Viol, violences sexuelles, psychologiques... Huit femmes accusent le youtubeur Léo Grasset
Sur Twitter, la désillusion règne. «Il était sans nul doute mon vulgarisateur préféré, un modèle à suivre, inspirant. Je suis dévasté», s’émeut un internaute. Une autre, écœurée, s’indigne : «Ça change toute la vision que j’ai de ce milieu…» Le milieu en question : YouTube.Ce jeudi, une enquête signée Mediapart dévoile des accusations de viol, de violences sexuelles et psychologiques visant le vidéaste Léo Grasset, DirtyBiology de son pseudonyme. Huit femmes témoignent contre l’homme, suivi par plus de 1,3 million de personnes sur la plateforme.
«J’avais énormément d’admiration et de respect pour lui et, dans notre milieu, il est érigé en tant que Dieu», raconte la première, rebaptisée Lisa par le média. Dans les sphères de YouTube, Léo Grasset connaissait jusqu’ici un parcours sans faute. Aujourd’hui âgé de 32 ans, le youtubeur a créé sa chaîne «DirtyBiology» en 2014. «Comment envoyer l’humanité dans l’espace ?», «Pourquoi l’humanité a-t-elle failli disparaître ?», «Comment créer une couleur ?»… Parler science sur un ton léger et humoristique, voilà la formule qui a permis à ce diplômé en biologie évolutive de se faire un nom. Il est en outre l’auteur de plusieurs ouvrages, parmi lesquels la Grande Aventure du sexe, et s’est déjà exprimé dans les médias pour expliquer le plaisir féminin. Selon Mediapart, aucune plainte n’a été déposée contre Léo Grasset, qui reste pour l’heure présumé innocent.
Aujourd’hui, Lisa est devenue une youtubeuse à succès et, après avoir longuement hésité, elle confie à Mediapart avoir été violée par ce dernier. Les faits remontent à juillet 2016. Cela fait plusieurs années que Lisa entretient une relation à distance compliquée avec le youtubeur. Soufflant le chaud et le froid, Léo Grasset disparaît et réapparaît dans sa vie à plusieurs reprises, sans vraiment fournir d’explication. Une situation qui entraîne chez la jeune femme un «yoyo mental» douloureux ainsi qu’une sensation d’«emprise». Alors qu’il est censé, un soir, la retrouver sur Paris, le trentenaire la rejoint tard dans la soirée et fortement alcoolisé. «En colère», elle lui répète ne pas vouloir faire l’amour avec lui. Malgré tout, le youtubeur finit par la «[maintenir] avec ses mains autour de [son] cou» et la «[pénètre] avec des coups très forts».
Dans l’enquête du site en ligne, la youtubeuse raconte l’«état de choc» qu’elle a enduré après cet événement et son impact sur sa vie personnelle. En outre, Mediapart décrit la façon dont, auprès d’autres youtubeurs du milieu, Léo Grasset s’est employé à ruiner sa réputation. La présentant comme une «psychobitch», une «mytho» et une jeune femme «hardcore en love», il la décrédibilise et freine son ascension professionnelle.
Un autre témoignage fait état de violences sexuelles, celui de Marine Périn. Lors d’un rapport sexuel initialement choisi en 2018, «Marinette», son nom sur YouTube et Twitch, relate comment Léo Grasset, qui était alors son partenaire, a ignoré ses demandes d’arrêter afin de retirer sa coupe menstruelle. «Le consentement dans le cul, pour la plupart des gens, c’est un jeu. Enfin tu joues à le perdre, ton consentement», lui a-t-il écrit dans des messages consultés par Mediapart.
Depuis 2018, et notamment avec le lancement du hashtag #BalanceTonYoutubeur, la parole se libère progressivement dans le milieu de la vidéo web. Norman Thavaud (Norman fait des vidéos), TheKairi, VodK… Au fil des ans, plusieurs grands noms ont été accusés de profiter de la vulnérabilité de leurs jeunes abonnées (parfois mineures) du fait de leur notoriété. Un effet de halo dont plusieurs vidéastes parlent aujourd’hui dans leur vidéo, appelant leurs abonnés à prendre du recul sur la personnalité affichée à l’écran par leur youtubeur fétiche. Léo Grasset lui-même avait analysé cette mécanique dans une vidéo de sa chaîne.
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Le reste des récits recueillis par Mediapart met l’accent sur deux mécaniques qui auraient été fréquemment mises en place par le youtubeur. Et sources de souffrances psychologiques pour les jeunes femmes. L’homme semble, tout d’abord, habitué aux relations virtuelles très intenses, fondées sur l’envoi de très nombreux messages en très peu de temps. une méthode de manipulation nommée «love bombing» et source de dépendance affective chez les personnes qu’elle vise. Ainsi, auprès du site, Jeanne (prénom modifié) retrace : «C’était très pernicieux : il y avait des fois où il ne me répondait pas pendant une semaine et ensuite, une dizaine de messages en une heure… C’était toujours à son bon vouloir à lui. J’avais l’impression que j’étais à sa disposition.»
En plus de ce «love bombing», certains témoignages relèvent une mécanique de «chauds froids» fréquemment mise en place par le trentenaire et douloureux pour les jeunes femmes. Le mot «emprise» est répété à plusieurs reprises, ainsi que celui d’«état de choc». Manon Bril, docteure en histoire et vidéaste à succès avec sa chaîne YouTube «C’est une autre histoire», rencontre Léo Grasset à ses débuts, en 2015. Elle a alors 5 000 abonnés, lui 300 000.
Elle décrit une relation amoureuse vécue à distance et marquée par l’instabilité. En 2017, sa mère tombe gravement malade et la youtubeuse dit aller mal. Alors qu’il avait rompu avec elle, Léo Grasset réapparaît alors mais disparaît «à chaque fois que ça devenait un peu trop». Tant et si bien que la vidéaste regrette : «Il m’a kidnappée émotionnellement». Elle entre en dépression en 2018, consommant anxiolytiques et antidépresseurs. Léo Grasset, lui, la voit de temps en temps, puis redisparaît.
Dans un dernier témoignage, Mediapart relaie également la parole de Clothilde Chamussy, une autre youtubeuse, archéologue de formation et animant la chaîne «Passé sauvage». En septembre 2018, elle retrouve Léo Grasset sur le plateau de la websérie «Le Vortex», cofondée par ce dernier et coproduite par Arte. Décrivant un trentenaire instaurant très vite un climat sexualisé dans son entourage, elle relaie deux insultes qu’il lui aurait adressées alors qu’ils étaient seuls : «Espèce de sac à foutre», puis «espèce de gros sac à foutre».
Contacté par Libération, Léo Grasset n’a pas donné suite à nos demandes d’interview. Auprès de Mediapart, son équipe répond : «Nous ne souhaitons pas répondre aux sollicitations de presse, Monsieur Grasset se tenant à disposition de l’autorité judiciaire dans l’hypothèse où celle-ci était saisie de ces allégations. Nous prendrons bien sûr connaissance de votre article, espérant qu’aucune atteinte ne vienne à être portée au respect de son droit à la présomption d’innocence.»