Interdiction des PFAS : récit d'une victoire inespérée
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Le texte de loi anti-PFAS a été adopté définitivement par l’Assemblée nationale le 20 février à 13 heures.
La victoire n’a jamais été aussi proche pour Les Écologistes. Jeudi 20 février, les députés verts auront la main sur les discussions à l’Assemblée nationale, à l’occasion de leur « niche parlementaire » annuelle. Ils en profiteront pour soumettre en deuxième lecture une proposition de loi visant à interdire la fabrication et la mise sur le marché de produits contenant des per- et polyfluoroalkylés — des molécules plus connues sous l’acronyme PFAS ou « polluants éternels ». Le texte, imaginé dès 2022 par le député de Gironde Nicolas Thierry, a de bonnes chances d’être adopté définitivement. Retour sur un succès politique complètement inespéré.
Les PFAS sont présents dans une multitude d’objets du quotidien, des vêtements déperlants aux poêles antiadhésives, en passant par le papier toilette. Ils sont prisés par les industries pour leurs propriétés antiadhésives, antitaches et imperméabilisantes. Mais ces substances sont aussi terriblement persistantes : elles ne se dégradent pas dans l’environnement, s’accumulent et migrent dans l’eau, la terre et l’air. À tel point que des scientifiques en ont trouvé jusque dans des tissus adipeux d’ours polaires au Groenland.
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Or, des études ont montré que les PFAS nous rendent malades. Ils ont entre autres des effets néfastes sur la fertilité, le taux de cholestérol, accroissent le risque d’hypertension, les maladies thyroïdiennes ou encore le poids à la naissance. Alors que les États-Unis se sont emparé de cette question sanitaire dès la fin des années 90 — un scandale au cœur du film Dark Waters en 2019 —, celle-ci est restée invisible en France. À l’exception de quelques collectifs de citoyens vivant près d’industries polluantes, quasiment personne ne connaissait l’acronyme PFAS en France il y a encore quelques années.
Sous les radars depuis 30 ans
« Au début de mon mandat de député [en juin 2022], des scientifiques m’ont alerté sur ce sujet qui passait complètement sous les radars européens et français », raconte Nicolas Thierry. Après des semaines à étudier cette question, l’élu dit avoir été « frappé par le décalage entre la gravité des faits » et la manière dont le sujet était ignoré des pouvoirs publics.
Avec l’aide de ces scientifiques et de son équipe parlementaire, le député a déposé en avril 2023 une première proposition de loi. Le texte visait déjà à interdire la fabrication et la commercialisation des produits contenant des PFAS. « Mais on s’est dit qu’on n’allait pas tout de suite entrer dans le travail parlementaire, explique Nicolas Thierry. On savait que le sujet était méconnu et qu’il y avait en face de nous des lobbies industriels, puissants et organisés. » De peur de « se faire balayer », la « petite équipe » a opté pour une stratégie visant à « faire monter le sujet dans le débat public ».
« J’étais la plus jeune [...] et la plus polluée »
Première étape : mettre en scène l’omniprésence des PFAS. En juillet 2023, quatorze députés du groupe écologiste ont accepté de faire analyser leurs mèches de cheveux et de dévoiler les résultats lors d’une conférence de presse. Tous étaient contaminés aux PFAS. Marie-Charlotte Garin, élue du Rhône, était celle dont les cheveux contenaient le plus de molécules recherchées, 8 sur 12.
La députée vit dans « la vallée de la chimie », au sud de Lyon, près des sites industriels d’Arkema et Daikin — deux groupes chimiques accusés de rejeter plusieurs tonnes de PFAS dans l’environnement. « Sur les quatorze députés testés, j’étais la plus jeune, celle qui avait le mode de vie le plus sain, et pourtant j’étais la plus polluée », se souvient-elle. Pour elle, ces résultats prouvent « les limites de la responsabilité individuelle face à la pollution environnementale. C’est à l’État de protéger la population ».
Nagui, Camille Étienne...
Ce premier coup de com’ a fonctionné. Nicolas Thierry estime avoir parlé à « 40 ou 50 médias en quelques jours ». Afin d’ancrer le sujet dans les territoires, le député s’est ensuite lancé dans un « tour de France » en septembre 2023. Avec à chaque fois le même principe : « J’étais invité par un député dans sa circonscription, puis on testait 12 à 15 habitants volontaires, de tous les âges, hommes et femmes. »
En tout, entre septembre 2023 et mars 2024, 152 personnes ont été testées. 94 % d’entre elles avaient au moins un PFAS dans leur corps. Celle qui en possédait le plus résidait à Lyon, dans « la vallée de la chimie », comme Marie-Charlotte Garin.
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Alors que de plus en plus de médias locaux couvraient ces campagnes de tests, les réseaux sociaux leur ont emboîté le pas. La militante et très médiatisée Camille Étienne a coréalisé un long documentaire sur les polluants éternels, diffusé sur YouTube et dans plusieurs cinémas.
