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Transnistrie : pourquoi la guerre en Ukraine suscite l'inquiétude pour ce territoire de Moldavie

Transnistrie  pourquoi la guerre en Ukraine suscite linquiétude pour ce territoire de Moldavie
Après une série d’explosions sur ce territoire séparatiste de l’est de la Moldavie, la crainte de voir le conflit en Ukraine s’étendre à cet ancien pays soviétique est ravivée.

A l’ombre de l’Ukraine, la Moldavie s’inquiète. Ce petit pays neutre d’Europe orientale, peuplé de 2,6 millions d’habitants, subit déjà les conséquences de la guerre qui se déroule chez son voisin et qui a conduit plus de 400 000 personnes à se réfugier sur son sol. Mais Chisinau (la capitale) redoute surtout que le conflit gagne ses frontières. Au cœur de ses préoccupations : la région séparatiste prorusse de Transnistrie.

Des tirs ont été entendus mercredi 27 avril près d’un dépôt de munitions russes situé sur ce territoire. La veille, la présidente moldave, Maia Sandu, avait réuni son conseil de sécurité national après une série d’explosions dans cette même région. « Il s’agit d’une tentative pour accroître les tensions », a-t-elle dénoncé, affirmant que « les autorités moldaves veiller[aient] à empêcher la République d’être entraînée dans un conflit ».

Qu’est-ce que la Transnistrie ?
INFOGRAPHIE LE MONDE

Il s’agit d’une région située à l’est de la Moldavie, petit Etat de la taille de la Belgique logé entre la Roumanie et l’Ukraine. Longue de 450 kilomètres, la Transnistrie couvre un territoire d’un peu plus de 4 100 kilomètres carrés entre le fleuve Dniestr, à l’ouest, et la frontière ukrainienne, à l’est.

Prorusse, la Transnistrie s’est autoproclamée pays indépendant en 1992. Elle a un nom (« république transnistrienne de Moldavie », dont l’acronyme local est « PMR »), une capitale (Tiraspol), un président (Vadim Krasnoselsky), une Constitution, un Parlement, une banque centrale, une monnaie (le rouble transnistrien), un système éducatif propre, et un drapeau orné d’une faucille et d’un marteau, vestiges soviétiques. Elle n’est cependant pas reconnue par l’ONU, ni par aucun Etat.

Sur ses quelque 500 000 habitants, un tiers est d’origine roumaine, et deux tiers sont russes et ukrainiens. Ils parlent le russe, là où les Moldaves de l’autre rive du Dniestr parlent le roumain.

Pourquoi a-t-elle déclaré son indépendance vis-à-vis de la Moldavie ?

Il faut remonter avant 1992 pour comprendre les logiques géopolitiques à l’œuvre dans cette région. Les frontières de l’actuelle Moldavie sont issues de la chute de l’URSS en 1991, mais, dans les siècles qui ont précédé, ce territoire a été écartelé entre plusieurs puissances. Les mémoires portent encore la trace de cette histoire.

La principauté de Moldavie, dont la population était roumanophone, existe depuis le milieu du XIVe siècle. Après avoir été vassale de l’Empire ottoman aux XVIe et XVIIe siècles, elle a été divisée en deux en 1812, lorsque l’Empire russe en a conquis la partie orientale, baptisée la Bessarabie. Les frontières de ce territoire sont proches de celle de l’actuelle Moldavie, sans la Transnistrie. Cette dernière avait été conquise par l’Empire russe dès la fin du XVIIIe siècle.

Après la première guerre mondiale, la Bessarabie a rejoint le royaume roumain tandis que le territoire correspondant à la Transnistrie est resté au sein de ce qui est devenu l’URSS. Cette dernière a créé, en 1924, la République autonome soviétique socialiste moldave (RASSM), qui inclut le territoire transnistrien et s’étend à l’est, dans une partie de l’actuelle Ukraine.

Il s’agissait d’une « entité modèle destinée à attirer les populations de Moldavie roumaine et des travailleurs venus de toute l’Union soviétique autour d’une nouvelle capitale, Tiraspol, et d’un projet de modernisation et d’industrialisation », écrit Catherine Durandin, historienne spécialiste de la Roumanie, professeure émérite à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Une situation nourrissant une fracture entre un espace « moldave roumain sous contrôle de Bucarest » et la « RASSM soviétisée ».

Entre 1940 et 1944, la Bessarabie est tour à tour sous occupation soviétique, puis à nouveau intégrée à la Roumanie alliée d’Hitler, avant d’être fusionnée avec la RASSM pour devenir une République socialiste soviétique jusqu’en août 1991. A cette date, la Moldavie, regroupant au sein des mêmes frontières l’ancienne Bessarabie et la Transnistrie, accède à l’indépendance.

Que s’est-il passé en 1992 ?

