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Persécution des Ouïghours au Xinjiang : "Il suffit de pratiquer sa culture pour être envoyé dans ces camps"

Persécution des Ouïghours au Xinjiang  Il suffit de pratiquer sa culture pour être envoyé dans ces camps
#International: GLACANT - La réapparition d'images filmées par un drone révélant des déplacements de détenus dans le plus grand secret au Xinjiang ravive la question du sort pour le moins inquiétant de cette minorité musulmane en Chine. Comment en
InternationalGLACANT - La réapparition d'images filmées par un drone révélant des déplacements de détenus dans le plus grand secret au Xinjiang ravive la question du sort pour le moins inquiétant de cette minorité musulmane en Chine. Comment en sommes-nous arrivés là ? Jean-Philippe Béja, politologue spécialiste de la Chine, fait le point sur la situation.

2020-07-21T17:26:43.590Z - Romain LE VERN

C'est une vidéo  qui vient de réapparaître sur les réseaux sociaux et qui ne laisse aucune conscience tranquille. Initialement diffusée sur YouTube le 17 septembre 2019, par le compte anonyme "War on Fear" (soit "la guerre à la peur"), ces images, prises par un drone, et courageusement révélées au monde entier, montrent une gare avec un convoi à l’arrêt, des prisonniers, la tête rasée, un bandeau sur les yeux, les mains liées derrière le dos, surveillés par des hommes armés. Transférés où ? A l’intérieur du Xinjiang et vers d’autres provinces chinoises ? La destination reste floue. Mais les images, par ce qu'elles avivent et convoquent, interpellent forcément le regard.

La vidéo de ce transfert de prisonniers, qui a initialement été analysée par un chercheur en informatique australien dans un long thread implacable sur Twitter et qui a depuis été authentifiée par les services de renseignements occidentaux, donne un aperçu de la réalité des exactions menées par le régime chinois sur les Ouïghours et donc la preuve d'un système totalitaire mis en place au Xinjiang. Un document rarissime tant, précise le Times, "la mainmise de Pékin sur la province du Xinjiang est importante”. 

Cette vidéo a été diffusée dimanche 19 juillet par la BBC afin que l’ambassadeur de Chine à Londres Liu Xiaoming, à la base invité pour évoquer l’exclusion de Huawei du réseau 5G britannique, la commente. Désarçonné, il s'est contenté de remettre en cause l'origine de ces images.

"Des héros prennent des risques insensés pour sortir ces images terribles de Chine pour alerter le monde mais les leaders européens n’ont pas un mot. Et les dirigeants des pays musulmans pas plus" s'est exclamé ce même jour Raphaël Glucksman. "Leur silence tue. Et nous couvre tous de honte. Brisons-le", assène le député européen de Place Publique, tentant d'alerter l'opinion et les politiques. "Emmanuel Macron, dites, faites quelque chose. Maintenant. Ou ne venez plus jamais nous parler de la république française, son histoire et ses principes universels" dit-il, s'adressant au chef de l'Etat en arborant la couverture choc de Libération intitulée : "Ouïghours, génocide en cours". 

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Qui sont les Ouïghours ?

Les Ouïghours, principalement musulmans et parlant pour la plupart une langue turcique, c'est-à-dire apparentée au turc, constituent l'un des 56 groupes ethniques en Chine. Ils représentent un peu moins de la moitié des 25 millions de personnes vivant au Xinjiang, immense territoire semi-désertique du nord-ouest chinois longtemps frappé par des attentats meurtriers, attribués par Pékin à des séparatistes et des islamistes.

Ce que l'on sait

C'est le New York Times qui, le premier, a publié en 2019 plus de 400 pages de documents secrets dévoilant comment est orchestrée la répression contre cette ethnie musulmane. Au moins un million de ces musulmans sunnites seraient internés dans ces camps d'endoctrinement dans le nord-ouest de la Chine, selon des organisations de défense des droits humains et selon une étude publiée fin juin par la Jamestown Foundation : "Certaines personnes de ces minorités sont envoyées dans ces camps pour des infractions assez minimes : se laisser pousser la barbe, refuser de manger du porc, avoir le coran à la maison, faire ses prières, donner des prénoms ouïgours à ses enfants..." assure à LCI Jean-Philippe Béja, politologue spécialiste de la Chine. "Il suffit d’appartenir à ces minorités et de continuer à pratiquer sa culture pour être passible d’envoi dans ces camps." Sur place, "on doit apprendre le chinois, chanter des chansons vantant les vertus du communisme, déclamer des odes à la gloire du parti, travailler et être détenu dans des conditions difficiles", poursuit-il. 

Toujours selon l'étude, les femmes seraient également soumises à des stérilisations forcées. Dans les deux grandes préfectures de la région où les Ouïghours sont majoritaires, le nombre de naissances aurait ainsi drastiquement chuté depuis 2016, affirme-t-elle. Selon un article de Vice, les détenus musulmans serviraient aussi de banque à organes appelés "halal", prélevés de force et revendus à prix d'or dans les pays du Golfe. Début juillet, les douanes américaines ont annoncé avoir intercepté une cargaison de différents produits tirés de cheveux humains. Selon les autorités, ils pourraient provenir des camps de travail du Xinjiang, connus pour détenir des Ouïghours.

