Libération : la reconversion politique de Laurent Joffrin provoque la colère des journalistes
La rédaction de Libération souhaite couper les ponts avec Laurent Joffrin, jugeant son engagement politique incompatible avec toute fonction au sein du journal, qui relance le débat récurrent sur la frontière entre journalisme et monde politique.
Journalistes et politiques, "il faut toujours choisir"À 68 ans, Laurent Joffrin, aux manettes de Libération depuis 2014, vient d’annoncer son intention de lancer un nouveau mouvement politique avec un "appel à la recomposition de la gauche". Sa démission des postes de cogérant, directeur de la rédaction et directeur de la publication sera effective lundi, jour de la présentation à la presse de son nouveau projet politique. Laurent Joffrin compte toutefois garder sa lettre politique quotidienne et siéger au conseil d’administration du futur fonds de dotation qui chapeautera le journal à la rentrée.
Cette double casquette passe mal chez les journalistes qui se sont réunis jeudi en assemblée générale pour discuter du cas Joffrin.
La rédaction vous conseilleMise devant le fait accompli, la rédaction constate que ce nouvel engagement personnel est incompatible avec la poursuite de toute activité éditoriale au sein de Libération. Les salariés dans un communiqué
Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes s’indignaient de la porosité entre journalisme et politique, mentionnant le recrutement de l’ancien communicant de François Hollande Gaspard Gantzer par Cyril Hanouna sur C8, ainsi qu’une information de L’Obs selon laquelle CNews chercherait à embaucher Marion Maréchal Le Pen.
Ça va trop vite pour moi. Une seule blague à la fois svp
La plus drôle c’est celle de Laurent Joffrin qui serait de gauche pic.twitter.com/kWCWAVGxLk
— Paul Barimo (@paulbarimo) July 16, 2020
Ces informations sorties parallèlement n’ont pas échappé au journaliste de Libé Sylvain Chazot, qui souligne dans un billet mis en ligne vendredi sur le site du quotidien que "de nombreux politiques se reconvertissent dans les médias. Et inversement. Mais entre les deux mondes, il faut toujours choisir". Pour calmer les esprits, Laurent Joffrin s’est adressé vendredi à la rédaction pour assurer qu’il "se conformerait à ce que décidera le journal".
Dov Alfon pressenti pour lui succéderSon départ, initialement prévu en fin d’année, était connu de la direction depuis de nombreux mois
Le contexte est mouvementé pour Libération : le quotidien a appris en mai, à la surprise générale, que son propriétaire Altice allait le céder à une nouvelle structure à but non lucratif, un fonds de dotation censé garantir l’indépendance du titre, attendu à la rentrée. Altice prévoit que ce fonds soit gouverné par un conseil d’administration doté de trois membres : Laurent Joffrin, Arthur Dreyfuss, directeur général d’Altice Media et Laurent Halimi, directeur des fusions acquisitions d’Altice Europe.
Un membre de la SJPL (Société des journalistes et des personnels de Libération) a indiqué que les élus du journal s’opposeront à l’entrée de Laurent Joffrin, "vu les nouvelles circonstances". "Nous sommes en train de travailler à une charte éthique qui exclut toute appartenance à un mouvement politique pour diriger et abonder ce fonds", précise-t-il.
Le fait qu’il y ait deux dirigeants d’Altice au conseil d’administration ne nous semble pas être particulièrement un gage d’indépendance. Un journaliste sous couvert d’anonymat
La SJPL précise pour sa part avoir "toujours plaidé" pour intégrer ce fonds. Requête transmise au nouveau patron de Libé Denis Olivennes, qui a fait part de sa volonté de renforcer l’indépendance de la rédaction, notamment via la participation des salariés à la future gouvernance, selon un communiqué des salariés. "Je ne vois pas pourquoi je ne pourrai pas être membre du fonds de dotation. C’est Patrick Drahi (patron d’Altice, ndlr) et Arthur Dreyfuss qui me l’ont demandé", a pour sa part affirmé Laurent Joffrin jeudi.
Son départ, initialement prévu en fin d’année, était en effet connu de la direction depuis de nombreux mois, comme elle le rappelle dans un communiqué diffusé vendredi dans les colonnes de Libération, c’est donc en connaissance de cause que le poste au sein du conseil d’administration lui a été proposé.
Joffrin doit être formellement remplacé en septembre. Paul Quinio, directeur délégué de la rédaction, assurera l’intérim en attendant. Plusieurs sources, y compris Laurent Joffrin, ont indiqué que Dov Alfon, ancien rédacteur en chef du quotidien de gauche israélien Haaretz, dont il assure à présent la correspondance à Paris, était pressenti pour lui succéder.