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Milan Kundera, l'auteur de « L'Insoutenable Légèreté de l'être », est ...

Milan Kundera lauteur de  LInsoutenable Légèreté de lêtre  est
L’écrivain tchèque, auteur de « La Plaisanterie » et de « L’Immortalité », est décédé à l’âge de 94 ans, a annoncé la télévision tchèque. Récit d’un éternel exil.

Il y a bien sûr quelque paradoxe à se saisir de la vie d'un auteur qui fuyait depuis trente ans caméras et interviews, farouche incarnation du Contre Sainte-Beuve. Ainsi les deux tomes de la Pléiade qu'il avait orchestrés firent exception à la règle de la collection en omettant tout repère biographique. Mais puisqu'on entre dans l'existence d'un mort comme dans un moulin, écrivait Sartre, entrons dans le moulin Kundera en quête d'un peu de grain à moudre.

Ceux qui appréciaient l'art de la fugue et donc de la variation dans ses romans avaient noté que, sans doute, il n'était pas pour rien le fils d'un pianiste chef d'orchestre qui oscillait entre Bela Bartok et le jazz. On n'ignorait rien non plus de son enthousiasme communiste à l'unisson du coup de Prague en 1948. Plus tard, dans Le Livre du rire et de l'oubli, il reviendrait ironiquement sur le ministre traître Klemens, effacé dans la foulée par le pouvoir à la botte de Moscou et dont il ne restait que la toque sur une photo. Mais à l'époque, Milan Kundera avait 19 ans et vibra pour Marx et ses épigones tchèques. Cela n'empêchait pas le jeune étudiant ouvrier de lire Rabelais à ses compagnons de travail. « J'étais fasciné par son côté ludique, provocateur, cette liberté extraordinaire. » Et, parmi les écrivains français, Diderot, dont il adaptera au théâtre Jacques le Fataliste.

« L'Affaire »

L'illusion est de courte durée. En 1950, ses yeux se décillent. « L'Affaire » sortira en 2008 dans la revue Respekt, qui accuse Milan Kundera d'avoir dénoncé un aviateur tchèque travaillant pour les Américains. L'affaire, bien tardive – pourquoi n'avait-on pas ouvert ce tiroir après son exil en France en 1975 ou en 1979, quand Le Livre du rire et de l'oubli lui valut d'être déchu de sa nationalité ? –, plomba un peu plus encore ses relations avec son pays, où il ne se rendait que très rarement et incognito. Lorsque Brno, sa ville natale, lui remit le titre de citoyen d'honneur en 2010, il ne se déplaça pas.

« J'avais un peu plus de 25 ans. Cette période est la mi-temps de ma vie, sa césure. » Dans un entretien daté de 1984, Kundera évoquait cette période lyrique où il avait essayé tous les arts avant de se concentrer sur la poésie. Ces années naïves, exaltées, seront comme une maison démolie sur laquelle il bâtira une éthique du doute, du rire, de la légèreté et de la désillusion. Il y a les sceptiques et les croyants, résumait-il, sachant bien sûr où se placer. Avec ce premier temps de la croyance et donc avec lui-même, il réglera ses comptes dans l'un de ses romans, La vie est ailleurs, dont le protagoniste, Jaromil, épris d'absolu, est un poète raté pour dîners de famille, un imposteur pour réunions de notables. Le texte fut rédigé en 1969.

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Juste avant, il avait connu la consécration avec La Plaisanterie, achevé en 1965, paru en 1967, en pleine décomposition de la dictature, qui se vendit à 120 000 exemplaires dans son pays. Le printemps de Prague n'était pas tombé du ciel en 1968. La belle saison avait débuté dix ans auparavant, et c'est dans ce climat de liberté que Kundera avait entamé dès 1961 ce roman inspiré, disait-il, par l'histoire d'une jeune ouvrière arrêtée et écrouée parce qu'elle volait, pour son amant, des fleurs dans un cimetière. Sous sa plume, la « plaisanterie » deviendra une carte postale « Vive Trotsky » qui vaut le même traitement à son protagoniste Ludvik. Quant à la répression du Printemps, elle lui vaudra de perdre son poste d'enseignant à l'école de cinéma de Prague et de voir ses ouvrages retirés des bibliothèques.

