Cyclisme – Tour de France. « Ça va exploser dans le puy de Dôme »

L’image est imprimée à l’encre de la nostalgie dans les mémoires. Le Tour-1964, Jacques Anquetil et Raymond Poulidor au coude à coude sur le goudron en colimaçon du puy de Dôme, le second reprenant 42 secondes sans pouvoir priver le premier d’un cinquième sacre final.

Grand-messe plus que séculaire, la Grande Boucle garantit sans cesse des allers-retours vers le passé. Aussi est-il tentant d’établir un parallèle entre le flamboyant Tadej Pogacar (UAE Emirates) et Poulidor, entre Jonas Vingegaard (Jumbo-Visma), le taiseux du Nordjylland, et Anquetil, « celui qui comptait tout », à la « façon plutôt polaire de triompher », pour reprendre les mots d’Antoine Blondin. « Ça va exploser dans le puy de Dôme », prédit le Slovène. Un nouveau bras de fer à la pédale est annoncé, le cinquième déjà en neuf étapes de cette édition 2023 à l’intensité insensée entre les deux monstres.

Le géant ensommeillé d’Auvergne, que l’épreuve n’a plus troublé depuis trente-cinq ans, offrira autant de minutes d’ascension en totalité depuis Clermont-Ferrand (13,3 km à 7,7 % de pente moyenne), dont quatre ultimes kilomètres brutaux (12 %). « C’est très, très raide », commentait au sommet (1 465 m), Vingegaard, vainqueur 2022, venu en reconnaissance le 2 juin. « Je crois n’avoir jamais gravi une montée pareille, assurait le Danois. On n’a pas de répit. Faute de virages, il faut appuyer sur les pédales sans arrêt. » « C’est dur mentalement, complétait l’Italien Giulio Ciccone. On voit la pente se dérouler sans arrêt devant nous. » Car la spirale enlaçant le volcan éteint paraît droite pour un peloton en plein effort. « À la vitesse à laquelle on va, on a juste l’impression d’avoir un mur en face de soi qui ne bouge pas », décrit Thierry Gouvenou, l’homme traçant le parcours.

Pogacar, lui, n’a pu reconnaître les lieux, il a priorisé un stage d’entraînement après sa convalescence. Son équipier polonais Rafal Majka s’est donc livré au repérage pour lui. «  J’ai envoyé une vidéo à Tadej des derniers hectomètres, afin qu’il ait des informations  », avait indiqué l’intéressé. Le reste du temps, une barrière bloque l’accès à ces quatre derniers kilomètres, interdits aux cyclistes si ce n’est à l’occasion d’une cyclosportive, une fois par an. Question de préservation du site naturel, labellisé Grand site de France depuis 2008 et même patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2018. Conjugué à l’étroitesse de la route, cela explique la si longue absence du Tour. « Quand Christian (Prudhomme) a intégré la direction du Tour de France (en 2004), il dit que la première chose qu’il ait écrite sur son ordinateur est ‘Puy de Dôme’, rapporte Gouvenou. Il ne s’imaginait pas que ça prendrait autant de temps d’y revenir. »

La dernière portion de 4 km sera donc interdite aux spectateurs, privés de la conclusion de l’étape et du panorama unique sur la Chaîne des puys, semblable à des taupinières géantes. Des portiques disséminés sur les routes environnantes doivent repousser les camping-cars. Un système de drones thermiques était envisagé pour repérer ceux comptant se faufiler sur les flancs du volcan.

Pas de caravane là-haut, donc. Seuls 20 % des véhicules suiveurs pourront emprunter la voie d’à peine quatre mètres de large, longée par un train à crémaillère panoramique. Une seule voiture par équipe sera autorisée et celle-ci ne pourra doubler les coureurs décrochés. Malgré des postes de dépannage épars, l’incident mécanique est déconseillé. Mais il ajouterait de la dramaturgie au mythe.