Vladimir Poutine, le triomphe forcé
Et de cinq. Depuis près d’un quart de siècle, Vladimir Poutine règne sur la Russie. Sa réélection pour un cinquième mandat présidentiel, dimanche 17 mars, par plus de 87 % des voix, lui permet d’étendre ce règne jusqu’à trente ans. Si le cœur lui en dit, il pourra en briguer un sixième en 2030, puisqu’il a fait modifier la Constitution en ce sens.
On ne s’attardera pas sur les conditions du vote ni sur l’absence d’observateurs indépendants. Ce résultat était attendu, compte tenu du carcan de propagande dans lequel son régime enserre la population et de l’impitoyable vague de répression qui s’est abattue sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à une opposition depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, le 24 février 2022. Il ne fallait pas s’attendre non plus à ce qu’un des trois autres candidats agréés inquiète le président sortant : ils avaient précisément été admis pour lui éviter tout embarras. Les véritables et courageux gêneurs ont été éliminés, physiquement si nécessaire, comme cela a été le cas d’Alexeï Navalny, mort en prison le 16 février.
Les dictateurs modernes attachent une grande importance à l’apparence de légitimité que confère le vote populaire, en dépit de leur mépris pour les procédures démocratiques. Dans le cas de M. Poutine, plus il est retourné devant les urnes, plus il a eu besoin de montrer qu’il était plébiscité. Elu avec seulement 53,44 % des voix en 2000, il n’a cessé d’améliorer son score aux scrutins suivants, hormis en 2012, lorsqu’il a repris la présidence après l’intérim de Dmitri Medvedev, avec un important mouvement de protestation contre la fraude électorale.
Entreprise impériale
On peut imaginer qu’une popularité qui lui a permis de passer en vingt-quatre ans d’un score de 53 % à 87 % est l’expression de la gratitude des électeurs pour son bilan. Mais quel bilan ! Une économie qu’il n’a jamais su diversifier malgré la richesse apportée par les hydrocarbures. Une démographie si déclinante qu’il a dû supplier les femmes russes, dans un de ses récents discours, de faire des enfants. Un pays en guerre désormais permanente, qui l’a conduit à recruter dans les prisons, à négocier des fournitures d’armes auprès de la Corée du Nord et de l’Iran, à engloutir toutes ses ressources dans l’industrie de l’armement et à accepter un statut de vassal à l’égard de son protecteur chinois. Des élites urbaines décimées par l’exode massif des jeunes professionnels partis pour échapper à la mobilisation. Un système de pouvoir si concentré sur lui-même qu’il fait passer le Politburo du Parti communiste soviétique pour un modèle de démocratie.
Sur le plan diplomatique, en travestissant sa conquête de l’Ukraine en croisade antioccidentale, le président russe s’est gagné la sympathie d’une partie du Sud global. Mais il ne peut même pas en profiter : le mandat d’arrêt délivré contre lui par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre le contraint à limiter ses déplacements à l’étranger.
Il a refait l’unité de l’Occident contre lui en envahissant l’Ukraine. L’OTAN, dont il a tant condamné l’élargissement, s’est de nouveau élargie, grâce à lui, à deux nouveaux membres et pas des moindres, la Finlande et la Suède.
Fort de cette nouvelle manifestation d’adhésion – dont une grande partie est réelle – à ses desseins, M. Poutine va sans doute vouloir continuer de plus belle son entreprise impériale. Le seul moyen de l’arrêter, de l’empêcher d’avaler ses voisins et de semer le chaos en Europe est de lui infliger une défaite en Ukraine.
Le Monde
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