Becoming Karl Lagerfeld (Disney+) : “Nous tous, on aime Karl, avec ...
Plutôt captivante, la série invite le spectateur à découvrir l'homme derrière le mythe, bien avant qu'il ne soit le créateur de mode connu de tous. En effet, dans les années 70, il n'est encore qu'un styliste de prêt-à-porter presque anonyme mais qui va pourtant oser se mesurer à son ami et rival, Yves Saint Laurent.
Projetée en avant-première lors du festival Canneséries en avril dernier, cette série produite par Gaumont et Jour Premier a brillé sur la Croisette. Pour l'occasion, Les Numériques a pu rencontrer deux membres de son équipe, la créatrice et scénariste Isaure Pisani-Ferry (Braqueurs) et le réalisateur des épisodes 1, 2 et 6, Jérôme Salle (Largo Winch).
Interview d'Isaure Pisani-Ferry et Jérome Salle
Isaure Pisani-Ferry Justement dans la mode, les idées sont dans l'air et on ne sait pas pourquoi tout à coup il y a ce mouvement collectif vers quelque chose. Je dirais que probablement le milieu de la mode n'avait pas encore été exploré. Ce qui est étrange, c'est que plusieurs personnes à plusieurs endroits différents - et sans se concerter - se sont dit au même moment “Tiens, on va faire une série sur la mode.” En tout cas pour nous, l’élément déclencheur ça a été la mort de Karl Lagerfeld et la publication du livre [Kaiser Karl de Raphaëlle Bacqué, Ndlr].
Jérôme Salle C'est intéressant ce parallèle avec la mode dont parle Isaure, parce que c'est vrai que c'est la même chose. Les idées qui sont dans l'air du temps, au fond on ne peut pas vraiment comprendre pourquoi elles existent, pourquoi elles se matérialisent. Je pense aussi que c'est important pour nous, Français, d'explorer ce milieu-là, dans lequel on a quand même historiquement une forme de légitimité.
Je pense que c'est important pour nous, Français, d'explorer ce milieu-là, dans lequel on a historiquement une forme de légitimité.
Jérôme Salle
D'ailleurs, quand le rôle a été proposé à Daniel [Brühl, qui incarne Lagerfeld dans la série], c'était important pour lui que ce soit une production française, filmée en français et à Paris. Je pense que pour nous l'envie, elle vient de là aussi, de parler d'une partie de notre histoire, et du patrimoine français.
Salle Pour moi tout l'intérêt des séries, c’est d’avoir un travail plus collectif. Ça a plusieurs vertus, la principale étant que ça me permet d'explorer des zones, des milieux, des univers, des tons que j'aurais plus de mal à explorer au cinéma où je suis souvent plus seul et donc plus limité avec ce que je sais faire et ce que je ne sais pas faire.
Ce qui m'a passionné dans ce projet-là c'est aussi de sortir de ma zone de confort, de me lancer un défi et d'explorer un ton et un univers qui soient très différents de ce que j'avais déjà fait. Et comme c'est un travail collectif, la pression est également collective, ce qui enlève un petit peu ce poids qu'on a à chaque film, où on a l'impression de le porter seul sur ses épaules. Ce n'est pas du tout le cas en série, et c'est assez agréable.
Pisani-Ferry C'était un des grands challenges de l'écriture : comment garder le mystère tout en rendant le personnage de Lagerfeld attachant, avec une part d'humanité à laquelle on peut connecter, mais sans le simplifier, sans le banaliser et en gardant tout ce qui nous échappe chez lui. C'est beaucoup de travail.
Comment garder le mystère tout en rendant le personnage de Lagerfeld attachant [...] mais sans le simplifier, sans le banaliser et en gardant tout ce qui nous échappe chez lui.
Isaure Pisani-Ferry
Salle En termes de mise en scène, ma principale obsession était d’être en empathie avec ce personnage qui, effectivement, vit de masque qu’il n'a d'ailleurs eu de cesse d'affiner, de renforcer au fil du temps. Donc la mise en scène, ma façon de tourner, je l'ai adaptée à ça. Et puis, on a eu la chance d’avoir Daniel Brühl, qui a cette puissance en tant qu'acteur, capable d'exprimer des émotions avec une immense subtilité tout en ayant justement cette réserve, ce mystère mais qui ne nous laisse pas à distance.
Pour nous tous qui avons créé cette série, notre défi dès le premier jour a été de trouver comment être en empathie, comment comprendre qui est ce personnage. En même temps c'est ça qui est excitant : un personnage dont on connaît tous l'image, si mystérieux, et où tout d'un coup, on va enfin tenter d'appréhender qui il est.
Daniel Brühl a cette puissance en tant qu'acteur, capable d'exprimer des émotions avec une immense subtilité
Jérôme Salle
Pisani-Ferry On rêvait de lui depuis le départ. On savait qu'il serait l'acteur idéal parce qu’on connaissait son travail et le fait qu'il peut tout jouer. Il parlait toutes les langues qu'on avait besoin qu'il parle : anglais, allemand, français, italien. Il avait le bon âge, il était allemand, il correspondait tellement, et il avait cette capacité à créer l'empathie immédiate et donc à jouer des personnages potentiellement très complexes mais avec aussi cette connexion directe.
On l'a donc approché une première fois mais c'était beaucoup trop tôt, on n'avait pas encore de scénario donc son agent nous a dit de revenir quand ça serait le cas, et on a appris après coup que lui il avait entendu dire qu’on l'avait approché pour le rôle mais qu'ensuite on avait disparu. Il était alors très inquiet, il s'est demandé si le rôle était allé à quelqu'un d'autre, etc. Et puis finalement on est revenu, une fois que Jérôme nous a rejoints.
On savait qu'il serait l'acteur idéal parce qu’on connaissait son travail et le fait qu'il peut tout jouer.
Isaure Pisani-Ferry
Salle Quand Gaumont est venu me voir, le premier nom que j'ai donné, sans qu'on s'en parle d'ailleurs, était celui de Daniel, que j'admire depuis très longtemps car c’est est un immense acteur. Donc voilà, les planètes se sont alignées. Ça n'arrive pas souvent, mais ça arrive de temps en temps.
Pisani-Ferry C'est encore plus compliqué quand vous parlez de quelqu'un qui avait lui-même l'art de s'inventer un personnage et qui a passé sa vie entière à construire sa légende. Non seulement en apprenant, en lisant, en se renseignant, vous découvrez ce qu'il y a derrière le masque, mais en plus il y a un moment où c'est votre storytelling contre le sien.
Lagerfeld était un grand storyteller qui a créé un récit de lui-même très attirant. Il aimait se donner une apparence de totale légèreté, comme s'il ne souffrait pas, comme s'il n'avait pas de doute, comme s'il n'avait pas de difficulté. Comme il le faisait avec beaucoup d'humour, c'est très attirant, on a envie d'y croire. On va donc voir comment les gens réagissent au fait que nous, on essaye de regarder derrière le rideau et de parler de l'humain derrière le personnage.
Salle Forcément on invente un petit peu, mais il y a une forme de loyauté qui est importante. Je pense qu'il y a une sorte d'honnêteté intellectuelle, même si évidemment on invente des situations, on met des mots dans la bouche des personnages. Je pense aussi qu'il y a de l'amour pour cet homme, parce que nous tous, je mets Daniel dans la boucle et Arnaud [de Crémiers] qui a produit, au fond on aime Karl, avec ses mille défauts qu'on connaît. Je crois que c'est fait avec amour et c'est important.
Pisani-Ferry C'était important de l'aimer et de se renseigner énormément pour qu'on sache de quoi on parle.