Philippe Grumbach, le directeur de «l'Express» qui était agent du KGB
Espionnage
«Plus c’est gros, plus ça passe». Directeur de l’Express, Philippe Grumbach était également agent du KGB, le service de renseignement de l’URSS, entre 1946 et 1981, révèle l’hebdomadaire dans une enquête publiée le 13 février. Philippe Grumbach, mort en 2003, occupait des fonctions de rédacteur en chef de 1956 à 1960 au sein du journal, avant d’en devenir après plusieurs détours, chef du service politique, puis rédacteur en chef et enfin directeur de la rédaction en 1974. «Proche de Mitterrand et de Giscard, il a été, à l’insu de tous, un des plus grands espions soviétiques de la Vème République», peut-on lire dans l’article de L’Express.
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C’est «l’entourage intime» de l’homme aux multiples – et surprenantes – casquettes qui a confirmé à l’Express son appartenance aux services de renseignement soviétique, après une enquête permise en grande partie par les archives de l’université de Cambridge. Parmi elles, celles de Vasili Mitrokhine, archiviste en chef du KGB entre 1972 et 1982, avant de faire défection et de se rendre au Royaume-Uni avec quantité de documents, dont des centaines de nom d’espions. Des archives dans lequelles Cyril Gelibter, doctorant en histoire, découvre en 2018 le nom de Grumbach. «Recruté en 1946» la description d’un agent dénommé «Brok» et reprend les mêmes éléments de description, dont «directeur du journal l’Express».
Les archives donnent aussi une idée du genre de tâches qui pouvait être attribué à «Brok», bien qu’une seule d’entre elles ne soit clairement dévoilée. Philippe Grumbach a ainsi été missionné pour transmettre à Jacques Chaban-Delmas de faux documents supposés contenir des conseils d’Américains à son rival gaulliste, Valéry Giscard d’Estaing, pour le battre (lui et François Mitterrand) lors de la présidentielle de 1974. Le tout, afin de désagréger une potentielle union à droite lors du second tour.
Philippe Grumbach «sur le champ du déshonneur»
L’actuel directeur de la rédaction de l’Express, Eric Chol, s’interroge sur les motivations de Philippe Grumbach. Idéologie ou goût de l’argent ? L’enquête mentionne de lui qu’il était «plus qu’un agent d’influence», au vu des mentions à son égard dans les archives Mitrokhine : «Renseignements», «informations», «missions». Brok jouait un rôle actif pour le KGB, et fait même partie des treize meilleurs agents français auxquels l’agence offre une prime exceptionnelle. Car Philippe Grumbach ne faisait pas dans le bénévolat. Les archives mentionnent, entre 1976 et 1978, le versement de 399 000 francs, «l’équivalent de 252 000 euros de 2022, en prenant compte l’inflation, selon les coefficients de l’Insee», précise l’enquête.
Durant sa longue carrière de journaliste, Philippe Grumbach est également passé par l’Agence française de presse (actuelle AFP), Libération, Pariscope (qu’il crée) et d’autres médias, sans que son lien avec le KGB ne soit révélé. «Sur le champ du déshonneur, le nom de Philippe Grumbach rejoint ainsi celui d’autres agents de l’Est infiltrés dans les plus hautes sphères de l’Etat ou dans les médias, et désormais démasqués», assène Eric Chol, l’actuel directeur de la rédaction de l’Express. «Il était impossible de ne pas dévoiler cette zone d’ombre au sein d’un journal qui, de Jean-Jacques Servan-Schreiber à Jean-François Revel, de François Mauriac à Raymond Aron, s’est toujours attaché à combattre les utopies totalitaires et les ravages du communisme», écrivent Etienne Girard et Eric Chol dans l’édito du magazine.