"La Révolution" sur Netflix, une série pas si "fantastique" qu'il n'y parait
SÉRIES - “Et si on nous avait menti depuis plus de deux siècles? Voici la véritable histoire de la Révolution française…”, promet le résumé de la série “La Révolution”, production originale made in France de Netflix, en ligne ce vendredi 16 octobre. On y parle d’uchronie, de sang bleu, de virus et de nobles qui attaquent le peuple, alors forcément on avait imaginé une série fantastique profitant de l’événement historique français le plus connu au monde pour faire sensation. On s’était trompés.
“J’étais très amusé en voyant les réactions sur la base du pitch, car la série n’y ressemble pas tant que ça. Mais tant mieux”, s’amuse Aurélien Molas, 35 ans, créateur et producteur de la série, lorsqu’on échange avec lui par téléphone. Si 1789 et les années de révolte qui la précède devraient évidemment attirer les regards des Français comme une partie des quelque 190 millions d’abonnés Netflix dans le monde, le twist fantastique d’un étrange virus qui cause des meurtres sanguinolents et sur lequel enquête le médecin Joseph Guillotin (Amir El Kacem) n’est qu’un prétexte.
“Afficher quelque chose de simple presque binaire, pour ensuite conduire vers une réalité et vers un questionnement social et politique”, voilà le parti pris de celui à qui l’on doit déjà la série “Une île” sur Arte ou les romans “La onzième plaie” et “Les fantômes du delta”, avec toujours la question des révolutions en trame de fond.
Alors derrière une esthétique particulièrement léchée, les décors et costumes d’époque, les rebondissements romanesques et une bande-son captivante signée du compositeur électro Saycet, Aurélien Molas met en scène la révolte d’une jeunesse menée par des idéaux universels et interroge aussi notre rapport et notre appropriation de l’Histoire.
Aurélien Molas, créateur et producteur de la série “La Révolution” dont la saison 1 en 8 épisodes de 50 minutes est disponible sur Netflix ce vendredi 16 octobre, répond aux questions du HuffPost.
En choisissant de réaliser une fiction autour de la Révolution française, vous vous attaquez à la matrice de notre Histoire...
C’est vrai! Ce choix, c’est la conjonction de plusieurs envies. D’abord une assez intime qui est celle de mon travail d’auteur sur la question des révolutions. J’ai toujours été autant perturbé qu’intéressé par l’idée de comprendre comment un individu peut à un moment oublier ou refuser ses intérêts personnels pour se dévouer pour le bien commun. C’est une thématique qui aiguille tout mon travail d’auteur depuis mon premier roman.
Et cette période de l’Histoire française a été un tel basculement humaniste. J’avais aussi envie de raconter l’histoire d’une jeunesse qui se révolte, qui tente de briser un plafond de verre au nom d’un idéal résumé par cette phrase de la Constitution: “Les hommes naissent libres et égaux en droit”. Un idéal tellement positif et flamboyant qu’il irrigue non pas que l’histoire de France, mais celle du monde entier. Et cela me passionne.
Enfin, je voulais défendre une série de genre, avec l’envie de ce twist narratif pour créer cette uchronie fantastique.
Derrière le twist fantastique, la dimension politique est la plus centrale"
Comme vous le dites, “La Révolution” est une uchronie fantastique qui prend donc des libertés avec l’Histoire et s’en joue. Pourtant une notion reste intacte: celle de l’opposition entre les élites et le peuple, du soulèvement populaire.
Cette question, c’est la plus centrale en réalité. Le twist fantastique, qui est très visible dans le pitch, est finalement anecdotique. Ce n’est que l’ossature de la série, qui me permet de développer des personnages, une narration, des rebondissements, etc. En fait l’idée fantastique du sang bleu, c’est avant tout une formule littéraire, et l’incarner à l’image a d’ailleurs été un défi plus qu’une facilité pour ne pas tomber dans le pastiche ou le grotesque.
Mais derrière le romanesque du récit, mon but c’est toujours de conduire un spectateur dans une histoire, et à l’intérieur d’y explorer des thématiques qui me sont chères. Dans cette présentation qui ne ressemble pas tant à la série dans son ensemble, il y avait un peu cette idée. Celle d’afficher quelque chose de simple presque binaire, pour ensuite conduire vers une réalité et vers un questionnement social et politique.
