En Moldavie, un coup de barre à l'Ouest
En Moldavie, petit pays enclavé entre l’Ukraine et la Roumanie, le traditionnel match électoral entre pro-Russes et pro-Européens a tourné dimanche à l’avantage des derniers. Maia Sandu, la candidate libérale, a remporté 57% des voix au second tour de l’élection présidentielle, devançant largement Igor Dodon, le président prorusse sortant donné favori. Un scénario en miroir inversé de celui de 2016, quand Dodon s’était imposé avec 52% des voix face à la même candidate.
Pour cette confrontation, les rôles étaient clairement dessinés. Igor Dodon a multiplié les signaux envoyés aux électeurs prorusses, promettant d’obtenir un gros prêt de Moscou ou de rendre obligatoire l’apprentissage du russe dans les écoles. Même Vladimir Poutine y a mis du sien. «Nous espérons que lors des prochaines élections, le peuple moldave va apprécier les efforts de son président», déclarait-il en octobre, avant d’annoncer une aide financière à Chisinau, pour aider l’agriculture à se remettre de la sécheresse.
Vote massif de la diasporaEn face, Maia Sandu, 48 ans, incarnait on ne peut mieux le camp européen. Ancienne étudiante à Harvard, passée par la Banque mondiale, elle a été brièvement nommée Première ministre l’an dernier. Ce passage au pouvoir n’a pas duré : en tentant de défendre la nomination d’un procureur général indépendant, pouvant s’attaquer à la corruption de haut niveau qui mine le pays, elle a été renversée par la majorité socialiste, alliée d’Igor Dodon. Qu’importe, l’expérience lui a permis de renforcer son image de candidate anticorruption, bien différente de celle des habituels tenants du camp proeuropéen, qui ont été prompts à se servir dans les caisses du pays.
À lire aussi Moldavie : Ilan Shor, condamné et bientôt député
Pour s’imposer et déjouer les pronostics électoraux, Maia Sandu a pu compter sur la mobilisation massive de la diaspora. Dans une Moldavie saignée par l’émigration, cet électorat (qui représente un tiers environ de la population) est central. Il s’est tourné à plus de 92% vers la candidate proeuropéenne, faisant de longues queues devant les bureaux de vote à l’étranger qui se sont parfois retrouvés en rupture de bulletins. «Elle a suscité de la sympathie chez ces votants, elle qui a aussi quitté son pays et pris le risque d’y revenir, alors qu’elle avait une carrière internationale confortable», note Florent Parmentier, secrétaire général du Centre de recherches politiques de Siences-Po (Cevipof) et chercheur spécialiste de la Moldavie.
Tiraillement constantMaia Sandu a aussi fait le plein dans la capitale et chez les jeunes, récoltant 76% des voix chez les 18-29 ans, d’après un sondage de sortie des urnes. «Au cours de sa campagne, elle a montré qu’elle voulait se rapprocher de l’UE en termes de standards, plutôt que de placer ce positionnement sur le plan identitaire, explique Florent Parmentier. Elle a su s’attirer ainsi des soutiens catalogués "prorusses", comme Renato Usatîi, le troisième homme du premier tour.»
À lire aussi En Moldavie, la pro-européenne Sandu devance le président sortant russophile
Dans un pays partagé entre roumanophones majoritaires et russophones minoritaires, le tiraillement entre la Russie et l’Union européenne est une constante, mais il ne suffit pas à expliquer le vote. Les facteurs derrière la défaite de Dodon tiennent au moins autant à des problématiques internes. Le président sortant s’est retrouvé affaibli par le dur bilan du Covid-19 (plus de 2 000 morts pour 3,5 millions d’habitants) et par la concurrence d’autres candidats conservateurs et favorables à la Russie. A l’inverse, Maia Sandu a eu les coudées franches grâce à la chute, l’an dernier, de Vladimir Plahotniuc, l’homme le plus riche du pays et figure officiellement proeuropéenne. Désormais en fuite à l’étranger, l’oligarque dominait le camp libéral et faisait jouer son influence sonnante et trébuchante sur tout l’appareil d’Etat.
Accord d’association avec l’UnionLundi, Igor Dodon a reconnu sa défaite et demandé à ses partisans de faire de même : «Je n’appelle personne à descendre dans la rue, on n’a pas besoin de déstabilisation.» Vladimir Poutine a aussi félicité officiellement Maia Sandu, dont les prérogatives sont toutefois assez limitées. Elle détiendra surtout un pouvoir d’influence, qui pourrait permettre d’améliorer les relations avec Bruxelles.
La Moldavie a signé en 2013 un accord d’association avec l’UE, s’attirant au passage les foudres de Moscou qui a déclaré un embargo sur des produits alimentaires moldaves. Mais depuis 2018, et face à «la détérioration de l’Etat de droit», Bruxelles a coupé l’aide financière à Chisinau. Signe d’un changement de ton, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, s’est adressée directement à Maia Sandu sur Twitter ce matin : «Votre victoire est un appel clair à combattre la corruption et à restaurer le respect de l’Etat de droit. L’UE est prête à soutenir la Moldavie.»
Si elle veut avancer sur ce chemin, la nouvelle présidente moldave aura besoin d’un soutien au Parlement, où son parti compte 26 sièges (sur 101), contre 35 pour les socialistes alliés de Dodon et 30 pour le Parti démocrate de Plahotniuc. «Dodon peut compter sur le parti le plus important, qui ne va pas offrir de laissez-passer aux mesures de Sandu, écrit sur Twitter Dionis Cenusa, chercheur à l’université Justus-Liebig, en Allemagne. La transition est pacifique, mais ce qui attend Maia Sandu est loin d’être une promenade de santé.»
À lire aussi En Moldavie, des élections pour choisir entre la Russie et l’Europe
Nelly Didelot