L'exil intérieur

Pendant sept ans, il survit. Un exil intérieur au cours duquel il émigre dans les livres, le passé, nègre d'auteurs autorisés, musicien occasionnel. Il reçoit aussi les visites précieuses de ses amis français, Claude Gallimard, Claude Roy, Jean Grenier. Car la France l'a adoubé après qu'en 1966, Antonin Liehm, le directeur du mensuel La Lettre internationale, a remis clandestinement une copie de La Plaisanterie à Aragon qui l'adressa à Gallimard. Pour se dédouaner de son suivisme soviétique, Aragon allait se fendre d'une célèbre préface en octobre 1968 où il écrivait : « Je me refuse à croire qu'il va se faire là-bas un Biafra de l'esprit. » Et pourtant…

La Valse aux adieux, portrait lugubre d'une Tchécoslovaquie figée, stérilisée, anémiée, coïncide aussi avec les adieux de Kundera à son pays. Ses amis français lui trouvent un poste d'enseignant à Rennes, où il parle de Kafka : « Tout le monde nous a dit : “Rennes, c'est moche, c'est vide.” “Alors, c'est pour nous”, avons-nous dit, nous avons ressenti de la sympathie pour cette ville méprisée. » Il y restera quatre ans avec sa femme Véra avant de retourner à Paris pour y enseigner à l'Ehess la littérature d'Europe centrale. Broch, Musil, Milosz, Kafka, qui sont ses maîtres, formeront le casting de son Art du roman (1986). Ce roman était chez lui avant tout affaire de points de vue, de confrontations, une tradition philosophique chère à l'Europe centrale et à l'Allemagne qu'il importa dans la littérature française. Le premier exemple, qui lui apporta aussi la renommée, fut L'Insoutenable Légèreté de l'être (1984). Les titres de ses opus suivants, La Lenteur, L'Immortalité, L'Identité, L'Ignorance…, disent bien cette ambition.

Un esprit européen

Lui qui tenait un journal, composé de coupures de presse sur une France qui allait lui donner la nationalité en 1981 après l'élection de François Mitterrand, se gardait bien de vivre dans le cliché nostalgique de l'émigré. À partir de 1993, il écrivit en français, la langue de son pays d'adoption. Il rejetait aussi l'étiquette du dissident, citant l'exemple de Chopin à Paris qui avait refusé de s'engager, malgré son amour pour la Pologne. L'exil lui avait apporté l'enrichissement d'un regard décalé, l'expérience aussi de l'oubli, des ravages du temps et des dictatures. S'il ne cachait pas son pessimisme croissant sur l'Europe et le sort réservé à sa culture, ce refus de jouer le dissident de service n'empêcha pas ce défenseur des « petites nations » de rappeler qu'en tant que Tchèque, il était un Européen et que l'Europe s'incarnait d'abord par cette culture que l'URSS avait tenté de liquider.

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Contrairement à nous, il savait ce que voulait dire la mort de l'Europe, qu'il avait vécue en direct. Dans L'Occident kidnappé (Le Débat, 1983), il rappelait tout ce que nous devions à Vienne, Prague, Budapest ou Varsovie : la Contre-Réforme, Haydn, le dodécaphonisme de Schönberg, les œuvres de Kafka, Hasek, Musil, Broch, Gombrowicz, Schulz… L'Occident avait pourtant laissé tomber cette Europe centrale, se pâmant à Paris ou Londres en écoutant Janacek, mais refusant de mourir pour Prague. Après Vaclav Havel en 2011 et Milos Forman en 2018, c'est donc un peu de la Tchécoslovaquie qui vient de mourir. Mais c'est aussi un des plus remarquables esprits européens, au sens noble du terme.

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