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«Juste des faits, des émotions, la vie en éclats» : souvenirs du «JDD ...

Juste des faits des émotions la vie en éclats  souvenirs du JDD
Des engueulades du mardi à l’alchimie du bouclage du samedi, souvenirs du journal dans lequel j’ai été reporter, spécialiste santé et rédactrice en chef Société jusqu’en février 2023.

Un, deux, trois, quatre, cinq, six dimanches sans JDD. Il n’est pas question, ici, de raconter la grève historique de sa rédaction. Mais de parler de lui, que désormais même ceux qui ne l’ont jamais lu connaissent, et surtout d’eux. Ses journalistes.

Un samedi de bouclage

En 2005, au temps de notre rencontre, le JDD siégeait déjà en bord de Seine, dans la proche banlieue parisienne. L’ascenseur s’ouvre au deuxième un samedi de bouclage. Lunettes au faîte du crâne, Patrice Trapier trône au milieu de la salle du secrétariat de rédaction, dernière tour de contrôle avant le voyage nocturne des fichiers numériques vers les imprimeries. Cette année-là, comme les autres après elle, Patrice seconde le directeur, maestro dans l’ombre, faiseur de unes qui claquent, souvent accouchées dans le doute par cet amoureux de politique, de sport et de «faits div».

Un dimanche de présidentielle ? Il faut veiller à l’équilibre : les lecteurs de gauche doivent continuer à trouver le JDD «trop à droite», ceux de droite, s’agacer de la dégoulinade de «reportages sociologisants». Une info de dernière minute tombe ? Même entre 2 et 3 heures du matin, comme lors de l’arrestation de DSK, à New York, le 14 mai 2011 ? Souvent, on refait tout. On réchauffe, ensemble, ce faux hebdomadaire-vrai quotidien de fin de semaine.

Service Société

Plus tôt dans la journée, un silence de bloc opératoire flotte sur les services «chauds». Dans l’open space de l’équipe Société-Informations générales-Etranger, Elsa Guiol, Adeline Fleury ou Alexandre Duyck peaufinent les chutes de leurs papiers. Tous trois, comme la grande reporter de guerre Karen Lajon, ont été recrutés pour «raconter des histoires». Le JDD est l’enfant de Kessel et de France Soir, dont il a été l’édition du septième jour à sa naissance en 1948. Il aime cavaler derrière l’actualité dès le milieu de la semaine, la coller de près, le jeudi et vendredi, sur les routes de France et du monde, pour en faire jaillir le cœur obscur, ce tribut offert au lecteur le dimanche.

Peu de prêchi-prêcha. Juste des faits, des émotions, la vie en éclats. Tout n’est pas toujours réussi mais tout est mijoté maison. Le rédacteur en chef Société, Richard Bellet, homme de gauche resté encarté à la CGT malgré l’ascension hiérarchique, et son adjoint, Pierre-Laurent Mazars, orfèvre de la réécriture, n’imagineraient tenir la plume de personne. Du coup, chacun écrit ce qu’il voit ou a cru comprendre ; chacun écrit comme il est.

Les signatures du photojournalisme

Les reportages de ce temps-là s’affichent en pleines pages sur un grand format berlinois. A leur côté, clignote le travail de nos collègues, Eric Dessons ou Bernard Bisson, comme celui des plus grandes signatures du photojournalisme français. Philippe Jarreau, le rédacteur en chef photo, a l’ambition d’un patron de newsroom américaine. Et son exigence est contagieuse. Il nous inonde d’idées de sujets meilleures que les nôtres ; ses photos reporters aguerris se transforment en nounous pour journalistes débutants, enseignant l’art de bien se placer dans une manif, de minimiser les risques en terrain hostile ou de faire parler un témoin rétif.

