Affaire Sophie Le Tan : Jean-Marc Reiser reconnait «les coups mortels» mais nie la préméditation
Le procès de Jean-Marc Reiser, assassin présumé de Sophie Le Tan, s'est ouvert lundi après-midi devant les assises du Bas-Rhin. Paris Match a assisté à l'audience d'un homme déjà condamné pour viols en 2003 puis acquitté faute de preuve dans une autre affaire de disparition en 2001.
Côté Cour, comprendre le président, ses assesseurs, le procureur, les six jurés, les avocats de la partie civile et ceux de la défense, Jean-Marc Reiser, 61 ans, (en Alsace on prononce « raillezer ») est le seul à porter un masque chirurgical. « Je préfèrerais qu’il l’enlève…mais il semble soucieux de sa santé », ironise Me Francis Metzger, l’un de ses trois avocats. Sous-entendu : il faudra bien qu’il tombe le masque. Ce ne fût pas vraiment le cas en ce premier jour d’audience. Après la longue lecture -1h30- de l’acte d’accusation, le président Antoine Giessenhoffer lui demande s’il a quelque chose à dire. « Qui est l’auteur de cette note de synthèse ? », ose Jean Marc Reiser du haut de son mètre quatre-vingt-sept vêtu d’un tee-shirt kaki et d’un pantalon couleur sable. – C’est moi, répond, agacé, le Président. « Je trouve votre exposé assez complet, enchaine Reiser. (Un temps) : Je reconnais les coups mortels mais il n’y avait pas d’intention d’homicide de ma part. Je conteste la préméditation ». C’est bien le seul enjeu de ce procès de deux semaines puisque l’accusé – pour l’heure juridiquement présumé innocent- finira par avouer devant le juge d’instruction avoir tué Sophie Le Tan le 7 septembre 2018 , le jour de ses vingt ans. En dépit d’éléments confondants, J.M. Reiser a nié les faits pendant deux ans. Ses avocats le pousseront à parler, sans quoi ils auraient abandonné sa défense. La position du suspect devenait intenable.
« Particulier loue F1 ½ sur Strasbourg, 35m2, chauffage électrique, salle de bains, cuisine séparée, balcon, 350€ TTC, bon état, 5ème sans ascenseur. Conviendrait à étudiant ». Le 7 septembre 2018 au matin, Sophie Le Tan, étudiante, quitte l’hôtel des Princes où elle est réceptionniste de nuit. Elle a répondu à cette annonce sur Le bon coin quelques jours auparavant et se rend à Schiltighein, au nord de Strasbourg. Elle doit ensuite retrouver sa famille pour fêter son anniversaire dans un restaurant de Cernay, près de Mulhouse. Après un dernier texto à 9h17, elle ne donnera plus de nouvelles. Dans son rappel des faits, le président cite le témoignage de trois jeunes filles qui ont elles-aussi répondu à l’annonce de J.M. Reiser. À chaque fois, diront-elles, « le bailleur est resté évasif sur la description de bien, sur les meubles s’y trouvant et sur l’adresse exacte ». Il donne en effet rendez vous rue…du Chasseur, alors que le studio se trouve rue Perle. C’est sur la rue du Chasseur que donne la fenêtre d’où « le bailleur pouvait voir à la jumelle qui se présentait ». Il ne recevra aucune des trois jeunes filles « car elles vinrent accompagnées ». Poireautant près d’une heure, l’une d’elles adressera un message d’insultes sur le portable subitement silencieux. Une autre signalera l’individu à la police, car il lui sembla qu’au téléphone « il la séduisait ».
L’étude du portable de Sophie Le Tan établira qu’elle était en contact avec J.M. Reiser, qui utilisa une carte Sim « sous l’identité fantaisiste de Mme Agnès, sur quoi l’on peut dire qu’il a fabriqué son anonymat ». Jean-Marc Reiser est interpellé le 15 septembre 2018 à 22h35 au volent de sa Ford Fiesta. Lors de la première perquisition, les enquêteurs notent que le studio est « en état flagrant de propreté ». Le révélateur de sang signale des traces dans la salle de bain, où le propriétaire « a pris soin de démonter et de nettoyer le siphon ». On trouve, entre autres, deux cartes Sim, deux jerricans d’essence, des gants en latex, deux rouleaux de ruban adhésif, une lame cutter, du chloroforme. Et dans la cave, une scie à métaux aux traces douteuses. Lors de sa première garde à vue, au terme de laquelle il sera incarcéré, J.M. Reiser nie être l’auteur de l’annonce. Le chloroforme, il l’a essayé sur lui pour voir l’effet que cela faisait. Quant au ruban adhésif, c’est pour l’isolation de la fenêtre. Mais les voisins indiquent avoir senti dans le hall « une odeur de décomposition et de putréfaction» et avoir « aperçu des asticots ». Ils feront le lien avec cet homme « froid, glaçant et mal poli » qu’ils verront traverser la cour avec « deux sacs poubelle lourds et sombres ». Reiser expliquera que Sophie Le Tan est arrivée chez lui avec une blessure au poignet et qu’elle a voulu changer son pansement. Mais deux témoins l’ont croisé dans la rue en pleine forme.
Le 23 octobre 2019, des promeneurs, dont une jeune gendarme, partis aux champignons dans la forêt de Grendelbruch découvrent un crâne humain et une cage thoracique. C’est l’analyse d’une dent qui permettra d’identifier Sophie Le Tan. Réinterrogé, Reiser nie toujours alors que son portable a borné dans le coin, où il a effectué, adolescent, un stage pour l’Office National des Forêts (ONF) où travaillait son père. Conseillé donc par ses avocats il demande à être entendu. Sa version, en juin 2021, rappelée par le président de la Cour d’Assises : il a beaucoup bu dans la nuit du 6 au septembre 2018, « mélangé le pastis avec des médocs », peu dormi. Sophie Le Tan lui a « tapé dans l’œil », ils ont bu un verre et discuté de choses et d’autres. « Elle m’a demandé d’aller aux toilettes pour se laver les mains, je lui ai apporté une serviette ». Il a « juste voulu l’enlacer et l’embrasser ». Après : « Je ne sais pas ce qui m’a pris, elle m’a repoussé, insulté, traité de cochon et de porc, elle hurlait et j’ai perdu les pédales ». Un coup de poing et « elle est tombée sur la cuvette des WC comme une masse, tel un boxeur groggy ».
Un silence total a soudain régné dans la salle lorsque le président conta la suite : les deux valises à roulettes que Reiser est allée chercher à la cave. Le démembrement du corps sur le sol de la salle de bain. Les deux jambes sciées qu’il a mises dans la plus petite des deux valises. Puis la tête qu’il a coupée, car le tronc ne rentrait pas dans la plus grande. Un exposé « assez complet » que la maman de Sophie Le Tan n’aurait pas supporté d’entendre : dès l’ouverture de l’audience, à 14h, elle perdit connaissance et fut emmenée par la Croix Rouge.