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Robert Badinter, un « juste » pour la postérité

Robert Badinter un  juste  pour la postérité
ÉDITORIAL. Le rappel de la rectitude et de l’intransigeance de l’ancien garde des sceaux apparaît salutaire au moment où le ministre de l’intérieur oppose la politique au droit, où le rôle du Conseil constitutionnel est contesté et où la sur

Peu d’hommes incarnent de leur vivant, avec autant de netteté, l’universalité des droits de l’homme, la défense des libertés publiques et une certaine idée de la justice et de la République, que Robert Badinter, mort dans la nuit du 8 au 9 février, à l’âge de 95 ans. Si l’abolition de la peine de mort, le combat de sa vie, gagné en 1981, restera attachée à son nom dans l’histoire de la France, c’est que, très controversée à l’époque, elle n’allait nullement de soi, même après l’élection de François Mitterrand.

Grande figure et conscience du camp progressiste, l’ancien avocat devenu garde des sceaux, et le ministre le plus haï de la Vᵉ République, puis président du Conseil constitutionnel, incarne aussi les tentatives de la gauche pour rendre concret, pour chaque citoyen, l’exercice des droits humains proclamés dans les textes fondateurs de la République. « La France, répétait-il, n’est pas la patrie des droits de l’homme, elle est la patrie de la Déclaration des droits de l’homme. »

Cette conviction de la nécessité de livrer sans cesse bataille pour rapprocher la réalité des idéaux universalistes proclamés, mais toujours menacés, Robert Badinter l’avait sans doute héritée de son père qui avait fui les pogroms de Bessarabie, un homme pour qui la France se confondait avec la République, celle de l’émancipation des juifs par la Révolution et celle des droits de l’homme. Il tenait aussi probablement ses idées fortes du choc des persécutions des juifs dans la France de Vichy qui avaient conduit à l’assassinat par les nazis d’une partie de sa famille dont son père.

La nécessité des contre-pouvoirs

Longtemps avocat des politiques et des stars, le travailleur acharné, grand bourgeois ascétique et sûr de son talent, fortifiera ses convictions abolitionnistes dans la défense d’assassins. L’horreur du « claquement sec de la lame sur le butoir » de la guillotine, en 1972, lors de l’exécution de Roger Bontems, dont il ne réussit pas à sauver la tête, lui donnera la force d’affronter les partisans de la peine de mort et de faire voter sa suppression pure et simple par la loi de 1981, façonnant sa stature de « juste » pour la postérité.

Mais son passage au ministère de la justice doit aussi être salué pour l’adoption d’une multitude de textes confortant les droits de nombreux individus, de la suppression du « délit d’homosexualité », en 1982, à l’autorisation accordée aux détenus de regarder la télévision, à la saisine directe, par les citoyens, de la Cour européenne des droits de l’homme.

Le rappel des convictions de Robert Badinter sur la nécessité de contre-pouvoirs indépendants, de son intransigeance sur l’Etat de droit, de ses colères sur le fonctionnement des prisons « broyeuses d’hommes » apparaît salutaire au moment où le ministre de l’intérieur oppose la politique au droit, où le rôle du Conseil constitutionnel est contesté, où la surpopulation carcérale atteint des records inquiétants.

La rectitude de l’ancien garde des sceaux, son intransigeance et son stoïcisme face aux attaques ciblées de l’extrême droite, son opiniâtreté à défendre les valeurs universalistes et européennes, sa capacité à choisir des combats justes et à les remporter ne peuvent qu’inspirer la gauche, difficilement remise de l’épreuve du pouvoir. Mais c’est sans doute l’intense force de conviction d’un « grand homme » digne du Panthéon, la cohérence de ses combats avec son itinéraire personnel, professionnel, politique et intellectuel, que chacun gardera en héritage de la grande conscience française qu’était Robert Badinter.

Le Monde

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