Dans la chambrée des Sports

Cette ligne, humaine, ce souci du détail, ce goût du récit sont pareillement cultivés de l’autre côté du couloir, aux Sports. Le samedi soir, Guillaume Rebière, l’hyperactif rédacteur en chef, et son équipe Stéphane Joby, Olivier Joly ou, plus tard, Solen Cherrier, pondent des comptes rendus de matchs de foot drolatiques. Le reste de la semaine, ils concoctent des reportages incandescents dans les semelles des champions, des interviews fleuve de sportifs taiseux, des angles toujours neufs. Cette chambrée d’artisans d’art, sensibles, cultivés, n’aime rien tant que faire peur aux stagiaires avec son argot de vestiaire parfumé à la transpiration.

La politique, cœur battant du «JDD»

L’antre du service politique, cœur battant du JDD, chambre d’écho dominicale de tous les pouvoirs, se trouve logiquement en face des bureaux de la direction. En 2005, le duo historique Florence Muracciole-Pascale Amaudric se partage la classe politique française. La première tutoie toute la droite, la seconde confesse la gauche. Bientôt leur succéderont Bruno Jeudy, Cécile Amar ou Christine Ollivier, des caractères, dont les plus naïfs d’entre nous ont cru, à leur arrivée, qu’ils votaient comme leurs sources avant de découvrir que certains n’étaient même pas inscrits sur les listes électorales.

Pour beaucoup dans cette rédaction, le journalisme est un jeu d’enfant professionnalisé. Savoir avant les autres, dire tout haut ce que certains n’osent même pas penser, éblouir le lecteur et ses copains. Si la magie des bouclages perdure – cette alchimie de fignoler un journal ensemble –, les nouveaux locataires du service politique embrassent l’héritage du JDD, tout en le transformant. Le journal tissé d’histoires cultive désormais une veine plus anglo-saxonne, irriguée d’infos.

Car, à la fin des années 2000, la même révolution s’opère au service Société, avec l’arrivée d’un nouveau rédacteur en chef, Laurent Valdiguié, de la grande reporter Marie-Christine Tabet et, à la tête du service Etranger, de François Clemenceau. Venus du quotidien le Parisien, de l’agence Associated Press ou d’Europe 1, tous ceux-là traquent le scoop fracassant, l’interview exclusive, la punchline piquante. Leur graal ? Une reprise par l’AFP puis dans les matinales des radios. Certains heureux dimanches, leurs exclus, et bientôt celles des journalistes qui marchent dans leurs pas, secouent les ventes.

Le vol noir des corbeaux

Mais la courbe poursuit sa pente, raide, parallèle à celle de la fermeture des kiosques. Tout cela plombe la grande conférence hebdomadaire, le mardi. Chaque nouveau directeur a beau assurer détenir la recette de la transition numérique, à son départ, la mue n’est pas faite. Personne ne songe à lui en faire vraiment reproche. Le vol noir des corbeaux plane sur nos mardis matins : pourquoi y a-t-il si peu de différence entre les chiffres des bons JDD et ceux des numéros moyens ? Le journal survivra-t-il à Internet ou était-il le miroir d’une époque, bientôt disparue ? La petite échelle de sa rédaction ne vaut-elle pas condamnation, à l’heure où, partout dans le monde, une taille critique de 300 ou 400 personnes semble nécessaire pour s’offrir une seconde vie ?

Le mardi, on s’engueule, on râle, on se réconciliera plus tard, autour d’un lointain projet de une. La conf rituelle fonctionne comme une agora, horizontale, où la puissante Société des journalistes (SDJ) peut sans crainte faire la leçon aux grands chefs. L’actionnaire ? S’il intervient, la rédaction ne le sait pas. On ne le voit jamais. Pas plus que les plumes célèbres, Philippe Sollers, Bernard Pivot, Anne Sinclair ou Teresa Cremisi, qui font rayonner le JDD de leurs chroniques ciselées.