Comment expliquer une telle répression gouvernementale

"Depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2013, les choses se sont considérablement détériorées en Chine", poursuit Jean-Philippe Béja. Le 30 avril 2014, pour le dernier jour de déplacement du chef d'Etat dans le Xinjiang, un attentat à la bombe a fait un mort et 79 blessés à Urumqi, la capitale de la province. Le président chinois a ainsi donné l'ordre d'être "sans aucune pitié" contre le terrorisme et le séparatisme dans cette région à majorité musulmane. Preuve que Pékin a pris très au sérieux la menace terroriste, après que l'Etim – organisation djihadiste ouïgour - a proclamé la "guerre sainte contre la Chine" dès 2016. 

La même année, "l'arrivée d'un nouveau secrétaire du parti va durcir la donne", souligne le politologue. A savoir, "Chen Quanguo, ancien militaire et haut cadre du Parti communiste chinois, qui se retrouve à la tête de la province du Xinjiang et, ayant fait ses armes au Tibet par une répression assez forte, devient l'exécutant d'une politique d'extermination de l'opposition." Ainsi, depuis 2017, le Parti communiste chinois mène activement une campagne d’assimilation et de détention forcée des minorités ethniques (Ouïghours, Kazakhs, Kirghizes…) pour les parquer dans ce qu'il appelle des "centres de formation professionnelle", qui seraient "destinés à aider la population à trouver un emploi et à l'éloigner ainsi de l'extrémisme".

Pourquoi un silence assourdissant

Depuis des années, et en dépit des vidéos et des témoignages choc, le sort des représentants de cette minorité musulmane chinoise ne soulève guère l’indignation de la communauté internationale. Fin octobre, 54 pays (dont le Pakistan, la Russie, le Cambodge, le Vietnam, l’Ethiopie, Cuba, le Nicaragua, l'Égypte, la Bolivie, la République démocratique du Congo, la Palestine, la Serbie) ont même salué les "remarquables réalisations de la Chine dans le domaine des droits de l’homme en adhérant à la philosophie du développement centré sur l’individu". Face à eux, 23 Etats - dont l’Allemagne, l’Australie, le Canada, les Etats-Unis, la France et le Japon - ont demandé à la Chine "de toute urgence [de s’abstenir] de détenir arbitrairement des Ouïghours et d’autres membres des communautés musulmanes", l’enjoignant à "respecter ses lois nationales, ses obligations internationales et ses engagements pour le respect des droits de l’homme - dont la liberté de croyance - dans le Xinjiang et à travers la Chine".

Les Etats-Unis via le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, ont publiquement condamné mercredi 27 mars les "internements arbitraires" infligés aux Ouïghours : "Nous appelons le Parti communiste chinois (PCC) à cesser immédiatement ces pratiques horribles et nous demandons à tous les pays de se joindre aux Etats-Unis pour demander qu'il soit mis fin à ces abus déshumanisants", a-t-il réagi.

Comment expliquer de telles réactions, dont certaines d'un silence assourdissant ? "Par des questions d’intérêt", assure sans surprise Jean-Philippe Béja. "La Chine avec sa politique de la route de la Soie apporte des investissements, s'avère présente dans différentes régions, achète du pétrole à l’Arabie Saoudite, ne demande pas d’informations sur la manière de traiter leurs opposants, se présente comme un des héros du tiers-monde." De plus, "des pays musulmans, comme la Palestine, ont défendu la Chine face aux Ouighours et leur silence est scandaleux", remarque-t-il. "Le Pakistan est très aidé par la Chine dans son conflit avec l’Inde, les pays ayant soutenu la Chine comptent sur elle", le politologue voyant dans ce pacte "une solidarité des régimes autoritaires". 

Ce mardi, le gouvernement français a réagi. Une pratique "révoltante et inacceptable, et nous la condamnons fermement", a déclaré le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire, sur France Info. Interrogé lors des questions au gouvernement, le ministre de l’Europe des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian a, de son côté, demandé "à ce que la Chine permette l’accès des observateurs indépendants internationaux" dans la zone du Xinjiang. Pour autant, Jean-Philippe Béja ne comprend pas pourquoi l’Union européenne, dans son ensemble, se montre "si discrète sur le sujet" et déplore que "la France qui se prétend pays des droits de l’Homme ne réagisse pas face à un ethnocide, cette tentative de liquidation de l’identité ouighoure" : "On a des intérêts en Chine mais la Chine ne peut agir aussi impunément. Cela a commencé avec la société civile chinoise, cela continue de façon encore plus violente avec les Ouighours, cela se poursuit avec une répression à Hong Kong. Demain, à qui sera le tour ?" 

Romain LE VERN

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