Le Figaro | PDF | Crise migratoire en Europe | Bélarus
samedi 13 - dimanche 14 novembre 2021
LE FIGARO
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L'ÉVÉNEMENT
autorités polonaises ont considérable-ment renforcé la présence des forces de l’ordre sur cette section forestière ainsi que dans l’ensemble de la région. Elles ont d’ailleurs fermé mardi et jusqu’à nouvel ordre leur passage frontalier. Les températures frôlant le zéro, et parfois négatives la nuit, ont forcé les exilés à installer des tentes et à se ré-chauffer grâce à des feux de camp, sous l’œil des forces de l’ordre biélorusses qui supervisent leurs mouvements. Dans ce paysage devenu militarisé, des « check-points » ont également fait leur appari-tion en Podlachie, en lisière des villages immédiatement frontaliers afin de ne laisser passer que les habitants des 183
HÉLÈNE BIENVENU
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@bienvenuLN
ENVOYÉESPÉCIALEENPODLACHIE(POLOGNE)
CES DERNIERS JOURS, les routes d’ordi-naire tranquilles de Podlachie, dans l’est de la Pologne, sont devenues mécon-naissables. Convois militaires, camions de police et 4 × 4 des gardes frontières sillonnent nuit et jour les bourgades à proximité de la frontière avec la Biélo-russie. De l’autre côté, non loin de la lo-calité de Bruzgi, 3 000 à 4 000 migrants originaires principalement d’Irak, sou-haitent rejoindre la Pologne et se trou-vent coincés aux environs du passage frontalier de Kuźnica depuis lundi. Les
Aux frontières de l’Europe, le calvaire des migrants dans les griffes de Minsk
Plusieurs milliers de personnes, manipulées par le régime biélorusse, espèrent pouvoir pénétrer en Pologne.
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Biélorussie
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LerégimedeLoukachenkos’improvisepasseurdemigrants
Infographie
Sources:Bild,DPA,Wikipédia
GEORGES MALBRUNOT
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@Malbrunot
SUR LA VIDÉO filmée de nuit en début de semaine, on voit une longue file d’attente de passagers à l’extérieur de l’aéroport de Damas. Des centaines de jeunes, Kurdes irakiens pour la plupart, originaires, selon l’auteur de la vidéo postée sur Twitter, de Dohouk et Zakho, s’apprêtent à prendre un vol Damas-Minsk. Celui-ci est opéré par la compagnie Cham Wings Airlines, jadis propriété de Rami Makhlouf, le cou-sin germain de Bachar el-Assad, jusqu’à sa disgrâce, il y a deux ans. Cham Wings s’est fait connaître par des vols vers la ville rus-se de Rostov-sur-le-Don et Benghazi en Libye, où des mercenaires russes et sy-riens ont été dépêchés.En un mois, une vingtaine de vols Damas-Minsk ont été recensés par le site de navigation aérienne Flightradar24, et les derniers vols affichaient complets. L’existence de cette liaison n’a rien de surprenant : la Biélorussie compte parmi les pays alliés de la Syrie, une proximité mêlant convergences politiques et inté-rêts financiers.L’autre point de départ des migrants vers la Biélorussie est le Liban.
« En raison de la crise socio-économique que nous vi-vons, les contrôles à l’aéroport se sont allé-gés »
, reconnaît depuis Beyrouth un jour-naliste libanais, qui tient à rester anonyme. Au pays du Cèdre, les candidats au voyage sont souvent des réfugiés sy-riens, qui en ont assez de vivoter au Liban, désireux de tenter leur chance en Europe,
Damas et Beyrouth, points de départ pour l’exil
PROPOSRECUEILLISPAR
ANNE ROVAN
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@AnneRovan
CORRESPONDANTEÀBRUXELLES
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A SITUATION était toujours tendue vendredi à la frontière entre la Biélorus-sie et la Pologne. Plusieurs milliers de mi-grants se trouvent dans cette zone pour tenter de rejoindre l’UE. Des milliers d’autres seraient à Minsk, en attente de prochaines opérations de déstabilisation. Le président Loukachenko pourrait-il mettre la pression sur la Lituanie ? Ce pays est loin d’avoir la force de frappe de la Pologne qui, selon une source euro-péenne, aurait déployé au total quelque «
13 000 militaires, 12 000 gardes-fron-tières et des forces anti-émeutes
» à la frontière biélorusse. Alors que beaucoup redoutent de voir ces attaques hybrides se transformer en conflit militaire, les ministres de la Défense des pays Baltes ont appelé «
l’UE et l’Otan à donner des réponses claires et immédiates pour ga-rantir que de telles tentatives de déstabili-sation de l’Europe échoueront
». C’est dans ce contexte de fortes tensions que la Commission tente d’endiguer les arri-vées de migrants en Biélorussie. Le vice-président, Margaritis Schinas, a débuté une série de déplacements pour convain-cre plusieurs pays d’origine et de transit de ne pas se rendre complices du régime de Minsk en fermant les yeux sur les dé-parts de migrants depuis leur sol.