Une guerre civile éclate dès le mois de mars 1992. L’adoption du roumain comme langue officielle et la perte d’influence des russophones au sein des institutions gouvernementales avaient attisé la colère de la Transnistrie.

Avant même la dislocation de l’URSS, la Moldavie était déchirée entre l’est et l’ouest du Dniestr. Dès 1990, la Transnistrie, avait décidé de faire sécession du reste de la République socialiste soviétique de Moldavie, dont elle redoutait un rapprochement avec la Roumanie, et demandé à devenir une enclave russe. A Moscou, le pouvoir a refusé cette possibilité.

Pendant plusieurs mois, le conflit a opposé l’armée moldave aux forces séparatistes soutenues par les soldats russes de la 14e armée. L’affrontement a provoqué des milliers de morts et le cessez-le-feu signé en juillet 1992 a amputé la Moldavie d’une partie de son territoire, perdant son principal bassin industriel.

Héritage des investissements soviétiques dans la région, avec seulement 11 % de la superficie et 17 % de la population totale de la Moldavie en 1989, la Transnistrie assurait plus du tiers du PIB du pays et ses entreprises représentaient plus de 40 % du tissu économique. Au moment de la sécession, la Transnistrie était deux fois plus riche que le reste de la Moldavie.

Quelle est la situation depuis le cessez-le-feu ?

Le conflit est gelé depuis trente ans. Un format de négociation a été mis en place après la guerre civile mais il n’a pas permis d’aboutir à une solution politique entre les deux entités. En 2006, à l’occasion d’un référendum dont le vote n’a pas été reconnu, la Transnistrie a demandé son indépendance et son rattachement à la Russie, qui ne l’a jamais reconnue comme un Etat indépendant.

Les liens de la région avec Moscou sont cependant étroits. La Russie finance en partie cet « Etat fantôme » et lui fournit par exemple gratuitement du gaz (dont le coût est imputé à la dette moldave). Cela permet, entre autres, aux entreprises du territoire séparatiste de produire à moindre coût.

Sur le volet militaire, au moins 1 500 militaires russes sont déployés en Transnistrie depuis 1992, dans le cadre de ce que Moscou appelle une « mission de maintien de la paix », et la Russie a une base militaire à Tiraspol. Le départ de ces troupes fait partie des exigences répétées de Chisinau. Par ailleurs, d’importants stocks d’armes et de munitions soviétiques se trouvent toujours sur ce territoire.

Mais la Transnistrie n’est pas coupée de la Moldavie et de l’Union européenne (UE), bien au contraire. Abritant d’importantes infrastructures de production d’énergie, elle vend par exemple à la Moldavie l’essentiel de l’électricité dont cette dernière a besoin. Plus de 70 % de ses exportations étaient par ailleurs à destination de l’UE en 2019, créant, de fait, une dépendance économique alors que les ventes à la Russie n’ont cessé de baisser en trente ans. Les experts estiment cependant que 40 à 60 % du PIB transnistrien dépendent de la contrebande (notamment le trafic d’armes et l’exportation, vers la Moldavie, de produits importés d’Ukraine avec de faibles taxes).

Quelle est la position de la Moldavie dans la guerre en Ukraine ?

Le pays est neutre depuis 1994, ce qui implique qu’il ne peut pas aider l’un des belligérants, ni adhérer à une alliance militaire comme l’OTAN – contrairement à l’Ukraine, il ne l’a jamais demandé. Chisinau a affiché son soutien à l’Ukraine, accueilli de nombreux réfugiés, mais n’a pas adopté les sanctions mises en œuvre par l’Union européenne contre la Russie, pas plus qu’il ne l’avait fait en 2014 après l’annexion de la Crimée.

La Moldavie penche cependant vers l’ouest depuis plusieurs années. Elle a signé un accord d’association avec l’UE en 2013, renforçant leur relation commerciale et portant en germe leur rapprochement politique. Dès le 3 mars, une semaine après le début de la guerre en Ukraine, la Moldavie, gouvernée depuis 2020 par une dirigeante proeuropéenne, a fait une demande officielle pour intégrer l’UE.

Pour l’heure, les combats n’ont pas franchi la frontière entre l’Ukraine et la Transnistrie. Les déclarations, la semaine dernière, d’un général russe ont néanmoins laissé entendre que la Moldavie pourrait être une cible du Kremlin.

Le général Roustam Minnekaïev, commandant adjoint des forces du district militaire du Centre de la Russie, a affirmé que Moscou voulait s’emparer de tout le sud de l’Ukraine afin d’avoir un accès direct à cette enclave séparatiste. Son discours dépeignant la population russophone de Moldavie comme victime d’« oppression » n’était pas sans rappeler l’un des prétextes invoqués par Moscou pour intervenir en Ukraine et « défendre » la minorité russe.

Eléa Pommiers

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