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Des mystères de l'incarnation, avec Isabelle Huppert, Igor Minaïev et ...

Des mystères de lincarnation avec Isabelle Huppert Igor Minaïev et
Aujourd'hui nous recevons Isabelle Huppert et Igor Minaïev pour la réssortie en salles de "L'Inondation", le comédien Jack Lowden pour "Les Carnets de Siegfried" de Terence Davies, et aussi Amjad Al Rasheed, et encore Mathieu Macheret.

Comment un texte traverse le corps de l'acteur, ce n'est pas seulement la grande question du théâtre, mais aussi souvent celle du cinéma. C’est le cas des deux films qui nous occupent cette semaine, et nous transportent un siècle en arrière, en Russie fraichement soviétique pour l’un, dans une Angleterre encore très victorienne pour l’autre, et dont l’origine très littéraire est transfigurée non seulement pas le regard de leurs réalisateurs, mais bien aussi par le génie de leurs interprètes, il était donc tout naturel qu’on les reçoive aujourd’hui

"L'Inondation", de Igor Minaïev, avec Isabelle Huppert

Le premier revient en version restaurée 30 ans après sa première sortie, passée un peu inaperçue. Il est dû à une actrice, qui tombe amoureuse d’une nouvelle d’un écrivain soviétique interdit qu’on redécouvre alors, Evgueni Zamiatine. Ça s'appelle L'Inondation, et dans la malheureuse héroïne d’un fait divers brutal – l’épouse délaissée, parce que stérile, d’un ouvrier sidérurgiste du Petrograd des années 1920 assassine sauvagement l’adolescente qu’ils ont adoptée après l’avoir découverte dans le lit de son mari – Isabelle Huppert a sans doute reconnue une cousine des Violette Nozière, Emma Bovary et autres Médée qu’elle a ou va incarner, une de ces femmes apparemment diaphanes et impassibles soudain débordées par un torrent brutal. C’est donc elle qui pour l’incarner va chercher Igor Minaïev, un jeune cinéaste né dans l’Ukraine soviétique et réfugié en France parce que censuré chez lui, et avec la complicité à la production de Daniel Toscan du Plantier l'emmène tourner dans les rues de ce qui est redevenu Saint-Pétersbourg, et dans les studios quasi abandonnés de la Mosfilm, ce film envoutant et aqueux, dont nous parlent l’actrice et le réalisateur. "Pratiquement tout le film a été tourné en décors, il y a très peu de scènes extérieures. C'est d'ailleurs ce qui fait sa force, ce qui fait qu’il n'est pas complètement réaliste, pour ne pas dire pas du tout. Et c'est là où le film devient vraiment, je trouve, assez extraordinaire, souligne Isabelle Huppert, c'est qu'on accède à une forme d'onirisme et ça renforce au fond, le drame, ça le décale de la manière la plus heureuse qui soit, parce que ça fait surtout advenir la poésie, tout simplement. Il y avait vraiment quelque chose de magnifique dans la lumière et dans la recréation d'un réel, mais qui ne l'est pas complètement. Et ça, c'est la force du studio, évidemment." "On tournait en huis-clos, dans un décor, poursuit Igor Minaïev, et il fallait que tout ce qui se passe à l'extérieur se reflète quelque part à l'intérieur. Tout bouge, rien n'est figé, comme les sentiments des personnages.[...] Ce qui était important je crois pour nous tous, ajoute-t-il, c’est d’aller tourner à Moscou, à Saint-Pétersbourg. J'y suis revenu avec Isabelle pour faire un film d’après l’œuvre de Zamiatine, qui n’était alors plus censuré. On a tourné dans un pays promis à un avenir différent […], où la liberté était au sommet, c’était l’époque de la perestroïka, de la Gorby mania. Et même si le studio dans lequel on tournait avait l'allure d'un Titanic en train de couler, on se trouvait là où il fallait, c'était une évidence."

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"Les Carnets de Siegfried", de Terence Davies, avec Jack Lowden

