« Becoming Karl Lagerfeld » : Théodore de Pellerin (Jacques de ...

Les jambes engoncées dans des bottes rouges et le col rigide,  le couturier allemand, incarné par le prodigieux Daniel Brühl, arpente les clubs branchés sans boire une goutte d'alcool, regardant au loin la faune parisienne. Alors qu'il dessine de belles robes pour Chloé, la marque de Gaby Aghion (Agnès Jaoui), il se désespère d'être célébré – voire mythifié – comme l'est son rival préféré, Yves Saint Laurent (Arnaud Valois, parfait).

Un soir, le jeune dandy Jacques de Bascher (Théodore Pellerin, révélation !) croise son chemin et ne veut plus le quitter d'une semelle. Par la même occasion, il tape dans l'œil de Saint Laurent. Partagée entre Jérôme Salle (« Totems », « Anthony Zimmer ») et Audrey Estrougo (« Tout va bien », « Suprêmes »), la réalisation est aussi pop que précise. À l'écriture, une solide équipe dirigée par Isaure Pisani-Ferry (« Braqueurs », « Kaboul Kitchen ») a collaboré avec Raphaëlle Bacqué, qui a signé la biographie « Kaiser Karl », principale source d'inspiration de la série.

Derrière Karl, il y a Jacques, qui cherche toujours son approbation. Et derrière Jacques, il y a Yves

Ici, tout est question de reconnaissance – de l'autre, et surtout de soi-même. Amour, gloire, beauté… certes. Mais pas seulement : au fil de la série, on saisit de plus en plus les zones d'ombre de la personnalité contrastée de Lagerfeld, capable d'autant de générosité que de mesquinerie – quitte à trahir ceux et celles qu'il aime le plus. Il n'en devient que plus touchant, face au charisme de Théodore Pellerin, sublime de Bascher, perdu dans son romantisme et ses excès. Interview.                                                        

ELLE. - Ça fait quoi de se glisser dans la peau d'un personnage aussi trouble, et troublant, que celui de Jacques de Bascher ?

Théodore Pellerin. -  C'était à la fois excitant et effrayant puisqu'il a véritablement existé, bien qu'il ait créé une fiction autour de lui, une double identité absolument fascinante à jouer. Pour Jacques, la vie devait être hyper riche, extrême, au centre de l'attention. C'était un esthète, un érudit qui suivait une philosophie décadente, abusant des fêtes et des drogues : n'ayant jamais vraiment produit quoi que ce soit, il a fait de sa vie une œuvre. Moi qui aime les personnages qui ne possèdent pas toutes les clés de leur propre intériorité et dont la façade ne peut dissimuler toutes les failles, Jacques représentait le summum de cet archétype.     

ELLE. - D'autant qu'il a passé sa vie à vouloir plaire à Karl Lagerfeld…

T.P. - En dépit des apparences, Jacques manquait véritablement de confiance en lui. Lors des recherches que j'ai faites le concernant pour préparer le rôle, j'ai rencontré certains de ses proches, et l'un d'eux m'a confié que, parfois, Jacques enregistrait ses appels avec Karl. Il les faisait ensuite écouter à ses amis en leur disant : « Tu vois, il m'a dit qu'il m'aimait ! » Il savait que sa place, très précieuse, dans cet univers de la mode dépendait uniquement de ce dernier.                

ELLE. - Entre les deux monstres sacrés qu'étaient Lagerfeld et Saint Laurent, le personnage de Jacques de Bascher s'avère néanmoins l'un des plus passionnants de la série…

T.P. - C'est l'histoire d'un numéro 2 qui voulait devenir numéro 1, Karl Lagerfeld, qui court derrière ce dieu vivant qu'est Saint Laurent. Derrière Karl, il y a Jacques, qui cherche toujours son approbation. Et derrière Jacques, il y a Yves, en quête d'amour et de sensualité. Un triangle amoureux qui exige de s'adapter, de se transformer… Dans la série, lors de leur première rencontre, Jacques cite à Karl du Robert Musil : « Il n'y a pas un jour de ma vie où je n'ai pas rêvé de devenir un grand homme. » Ce désir effréné d'être grands, de correspondre à leurs idoles, c'est ce que partageaient Karl et Jacques, et c'est ce qui a rendu leur relation si intense et singulière.

«Becoming Karl Lagerfeld », 6 x 45 mn, dès le 7 juin, Disney+.