Pourquoi 250 ans plus tard, l’histoire de la Révolution de 1789 peut faire écho à des spectateurs contemporains?
L’une de mes réflexions pour cette série portait sur des mouvements inscrits dans une symbolique révolutionnaire comme Occupy Wall Street ou les Indignés. Ce qui m’importe le plus, c’est cette idée de jeunesse en quête d’un idéal, qui a envie d’un nouveau monde et qui va jusqu’au bout. Je pense qu’il y a encore cette idée-là dans la symbolique de la Révolution française.
Évidemment, il y a un terreau moins proche de ce qu’on vit de manière contemporaine – les années qui ont précédé la Révolution, un froid terrible s’était abattu sur la France, les gens mourraient de faim, la hausse des impôts les accablait. Mais l’idéal perdure. Ils ont abouti à la Constitution, à la Déclaration des droits de l’homme, au concept de République. Il y a eu un surpassement, quelque chose d’éminemment transcendant dans leur combat, et cela me passionne. D’autant qu’on le retrouve à l’échelle de plusieurs révolutions (ou tentatives de révolutions) et dans l’esprit même révolutionnaire tel qu’il est défendu par des figures aussi iconiques que Che Guevara ou d’autres.
La série insiste aussi sur la place de la réinterprétation des faits historiques dans les livres, les œuvres d’art… Le premier épisode s’ouvre sur cette phrase: “On dit que l’Histoire est racontée par les vainqueurs. On oublie de dire qu’elle est réécrite avec le temps, transformée par les livres, réinventée par ceux qui ne l’ont pas vécue.”
Ce prologue, c’est d’abord un hommage au “Labyrinthe de Pan” de Guillermo del Toro (2006) qui est une revisite de la guerre d’Espagne par les yeux d’un enfant. Dans “La Révolution”, c’est une fillette, Madeleine de Montargis, qui est le narrateur de l’histoire. Sa voix off va irriguer la totalité des épisodes et d’ailleurs clôturer la saison 1. Mais cela me permet aussi de poser la question du point de vue et d’affirmer une vérité qui est que oui, l’histoire est réécrite par les vainqueurs.
Pourtant vous aussi vous jouez avec cette notion et vous réécrivez en quelque sorte l’Histoire. En touchant à un événement aussi fondateur, est-ce que vous vous attendez à des critiques, d’historiens notamment ?
Je m’y attends totalement. C’est une question que je me suis posée avant même de concevoir la série. J’avais évidemment un souci de crédibilité par rapport à cette époque, autant dans le récit que dans la mise en scène. Mais même aujourd’hui, on s’appuie sur des tableaux qui sont déjà des réinterprétations en un sens: l’artiste a pu y réajuster la lumière, un décor, etc.
En France, on a tellement du mal à s’amuser et à s’approprier notre Histoire"
Alors j’ai eu recours à une consultante historienne et je me suis inspiré de tous les éléments que j’ai pu lire qui décrivent des scènes du quotidien de la Révolution – même celles décrites un peu plus tard par Anatole France dans Les Dieux ont soif. Ensuite j’ai surtout fait confiance au romanesque et à mes personnages.
En France, on a tellement du mal à s’amuser et à s’approprier notre Histoire. Il y a un devoir créatif qui n’a pas été totalement opéré à mon sens. On a peu de films historiques: il y a eu “Un peuple et son roi” de Pierre Schoeller (2018) évidemment ou “L’Anglaise et le duc” d’Éric Rohmer (2001) qui ont traité de la Révolution française, aussi un gros programme sur France Télévision dans les années 80. Mais là on parle de fiction, de romanesque et je ne voulais pas m’interdire de raconter cette histoire.
Alors je crains ces critiques oui, même si elles donneront lieu à des débats qui n’ont pas fondamentalement de sens pour moi. Même si on dit “voici la véritable histoire de la Révolution française”, c’est de la provocation amusée. Si ce second degré n’est pas bien reçu par certains historiens, c’est dommage pour eux, ils n’apprécieront pas la série pour ce qu’elle est, c’est à dire avant tout la trajectoire d’une jeunesse en révolte.
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