputable au service (Citis) du 3 février au 10 septembre”. 

De plus, “sa demande de mutation a pu donner lieu, dans un premier temps, à une affectation à titre provisoire dans une autre académie depuis la rentrée”, a poursuivi l’académie, assurant mettre “tout en œuvre pour qu’elle puisse obtenir l’affectation qu’elle souhaite à la prochaine rentrée scolaire”.

Une rencontre entre le rectorat et les représentants de l’enseignante est d’ailleurs prévue cette semaine.

*Le prénom de l’enseignante a été modifié.

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