JO Paris 2024 : cette vague d'escrimeurs antillais, héritiers de Laura ...

Ysaora Thibus, Enzo Lefort, Yannick Borel, Anita Blaze, Coraline Vitalis, ou encore Luidgi Midelton. L’équipe de France d’escrime s’avance avec, en première ligne, une prodigieuse garde noire venue de Guadeloupe et qui rêve de se piquer aux Jeux.

Ces enfants de la "guêpe" Laura Flessel, sacrée à Atlanta, viennent rappeler que l’escrime tricolore n’en finit pas de métisser ses ambitions. Alors que les talents venus des Antilles furent longtemps cantonnés aux sports collectifs ou à l’athlétisme – le sprint en particulier – ce sport de combat est devenu une spécialité locale.

"Un sport qui s'est aussi mondialisé"

"Pour nombre d’entre nous, le modèle, ça a été Laura Flessel", lâche Yannick Borel, champion du monde d’épée 2020. "C’est vrai que j’adorais regarder Laura à la télé" confirme Marie-Florence Candassamy, championne du monde d’épée 2023 et dont les parents sont originaires de Guadeloupe et Martinique.

"Laura est très active en Guadeloupe comme Maureen Nissima (médaille d’argent en 2004), NDLR) peut l’être en Martinique, explique Hervé Faget, manager de l’équipe féminine d’épée. Ce sont des gens qui ont amené leur sport dans ces îles. On a aussi observé ces dernières années une très large démocratisation de l’escrime, qui s’est développée par exemple en Asie et au Brésil."

Un art martial venu des esclaves

Enzo Lefort, double champion du monde individuel de Fleuret, qui prépare un documentaire sur le sujet, y voit un lien plus historique tramé dans les pratiques des esclaves : "Ils avaient développé un art martial qui s’appelle le mayolè, pratiqué avec des bâtons, pour se réapproprier leur condition d’hommes. Il y a aussi eu des figures comme le Chevalier de Saint-George, mulâtre parti de Guadeloupe pour faire son éducation classique à Paris, devenu professeur de piano de Marie-Antoinette et meilleur escrimeur d’Europe."

L’histoire retient malicieusement qu’Alexandre Dumas, qui a fait entrer le duel dans la mythologie littéraire, était lui-même fils du premier général mulâtre de l’armée française, originaire d’Haïti.

50% des médailles depuis 20 ans

Quand René Gros-Dubois a fondé le premier club d’escrime de Guadeloupe, en 1968, il n’imaginait pourtant pas qu’un demi-siècle plus tard son île fournirait un quart du contingent des escrimeurs français sélectionnés pour les Jeux de Paris. Depuis 20 ans, les ultramarins représentent 30 % des effectifs de l’équipe de France et ont remporté 50 % des médailles alors qu’ils représentent à peine 2 % des licenciés français.

Il y a bien eu la création du Creps, aux Abymes, qui forme les 20 meilleurs Antillais de la discipline. Mais il semble bien que les apprentis champions prennent une autre envergure au moment de déployer leurs ailes pour quitter leur île.

"Tellement de sacrifices qu'on n'a pas le droit d'échouer"

"J’ai intégré le pôle de l’Insep, à Paris à 17 ans, explique ainsi l’épéiste Coraline Vitalis, championne d’Europe en 2019. C’est dur mais j’y étais préparée. Quand on a des objectifs, c’est plus facile de bien vivre l’éloignement et le changement de climat et culture. Cela représente tellement de sacrifices pour nos familles que l’on ne se donne pas le droit d’échouer."

Une culture de la gagne en forme d’instinct de survie, comme celui que cultivaient leurs ancêtres esclaves ? Luidgi Midelton ne dit pas le contraire : « Ça a été un moment très compliqué en arrivant au pôle France de Reims à l’âge de 17 ans. Il y avait l’éloignement de la famille, le climat… J’avais l’impression d’avoir perdu tous mes repères. Mais ça m’a endurci. »

Sacré Champion d’Europe d’épée en juin, à 25 ans, l’enfant des Abymes incarnera peut-être cette belle surprise pimentée qui sort tous les quatre ans du chapeau.