Peu connu de ce côté de la Manche, le poète Siegfried Sassoon l’est extrêmement en Grande Bretagne, où il fait partie, avec Wilfred Owen et Robert Graves, des grands poètes de la Première Guerre Mondiale, à laquelle, après y avoir glorieusement participé, il s’était farouchement opposé dans un texte resté célèbre, qui aurait pu lui valoir le peloton d’exécution si sa haute extraction ne l’avait protégé. Les Carnets de Siegfried tient moins du biopic d’un artiste que de l’évocation habitée d’un esprit de son temps, incisif et torturé, et d’un milieu social privilégié du Londres de l’entre-deux guerres, ces dandys mondains et dissolus qu’on appelait les Bright Young People, les « brillants jeunes gens », qui seuls pouvaient, protégés par leur statut d’artiste, vivre librement leur homosexualité dans une Angleterre encore très victorienne qui la considérait comme un crime. Le film tient aussi largement de l’autoportrait masqué de son réalisateur, Terence Davies, dont on peut voir tous les films en ce moment au  Centre Pompidou, qui lui consacre une rétrospective. Le cinéaste n’a pu y assister, il est brutalement décédé le 7 octobre dernier. Mais ses amis, collaborateurs et interprètes l’accompagnent. C’est ainsi que dans un salon proche des salles d’exposition du Centre Pompidou, nous avons rencontré Jack Lowden, qui incarne Siegfried Sasson. "Je pense qu’à l’origine, Terence Davies voulait être comédien. Quand on travaillait avec lui, il était manifeste que s'il avait pu jouer tous les rôles, il l’aurait fait ; sa façon de diriger était telle qu’il semblait jouer lui-même. Donc non seulement Les carnets de Siegfried, mais faire du cinéma en général, c’était quelque chose de très personnel pour lui qui était un acteur déçu.[...] L’histoire de Siegfried Sassoon, Terence Davies avait envie de la raconter depuis très longtemps, parce qu’il était gay et qu'il était un artiste plein de regrets de ne pas avoir la même considération que d’autres cinéastes britanniques de la même génération, comme Ken Loach par exemple. Il était de la classe ouvrière de Liverpool, et au départ, ses films étaient pétris de l’histoire de ce milieu, puis ils sont devenus en quelque sorte plus « artistiques », pour évoquer d’autres classes sociales, et cette démarche culmine avec Les Carnets de Siegfried. C’est la même chose pour Siegfried Sassoon : il avait en lui le désir brûlant d’être considéré. Chez tous les deux, il y avait un sentiment d’insécurité très profonde."

"Les Carnets de Siegfried", de Terence Davies - Condor Distribution

Le journal du cinéma

Les sorties de la semaine

  • Un kidnappeur maladroit, un séquestré adepte du marteau et une mère du pistolet à deux canons, ce sont les figures vengeresses et outrancières de Park Chan-wook, celui qui au début du siècle fit de la Corée non plus le « pays du matin calme », mais le territoire cinématographique de l’hyper violence et de la cruauté graphique, et dont la « trilogie de la vengeance », à savoir  Sympathy for Mr Vengeance,  Old Boy et  Lady Vengeance ressort en salles en version restaurée ;
  • Une adolescente introvertie et un peu sorcière, sanctifiée quand elle s’avère pouvoir apaiser la douleur des parents de ses condisciples morts dans l’incendie de son lycée, c’est Holly, le cinquième long-métrage de la Flamande Fien Troch, avec une révélation, la troublante actrice Cathalina Geeraerts ;
  • Au collège cette fois, un thriller scolaire qui revitalise le très éculé genre du « film de prof », c’est l’indécidable La salle des profs, du réalisateur allemand d’origine turc Ilker Çatak ;
  • Un teen movie qui irrigue le film de banlieue des thématiques post #meetoo, c’est HLM Pussy, premier film de Nora El Hourch, qui compense son trop visible souci d’exhaustivité par l’énergie de sa bande de filles en lutte contre le patriarcat, le racisme, les dérives des réseaux sociaux : elles s’appellent Leah Aubert, Médina Diarra et Salma Takaline, des actrices à suivre ;
  • Un mélodrame flamboyant sur les amours clandestines d’une très indépendante tisseuse de kimonos, c’est Rivière de nuit, un film inédit de 1956 qui permet de découvrir enfin ce grand cinéaste japonais méconnu en France qu’est Kozaburo Yoshimura ;
  • Et puis enfin, Japon toujours, côté anime , l’apprentissage d’un jazzman nippon, c’est Blue Giant, adaptation par Yuzuru Tachikawa du manga du même nom, porté par la musique de la grande pianiste de jazz, et héritière japonaise d’Ahmad Jamal, Hiromi.

