« L’Innocent » : Louis Garrel livre une comédie détonante en s'inspirant du mariage de sa mère avec un détenu
22h00 , le 11 octobre 2022
Mû par une fougue sans relâche, il aime les discussions sans fin et y déroute autant qu’il amuse. À la réplique près, juste pour le plaisir, il peut rejouer des passages entiers de chefs-d’œuvre de Jean Renoir, son maître entre tous. Voici qu’il déclame la scène du braconnier dans La Règle du jeu : « Oh, mais un petit lapin de rien du tout ! »« Moi, pas de vieille mère ? Pas de vieille mère ? » Sans transition, le voilà qui imite Sarkozy, le héron cendré et son pote Melvil Poupaud, évoque pêle-mêle Frank Capra, Max Ophuls… ou Jean-Claude Carrière, qu’il a connu et qui lui citait Coluche : « Le cinéma, c’est bien, mais il y a toujours une heure de trop… »
Le cinéma, Louis Garrel est né dedans : petit-fils d’un grand comédien (Maurice Garrel, 1923-2011), fils d’un réalisateur et disciple de Jean-Luc Godard (Philippe Garrel), le zigue est lui-même devenu un acteur qu’on ne présente plus. Et qui relève tous les défis : il a incarné Godard dans Le Redoutable (2017) et c’était drôle ; il joue Patrice Chéreau dans le prochain film de Valeria Bruni Tedeschi (Les Amandiers, sortie en novembre) et espère bien qu’on en rira aussi.
Un anxieux qui fréquente des optimistesEn tant que réalisateur, il sort son quatrième long métrage, L’Innocent. Une comédie picaresque détonnante dont l’argument – un mariage derrière les barreaux – rappelle qu’il est, aussi, le fils de Brigitte Sy, qui a animé des ateliers de théâtre en milieu carcéral tout au long des années 1990… Une expérience rare dont elle était sortie amoureuse, à l’image de Sylvie, l’héroïne de L’Innocent, jouée par Anouk Grinberg. Son mariage en prison, Brigitte Sy, comédienne elle-même réalisatrice, l’avait raconté au détour d’un long métrage très émouvant sorti en 2010, Les Mains libres.
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« L’Innocent, dit Garrel, c’est le contrechamp enfantin de son film. Ça part de la même histoire, mais je raconte tout autre chose. Le grand sujet de la réinsertion n’est pas mon truc. Ce qui me plaît, dans le romanesque, c’est quand tout s’accélère : l’aventure, l’extraordinaire, les performances d’acteur et les situations plus intenses que la vie, le plaisir de se déguiser et de faire semblant. »
Garrel se sent proche de sa mère par l’humour – « elle en a beaucoup, assure-t-il, c’est souvent ma façon de communiquer avec elle » –, mais c’est le théâtre qui l’inspire et qui reste sa base. « Le film lui emprunte cette convention qui demande au public d’accepter qu’on est dans une représentation pure, pas dans un naturalisme, précise-t-il. Je cherche une légèreté qui n’est pas le contraire de la profondeur, plutôt l’opposé de la lourdeur. » Et qui permet à l’acteur cinéaste de se sentir mieux pour supporter sa propre vie et ses angoisses : « C’est vrai, je suis du genre anxieux, catastrophiste. Heureusement je fréquente des optimistes ! Et c’est ça qui m’intéressait, par contraste, de mettre en jeu dans L’Innocent. »
Marqué par une pièce de GoldoniSa drôlerie, Garrel aime ainsi la sculpter d’un goût assumé pour l’excès « qui n’empêche ni le tragique ni la vérité » et qui a beaucoup à voir avec une Italie intérieure qu’il a désirée pour son film. Il l’a retrouvée dans les petites rues du vieux Lyon, où il a tourné non loin du musée Guignol… « À 12 ans, j’ai été très marqué par une pièce de Goldoni vue à l’Odéon, Arlequin valet de deux maîtres, montée par Giorgio Strehler, se souvient-il. C’était des gags toutes les cinq minutes, et l’Arlequin masqué m’avait fasciné avec ses cabrioles. Quelle émotion de voir, quand il a retiré son masque à la fin, que l’acteur n’était pas jeune du tout ! Je m’en souviens très bien. »
L’italien, sa seconde langue au collège et sa passion au lycée, où il découvrait le théâtre de Dario Fo, l’a poursuivi toute sa vie. C’est aussi Alberto Sordi, dont le sens de la veulerie émouvante et du pathétique l’éblouit. Et s’il cite l’élégance d’un Cary Grant au rang de ses acteurs comiques préférés, Garrel compare aussitôt cette maestria à celles de Vittorio Gassman et Marcello Mastroianni.
Celui qui vient de tourner avec Pietro Marcello et Michele Placido, ralliera d’ailleurs cette semaine, en tant que membre du jury, la Festa del cinema de Rome. Mais le plus important de cette Italie qu’il cultive en lui reste imaginaire. « Alain Gautré, prof au conservatoire, disait que si le clown fait rire, c’est parce que sa logique n’est pas celle du monde dans lequel il vit. »
Abel, jeune veuf, s’inquiète du mariage de sa mère avec un détenu en fin de peine. Clémence, sa meilleure amie, tâche de le tranquilliser mais rien n’y fait, son mystérieux beau-père l’effraie. Sous de faux airs de série B italienne, Louis Garrel livre sa comédie la plus aboutie en tant que cinéaste. Coécrit avec l’auteur de polars décalés Tanguy Viel, son scénario, drôle et précis de bout en bout, dynamite les stéréotypes, mêle le tragique à l’action en passant par la romance, et réserve bien des surprises. Sans jamais se prendre au sérieux, il intègre quelques observations sociétales bien senties. De quoi nous embarquer dans un braquage rocambolesque et jouissif, fort de ses six personnages inspirés, tour à tour loufoques, perspicaces, émouvants.
De Louis Garrel, avec lui-même, Anouk Grinberg, Noémie Merlant,Roschdy Zem. 1h40. Sortie mercredi.