LE FIGARO. - Alexandre Loukachenko a fait de l’instrumentalisation des migrants une arme contre l’UE. Devons-nous nous préparer à d’autres attaques de ce type ?
Margaritis SCHINAS. -
Elles vont se mul-tiplier. Attirer les migrants en profitant de leur fragilité est une des choses les plus faciles au monde. Les mettre en scène, en plaçant des femmes, des enfants et des bébés devant les gardes-frontières, n’est pas très compliqué non plus. L’objectif est de déstabiliser l’UE.
Pour endiguer les arrivées de migrants en Biélorussie, vous avez débuté jeudi une série de déplacements dans plusieurs pays d’origine et de transit. Quels sont vos messages ?
Je souhaite créer une coalition de parte-naires pour répondre aux actions sans scrupule d’Alexandre Loukachenko. J’étais jeudi aux Émirats arabes unis et ce
Schinas : « L’objectif de Loukach
entières sont parfois condamnées à une errance de plusieurs jours dans la forêt, sans eau ni vivre ni abri. Une dizaine de personnes y sont d’ailleurs mortes d’hy-pothermie ou de fatigue. Le média polo-nais Oko.press rapporte, citant des sources présentes dans le campement côté biélorusse, qu’un jeune Kurde de 14 ans a succombé à une hypothermie. Son corps aurait été enlevé par les forces biélorusses. Abdul (*) fait partie de ceux qui ont eu de la chance. Ce Syrien de 36 ans est de-puis peu pris en charge dans un centre d’hébergement pour réfugiés côté polo-nais, non loin de la frontière.
« Je suis tel-lement content de m’en être sorti, j’ai bien cru que j’allais mourir. Et dire que d’autres y sont encore… »,
confie cet homme aux yeux foncés.
« Ce périple est incroyable-
localités sous état d’urgence depuis le 2 septembre. Ni la presse, ni les ONG n’ont droit de s’y rendre, laissant un vide informationnel et humanitaire béant. Celui-ci est comblé par les « informa-tions » des médias publics biélorusses – sous contrôle du dictateur Alexandre Loukachenko – et les vidéos des forces de l’ordre polonaises, que complètent quelques vidéos prises par des migrants eux-mêmes ainsi que par des habitants, principalement du côté polonais. C’est dans cette curieuse ambiance qu’ONG et bénévoles tentent de conti-nuer à opérer comme ils le font depuis cet été, période à laquelle la vague migratoire inédite organisée par Louka-chenko s’est mise à toucher la Pologne, à la frontière extérieure de l’UE. Ce pays, qui fait partie de l’espace Schengen, a enregistré depuis le début de la crise plus de 32 000 franchissements irréguliers de la frontière qu’elle partage avec la Bié lorussie – dont 17 000 rien qu’au mois d’octobre. Les migrants sont presque systématiquement refoulés par les auto-rités polonaises, même en cas de de-mandes d’asile. Résultat : des familles
en Allemagne notamment. Ce pays ac-cueille déjà de nombreux Syriens ayant fui la guerre civile qui ravage leur pays depuis dix ans.Le marché des migrants fuyant l’insta-bilité du Moyen-Orient est juteux. Des embryons de filières se sont mis en place. À Beyrouth, le visa pour la Biélorussie est accordé par le consulat, qui fait aussi office d’agences de voyages.
