Jeux paralympiques : le drame intime de Jean-Michel Jarre

L'histoire d'un artiste se construit-elle par une absence ? Celle de Jean-Michel Jarre, peut-être. L'enfant naît à Lyon, quartier de la Croix-Rousse, d'une mère résistante, France Pejot, et d'un père compositeur de musique de film, Maurice Jarre. Les deux se séparent quand Jean-Michel n'a que 5 ans – Maurice souhaitant poursuivre sa carrière aux États-Unis. Ils ne reprendront contact que quarante ans plus tard.

« Mon père a été davantage une béance, une absence, qu'une référence musicale », a-t-il confié plus tard à VSD. Si Maurice a été, par la suite, distingué de trois oscars pour ses compositions, Jean-Michel deviendra l'un des plus grands noms de la musique électro française. Et, dimanche soir, il sera l'une des stars de la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques. Alors, il semble parfois difficile de ne pas lire son parcours autrement qu'à travers cette première blessure et ce besoin de reconnaissance.

La musique : pas des notes, mais des sons

Influencé par son grand-père, le gamin commencera à bricoler avec des sons autour de lui, grâce à un petit enregistreur. Une fois installé à Issy-les-Moulineaux avec sa mère, Jean-Michel commence le piano à l'âge de 8 ans, fréquente le club de jazz parisien Le Chat qui pêche avec sa mère, et prend des cours d'harmonie au Conservatoire de Paris. Premières bases donc de sa carrière de compositeur.

Bac en poche, Jean-Michel Jarre use les bancs de La Sorbonne, étudie une licence de lettres, sans se détacher de la musique. Aux côtés de Pierre Schaeffer, théoricien de la musique concrète – ce genre musical des années 1950-1960 qui posera les bases de l'électro –, il devient stagiaire au sein du Groupe de recherches musicales (GRM)… et part à la recherche de nouvelles sonorités, avec des magnétos et des synthés Moog. Celui qu'il considère comme son père spirituel l'incite, selon Libération, à « ne plus considérer la musique en termes de notes mais de sons ».

Si ces projets expérimentaux lui permettent d'acquérir une expertise en musique électroacoustique, ses collaborations avec d'autres artistes lui permettent de se faire un nom dans le milieu. Compositeur, producteur et parolier, il travaille sur certains textes des albums Les Paradis perdus (1973) et Les Mots bleus (1974) de Christophe, mais aussi avec Françoise Hardy ou encore Patrick Juvet (car oui, « Où sont les femmes ? », sorti en 1977, ne serait pas la même chanson sans Jean-Michel Jarre).

La solitude comme moteur

Son œuvre à lui, celle qu'il souhaite composer, sera électronique. Un choix motivé, dit-il au Point, par le « grand sentiment de solitude » qui a rythmé son enfance : « Je passe mon temps à jouer avec mes machines, tout seul, la nuit. » Il est vrai que pour composer en studio, rien de mieux que le calme absolu.

1976 marque le tournant de la carrière du compositeur. La sortie d'Oxygene devient un succès retentissant, vendu à 18 millions d'exemplaires à travers le monde. Cet album est le produit d'une expérimentation électronique, mêlant différents synthétiseurs et aussi un Mellotron pour faire des échantillonnages avec des bandes magnétiques, et une boîte à rythmes Korg.

Dépassant même les Pink Floyd cette année-là, la musique de Jean-Michel Jarre relève d'un engouement inattendu puisque les titres sont purement instrumentaux. Des sonorités futuristes qui restent, encore aujourd'hui, inclassables.

D'autres suites de ses albums concepts ont émergé. Ainsi, Oxygene se décline en Oxygene 7-13 (1997) et Oxygene 3 (2016). Equinoxe, sorti en 1978, a pour suite le volet Equinoxe Infinity, sorti en 2018, quarante ans plus tard. D'aucuns diraient que le pape de l'électro n'est, parfois, plus très inspiré. Lui leur rétorque qu'il tente d'écrire « perpétuellement le même album, en essayant de faire le morceau ultime ».

L'abstraction : un refuge ?

La musique de Jean-Michel Jarre parle peut-être aux sens oui, mais elle reste, à bien des égards, enveloppée d'une certaine froideur, d'intellect. Lui-même a confié : « Si je n'étais pas musicien, je serais architecte, pour l'abstraction mathématiquement organisée, mais organique des structures. »

Car peut-être que l'abstraction électronique est rassurante. Une manière de se cacher, d'y trouver refuge peut-être, loin des tumultes familiaux. Dernièrement, ce ne sont toutefois pas les compositions de Jean-Michel Jarre qui ont fait du bruit, mais ses démêlés avec la Cour européenne des droits de l'homme.

Sa demi-sœur Stéfanie et lui ont décidé de saisir la justice, ayant été déshérités de leur paternel Maurice Jarre, mort en 2009. L'auteur de la bande originale du Docteur Jivago et de Lawrence d'Arabie, installé aux États-Unis, a légué sa fortune à sa dernière épouse – ce qui est possible avec la législation californienne, mais pas en France.

Une affaire qui rouvre une blessure d'enfance. « Il n'est pas acceptable que l'on puisse librement porter atteinte à ce qui fait notre identité familiale, nos origines, effacer les traces d'une famille, avait-il alors déclaré. Aujourd'hui, ni elle ni moi n'avons une trace, un souvenir de notre père. »