Hommage de Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, à Pierre Soulages
Pierre Soulages, l’immense artiste qui nous a appris à voir la lumière dans le noir nous quitte aujourd’hui à 102 ans, au terme d’une carrière éblouissante qui nous laisse en héritage un imaginaire visuel profondément renouvelé.
Dans une œuvre unique, Pierre Soulages a canalisé la puissance de traditions picturales anciennes. Peintures rupestres qui l’ont tant marqué enfant, statues-menhir, vitraux de Conques… Celui qui déclarait qu’« en art, tout est métaphysique » en a renouvelé l’écho avec une infinie liberté.
Peintre formidable, Pierre Soulages était aussi un magicien de la matière. Il naviguait entre broux de noix, cuivre, encre, peinture ou terre… En explorant tous les genres, il forge dès les années 1940 un style singulier très vite reconnu par les conservateurs, amateurs et galeristes du monde entier et en particulier aux Etats-Unis où il est exposé dès 1954.
Dans son œuvre, il fait d’abord jaillir la lumière par le contraste entre le blanc de la toile et la couleur, surtout le noir, qu’il associe au bleu, au brun, au rouge. Il découvre ensuite que le noir dans sa matière même réfléchit, transmet, transforme la lumière. Ce noir lumineux qui crée son propre contraste deviendra l’outrenoir, signature du maître.
Des grandes toiles abstraites sans titre qui captent – pour reprendre l’expression de Michel Ragon – « les pulsations du monde et les grands rythmes de la nature » aux eaux fortes et vitraux pour l’abbaye de Conques, l’œuvre de Pierre Soulages touche et fascine depuis plus de 80 ans les publics les plus divers, au-delà du monde des musées. Il y a des vignerons, des artisans, des physiciens, qui vous parleront avec passion et émotion de leur rencontre avec l’art de Pierre Soulages.
Porteur de la force de la création française, il fut en 2001 le premier artiste vivant invité à exposer au musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg. Pour ses 90 ans, en 2009, le Centre Pompidou à Paris lui offrit la plus grande rétrospective jamais consacrée à un artiste vivant avant la magnifique exposition qui lui fut consacrée au Louvre, à l’occasion de son centenaire.
En ce jour de deuil, je pense à ses proches, à tous ceux qui l’entouraient, à Sète, où, sans jamais poser son pinceau, il vivait et travaillait jusqu’au dernier jour. Je pense à Rodez sa ville natale où, sur la base d’une exceptionnelle donation, s’est édifié le magnifique musée Soulages, labellisé musée de France. A Montpellier, où ses merveilleux polyptiques accrochés dans un pavillon de verre apportent la sérénité aux visiteurs du musée Fabre depuis 2007.
Pierre Soulages aimait à raconter que c’est lors d’une visite scolaire à l’abbaye de Conques, que le petit garçon de douze ans qu’il était, orphelin de père, vivant loin de tout univers artistique, a eu la révélation du beau, et de sa vocation : « Cela produisait en moi une telle exaltation que je me suis dit : « Il y a une seule chose importante dans la vie, c’est l’art. J’aime faire de la peinture, je serai peintre. »
Son œuvre est la meilleure démonstration de ce que peut l’art dans ce monde, pour s’émanciper et s’éblouir.J’adresse à son épouse, Colette, à sa famille et à ses proches mes plus sincères condoléances.