Damas réfractaire
Certains adultes partent en éclaireurs, laissant derrière eux femmes et enfants au Liban. Ils volent, depuis Beyrouth, avec la compagnie nationale Belavia. Jusqu’en octobre, elle n’opérait qu’un vol direct hebdomadaire Beyrouth-Minsk. Mais de-puis une dizaine de jours, pour répondre à la demande, deux vols sont programmés, soit environ 350 passagers transportés, chaque semai-ne.
« Ce qui était sporadique est en passe de devenir plus régulier »
, se borne à répon-dre un officiel libanais, joint au téléphone à Beyrouth, qui dément tou-tefois l’existence de réseaux organisés.L’urgence a conduit les responsables de l’Union européenne (UE) à multiplier les pressions envers certains pays du Moyen-Orient pour endiguer le flot des migrants vers Minsk.
« La situation globale est que nous voyons des progrès sur tous les fronts »
, s’est félicité vendredi le vice-président de la Commission européenne Margaritis Schinas, après un entretien à Beyrouth avec le président de la Républi-que, Michel Aoun.Ce vendredi, la Direction générale de l’aviation turque a annoncé que les ressor-tissants d’Irak, de Syrie et du Yémen sont désormais interdits
« d’acheter jusqu’à nouvel ordre des billets et d’embarquer pour la Biélorussie depuis les aéroports de Turquie »
. Il y avait jusque-là 17 vols heb-domadaires pour Minsk à partir d’Is-tanbul.
Lundi, Margaritis Shinas sera à Bag-dad. Selon un employé de la compagnie nationale Iraqi Airways joint par
Le Fi-garo
dans la capitale irakienne, la com-pagnie privée Fly Baghdad vient d’arrêter ses vols vers Minsk. Début août, déjà, Ira-qi Airways avait été contrainte, sous pression européenne, de suspendre ses vols vers la Biélorussie. L’Irak et la Turquie se sont, a priori, conformés aux exi-gences de l’UE. L’Europe, qui a rompu avec Bachar el-As-sad pour cause de répression de ses opposants, aura plus de mal à ob-tenir des concessions de la Syrie, sauf à faire elle-même des concessions sur d’autres dossiers. Il pourrait en être de même au Liban, où l’aéroport de Bey-routh se trouve sous le contrôle du Hez-bollah. Cette organisation, alliée de Da-mas et de l’Iran, est placée sur la liste des organisations terroristes par de très nombreux pays de l’UE.
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350
Passagers arrivant chaque semaine à Minsk à bord des vols Belavia en provenance de Beyrouth
vendredi au Liban. Je me rendrai lundi en Irak et ensuite, je l’espère, en Turquie. Aux dirigeants de ces pays, je veux expli-quer qu’il ne s’agit pas de simples dépla-cements de voyageurs mais d’une atta-que contre l’UE. Ces pays souhaitent-ils être impliqués dans des manipulations qui heurtent toute l’opinion publique européenne et qui créeraient une faille dans nos relations ? Je ne le crois pas. Mon second message s’adresse aux com-pagnies aériennes. La politique des transports est un domaine communau-taire. Nous avons de nombreux outils et instruments à notre disposition. Avec la commissaire aux Transports, Adina Va-lean, nous avons eu mercredi une visio-conférence avec l’association des com-pagnies aériennes du monde arabe. Le message a été passé qu’elles doivent tra-vailler avec nous. Je me félicite de la dé-cision de la direction générale de l’aviati-on turque d’interdire à certains ressortissants les vols vers la Biélorussie. Aux gouvernements comme à ces com-pagnies, je dis la chose suivante : nous sommes à un moment où l’Europe compte ses amis.
Comment stopper l’escalade avec le régime de Minsk ?
Le service européen pour l’action exté-rieure et le Conseil travaillent actuelle-ment à un cinquième train de sanctions, touchant des personnes et des entités dont la compagnie nationale aérienne Belavia. Ces sanctions seront décidées et appliquées. Parallèlement, il faut faire monter la pression diplomatique. De ce point de vue, l’attaque menée depuis lundi à la frontière polonaise nous aide considérablement.
L’Europe semble pourtant impuissante. Les sanctions prises précédemment n’ont pas eu le moindre effet sur le régime biélorusse.
L’Europe est une force hybride, avec un marché et des politiques communes. Elle
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La migration est une politique européenne. Pour l’UE, il ne s’agit pas seulement de signer des chèques
”