Inchallah, un fils, de Amjad Al Rasheed

Et puis il y a encore Inchallah, un fils, un film déjà un peu vu dans ce qu’il raconte : le chemin de croix d’une femme en pays musulman, en l’occurrence une jeune veuve, qui élève seule sa fille, et qui voit sa belle-famille convoiter son maigre héritage, en raison d’une loi qui ne la protège que s’il y a un héritier mâle. Mais, outre le fait qu’il permet de voir un pays, la Jordanie, et sa capitale, Amman, rarement représentés à l’écran, on salue le talent de son interprète principale, la Palestinienne israélienne Mouna Hawa, et celui de son réalisateur, Amjad Al Rasheed, qui pour son premier film a habilement négocié entre l’explicite et le métaphorique, ce qu’il pouvait et ne pouvait pas montrer : "ça m’a pris du temps pour décider de ce que je pouvais montrer du corps de Nawal. Parce que je crois qu’il n’y a jamais autant de règles sur Terre que quand elles s’appliquent au corps de la femme. Ce qu’elles doivent porter, ce qu’elles ne doivent pas porter, avorter, ou ne pas avorter, tout ça, ce sont des règles qui n’existent pour personne d’autre que les femmes. Parfois je passe par des symboles, et parfois je montre la réalité. En prenant bien sûr en considération la culture. [...] J’ai toujours cherché à maintenir cet équilibre."

"Inchallah, un fils", d'Amjad Al Rasheed - Pyramide Films

La chronique de Mathieu Macheret : Visage écrit de Daniel Schmid, en dvd et blu-ray chez Carlotta Films

Sur scène, un trésor national vivant du Kabuki, Tamasaburō Bandō. Il est regardé, dans le public, par un homme et un jeune garçon, intercesseurs du spectateur occidental dans les coulisses de ce théâtre. Les applaudissements saluent les changements de costume à vue. Et le tout est filmé en 1995 par le grand cinéaste suisse contemporain de Jean-Luc Godard et Alain Tanner, Daniel Schmid. C’est Visage écrit, œuvre étrange et magnifique, au statut indécidable, qui en s’attardant sur le visage peint de l’acteur semble vouloir atteindre l’âme de tout un pays... "Visage écrit, par sa façon de ne jamais se réduire à un sujet, ni de s'en tenir à l'exercice du portrait documentaire, constitue sans doute l'une des plus belles éditions blu-ray de ce premier trimestre, ne serait-ce que parce qu'il rend de nouveau disponible un film devenu rare, comme toute l'œuvre de Daniel Schmid. Autour de Bandō, le film convoque sur le mode de l'entretien d'autres vieilles gloires qui, toutes, conservent dans le grand âge une pratique artistique. Des geishas, comme Han Takehara, nonagénaire, qui exécute quelques traits de danse synthétisés et étirés à l'extrême, dans une étrange poésie suspendue de l'auto-effacement, ou Tsuakiyomatsu Asagi, centenaire, qui taquine encore à son âge le shamisen, le luth japonais à cordes en soie, instrument-clé du kabuki. […] Daniel Schmid tisse entre tous ces intervenants une toile énigmatique, qui pourrait avoir pour centre la façon dont l'artiste est dépositaire d'une mémoire dont il n'est jamais que le corps conducteur. […] Il consacre de larges plages du film aux prestations scéniques de Bandō, absolument bouleversant dans la finesse de rendu, le délié gracieux du moindre geste produit par lui. Le Japon qui se dessine devant sa caméra est un monde entièrement ritualisé où derrière chaque succession de geste affleure un sédiment de significations qui lui restent inaccessible."

"Visage écrit", de Daniel Schmid - Carlotta Films

Les annonces de Plan Large

Une belle série documentaire sur les premiers pas de cinéastes. Ça s'appelle L’Image Originelle, c'est signé Pierre-Henri Gibert, dont on a vu récemment sur Arte le très beau Viva Varda ! A partir de demain sur Ciné+, Marco Bellocchio, Naomi Kawase, Cédric Klapisch, Agnès Jaoui et Joachim Trier reviennent sur leur œuvre par le prisme de la toute première image de leur tout premier film.En avant-première, découvrez gratuitement sur Vimeo le très bel épisode de L'Image Originelle de Pierre-Henri Gilbert consacré à Marco Bellochio en suivant ce lien.

Côté festivals, on signale, au lendemain du 8 mars, la 46e édition du  Festival International de Films de Femmes de Créteil, c'est du 15 au 24 mars, et à la Cinémathèque française, du 13 au 17 mars, la 11e édition de l'ex-Toute la mémoire du monde, devenu le Festival de la Cinémathèque, avec comme invité d'honneur Peter Weir, qui sera notre invité la semaine prochaine.

Extraits sonores

  • Extraits de L'Inondation, d'Igor Minaïev (1993)
  • musiques du début et du générique de fin de L'Inondation
  • Extraits des Carnets de Siegfried de Terence Davies (2021)
  • Love Is Here To Stay par Abe Lyman & His Orchestra
  • Mix des sorties de la semaine
  • Extrait de Inchallah, un fils, de Amjad Al Rasheed (2023)
  • Extrait de Visage écrit, de Daniel Schmid (1995)
  • Noche de Biarritz des Lecuona Cuban Boys, dans la B.O. de Visage écrit
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