D’autres créateurs de contenus, invités à ces projections, ont pris le relais. Les conseils pour remplacer ses poêles en Téflon ont fleuri en un temps record sur Instagram. « Les influenceurs ont eu un rôle déterminant, ils ont montré à leur audience l’urgence sanitaire », estime Nicolas Thierry. Le député a également fait appel à des personnalités, comme l’animateur de télévision Nagui, pour tester leurs cheveux.
Entre-temps, les enquêtes des médias se sont multipliées, de Vert de rage à Complément d’enquête, en passant par celles du journal Le Monde. « La France a réalisé en quelques mois l’ampleur de cette pollution généralisée », rappelle François Veillerette, porte-parole de l’association Générations futures.
Puis les débats ont enfin commencé à l’Assemblée nationale. Le 4 avril 2024, lors de leur niche parlementaire, les députés du groupe écologiste ont décidé de placer la proposition de loi en première position. « Il y avait un consensus, se souvient Cyrielle Chatelain, la présidente du groupe. On savait qu’on prendrait le temps qu’il faudrait pour aller au vote, même si cela devait prendre la moitié de la journée [et donc empêcher la discussion d’autres textes] ».
Un défilé de casseroles
La bataille a été rude. Le gouvernement — représenté par le ministre de l’Industrie de l’époque, Roland Lescure — s’est opposé au texte. Il a dénoncé une proposition de loi qui mettrait en danger le marché unique européen en demandant une législation nationale, et qui serait « inefficace » en interdisant les substances de PFAS plutôt que les usages dangereux.
Des parlementaires se sont en outre alliés pour exclure les ustensiles de cuisine du champ du texte de loi. « [Cela] entraînerait la disparition de 1 800 emplois directs », a par exemple avancé Pierre Vatin, député Les Républicains (LR) de l’Oise. Un argument qui avait déjà été entendu la veille, lorsque le groupe industriel SEB (qui détient notamment les usines de poêles antiadhésives Tefal) avait organisé une manifestation devant l’Assemblée nationale. Des bus avaient été affrétés pour emmener les employés jusqu’à Paris.
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Des salariés du groupe SEB manifestant devant l’Assemblée nationale, le 3 avril 2024. © NnoMan Cadoret / Reporterre
« Le lobbying grossier de SEB a fait son effet », regrette Nicolas Thierry. Un amendement excluant les ustensiles de cuisine de la proposition de loi a ainsi été adopté. Mais le reste du texte a finalement été adopté à l’unanimité (186 voix exprimées, les groupes LR et Rassemblement national s’étant abstenus). « Le groupe Renaissance a voté contre l’avis du gouvernement, ce qui est extrêmement rare, analyse Nicolas Thierry. Les autres groupes [de droite] n’ont pas osé voter contre, car cela aurait été compliqué d’assumer un vote contre la santé publique. » « Ils se sont bien débrouillés, félicite François Veillerette. La proposition de loi était habile, équilibrée, à la fois ambitieuse et réaliste. »
En plus de l’interdiction des produits contenant des PFAS dans les secteurs des produits cosmétiques, de fart (pour les sports de glisse) et les textiles d’habillement, le texte a consacré une obligation de contrôler la présence de ces substances dans l’eau potable, et la mise en place d’une taxe visant les industriels qui en rejettent.
« Rester prudents »
Le 30 mai dernier, le Sénat a également adopté à l’unanimité le texte. Les ustensiles de cuisine n’ont pu être réintroduits dans la proposition de loi. « On a fait le constat qu’on n’avait pas de majorité sur ce point », reconnaît Nicolas Thierry.
C’est donc ce 20 février que la deuxième lecture à l’Assemblée nationale permettra — ou non — l’adoption définitive du texte. Pour être validé, il devra être voté dans les mêmes termes qu’au Sénat. Autrement dit, aucun amendement ne pourra être adopté. Toute modification, même l’ajout d’une minuscule virgule, renverrait la proposition de loi au Sénat. Or le groupe écologiste « n’aura pas le poids politique et la possibilité de réinscrire le texte à l’ordre du jour », avoue Nicolas Thierry.
« Il faut toujours rester prudents, mais j’ai l’impression qu’on a trouvé un large consensus », affirme Cyrielle Chatelain. Cette fois, le gouvernement — par la voix de la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher — s’est dit favorable à l’adoption du texte. Seuls quelques députés, notamment du Rassemblement national, ont déposé des amendements, laissant craindre une éventuelle entrave. La militante Camille Étienne a d’ailleurs affirmé sur Instagram avoir croisé le 18 février la responsable communication de Tefal prenant un café avec un député du groupe d’extrême droite.
Selon Marie-Charlotte Garin, le revirement du gouvernement est « le témoignage de la force qu’on peut représenter quand on travaille main dans la main avec les scientifiques, les journalistes d’investigation et la société civile. C’est une victoire collective immense — même si partielle —, un cas d’école de bonnes pratiques qu’on doit renouveler ». « C’est un bel exemple de complémentarité, abonde François Veillerette. La politique, quand c’est fait comme ça, c’est assez sympa. On voit qu’on arrive à faire avancer les choses. »
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