Disparition. Jean-Louis Trintignant, le plus secret des monstres sacrés
l'essentiel Figure incontournable du cinéma et du théâtre français, célèbre pour son rôle dans "Un homme et une femme", Jean-Louis Trintignant s'est éteint vendredi à 91 ans.
Lorsqu’il était venu dans le Tarn en 2016, invité d’honneur de la 20e édition des œillades, à Albi, accompagné par son petit-fils Roman Kolinka, Jean-Louis Trintignant avait confié à La Dépêche qu’il n’aimait pas qu’on dise de lui qu’il était un « monstre sacré du cinéma français. « Non, non, pas du tout, ne croyez pas cela. Je suis un type très simple. Je suis acteur et j’ai de la chance parce que c’est un métier qui m’a plu. J’ai quitté quelques fois ce métier mais j’y suis toujours revenu parce que c’était toujours plus intéressant que tout ce que j’essayais de faire », nous expliquait-il.
Cette désarmante simplicité, cette humilité et cette modestie, cette gentillesse fébrile, cette voix inimitable, charmeuse et élégante, reviendront à coup sûr en mémoire chez tous ceux qui ont côtoyé ou vu à l’écran ou sur scène Jean-Louis Trintignant, qui s’est éteint à l’âge de 91 ans des suites d’un cancer, hier à Uzès (Gard) où il vivait depuis une trentaine d’années. Pour tous il était bien un monstre sacré et restera comme un acteur de légende, exigeant, singulier. À l’esbroufe et au bling bling, il préférait la discrétion, l’humilité voire la mélancolie qui s’était très tôt installée dans une vie marquée par les drames, dont les plus terribles, le décès de ses filles Pauline, à 9 mois, et Marie, morte en 2003 sous les coups de son compagnon, le chanteur Bertrand Cantat.
Liaison avec BBNé le 11 décembre 1930 à Piolenc (Vaucluse), Jean-Louis, fils d’un industriel et d’une mère qui rêvait d’être tragédienne, est élevé à la dure. Jeune homme timide, après des études de droit, il monte à Paris à 20 ans pour s’inscrire à l’Institut des hautes études cinématographiques (Idhec). Il veut être réalisateur mais suit aussi les cours de comédie de Charles Dullin. C’est par le théâtre qu’il vaincra sa timidité maladive… et son accent du sud-ouest. Il débute sur scène en 1951, dans « Marie Stuart » de Schiller, et à l’écran dans « Si tous les gars du monde », de Christian-Jaque (1956). Il fera sienne cette dualité théâtre-cinéma jusqu’à la fin de sa vie.
En 1956 justement, il joue le rôle de jeune premier dans « Et Dieu… créa la femme » de Roger Vadim, aux côtés de Brigitte Bardot dont il devient l’amant. Cette notoriété naissante est interrompue par son service militaire en Algérie, particulièrement éprouvant pour ce jeune homme politisé, défenseur du FLN… Le cinéma le relance à son retour et ne le lâchera plus. Il enchaîne avec « Les Liaisons dangereuses » de Vadim, puis « Un homme et une femme » de Lelouch, aux côtés d’Anouk Aimée, qui fera de lui l’acteur qui tourne le plus, à l’instar de Belmondo et Delon.
Prédilection pour les personnages impénétrablesCe charmeur marié trois fois – à l’actrice Stéphane Audran puis la réalisatrice Nadine Marquand et enfin avec la pilote de course Marianne Hoepfner – jouera dans quelque 120 films avec une prédilection pour les personnages ambigus, impénétrables, inquiétants, prenant un malin plaisir à les incarner parce qu’il les déteste. Trintignant est à l’aise dans tous les registres, le cinéma grand public, d’avant-garde ou politique avec notamment « Z » de Costa-Gavras, qui lui vaut un prix d’interprétation à Cannes.
Dans les années 80, cet anticonformiste recentre sa carrière sur le théâtre plutôt que sur le cinéma. Après la mort de Marie, il s’éloigne des plateaux de tournage pendant dix ans avant d’y revenir en 2012 pour « Amour » de Haneke. Le film décroche la palme d’or, Trintignant (et sa partenaire Emmanuelle Riva) une mention spéciale du jury, puis un César en 2013. Bouclant la boucle, il retrouve en 2019 Claude Lelouch et sa partenaire Anouk Aimée pour « Les plus belles années d’une vie », la suite d’ « Un homme et une femme » 53 ans après. Des retrouvailles comme la marque d’une fidélité.
En 2016, Jean-Louis Trintignant nous confiait qu’il profitait de sa famille, de ses vignes à Uzès, et qu’il écoutait de la musique. En fermant les yeux ce vendredi et en repensant à son immense carrière, les Français ont sûrement entendu la musique de sa voix et aussi un ultime « chabadabada »…