Ces matins-là, les services dits «froids», Economie, Culture et Paris, déroulent un menu copieux quand leurs confrères du chaud, encore rincés par un samedi à rallonge, jettent à la cantonade quelques idées tout juste décongelées. Marie-Laure Delorme, elle, a déjà livré ses pages Lire, où s’imprime une ligne qui lui ressemble : intello-chics, profonde, sans complaisance. Personne n’est jamais parvenu à lui faire dire du bien d’un roman qu’elle n’aurait pas aimé, fût-ce une des sorties phares du groupe cousin Hachette Livre.

Sous le pont Mirabeau

En 2018, le JDD, dont l’ancêtre s’appelait la Seine avant sa fusion avec France Soir, remonte le fleuve, jusqu’au pont Mirabeau, pour s’installer au sixième étage du paquebot de verre qui abrita Canal +. Hervé Gattegno, le nouveau directeur, un ancien du Monde et du Point, et son second, Cyril Petit, ont l’obsession de «monter en gamme», à la conquête de lecteurs CSP + et d’abonnements numériques. Pour cela, ils soignent la forme, laissant les directrices artistiques successives, Brigitte Suffert et Anne Mattler, régner sur la maquette, avec la complicité de la rédactrice en chef, Emmanuelle Aubry, pilote du secrétariat de rédaction. Fini le temps où les papiers trop longs rentraient au forceps «parce que les photos, c’est moins important». Le blanc s’impose en majesté sur le format devenu «grand tabloïd», les photos explosent.

Ce binôme directorial, aussi, a la religion de l’info exclusive. Le JDD doit annoncer la semaine à venir sans recycler ce que tout le monde sait déjà. A cette époque, une sale étiquette de «Pravda macroniste» colle au journal et la formule est contestée par une partie de la rédaction. Mais les politiques, les responsables syndicaux et patronaux, tous veulent parler à la table dominicale du JDD, afin de s’assurer une place de choix dans le (relatif) silence médiatique du septième jour. Tribune est ouverte à chacun, extrême droite exceptée.

Il est évident que le JDD s’est droitisé en vieillissant. «Comme la France», disent certains chefs à leurs troupes qui s’en offusquent. D’autres journalistes se réjouissent de travailler, en toute liberté, dans un îlot démocratique, une communauté utopique en mode coalition à l’allemande, chose rare au pays de la presse d’opinion, en compagnie de collègues, de droite ou de gauche, avec lesquels ils ne sont pas d’accord. C’est comme un déjeuner du dimanche dans les familles où on s’aime malgré les différences, ou surtout à cause d’elles.

A lire aussi

Le goût du récit continue d’irriguer le travail de la rédaction. Le mardi, on applaudit les reportages d’Antoine Malo, qui a compris avant beaucoup d’autres que la poudrière de l’Europe se trouvait en Ukraine, ceux de Garance Le Caisne et Camille Neveux, infatigables narratrices des rouages de la dictature syrienne ou de Guylaine Idoux, correspondante à Marseille, dont les enquêtes ont fait trembler Didier Raoult.

Pendant le Covid, l’équipe de la partie chaude du journal multiplie les bons coups. La spécialiste du social, Emmanuelle Souffi, vient prêter main-forte au service Société, en pointe dans le suivi des vagues successives. Juliette Demey et Pierre Bafoil passent, avec succès, tous les UV d’épidémiologie et de virologie, et le JDD, hebdo caméléon, devient un outil de prévention sanitaire pour les lecteurs. Mais, même si les ventes se maintiennent dans une France paralysée, le groupe flanche car sa santé économique est indexée sur celle de quantité de boutiques de gares et d’aéroports, dont il est également propriétaire. Quand le virus les ferme, l’actionnaire appelle un homme d’affaires plus riche à la rescousse pour éviter la banqueroute ; une OPA s’enclenche ; ça valse à la direction. L’équipe retient son souffle. Pour moi, une page se tournera. On peut acheter un journal mais pas ses journalistes. En tout cas, pas sans leur consentement.

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