Disparition : Georges Kiejman ou les mille vies d'un séducteur de ...
Jusqu'au bout, il aura gardé ce sourire d'une étonnante jeunesse, l'oeil frisant et cet air de chat matois jouant avec une souris… La voix aussi était restée la même, avec cette pointe d'ironie toujours présente, elle montait dans les aigus ; en colère, elle tonnait dans les graves, puissante.
C'est cette voix qui s'est tue, c'est ce regard qui s'est fermé : Georges Kiejman vient de mourir à Paris, ce 9 mai au matin, à l'âge de 90 ans. Mais de lui, il restera toujours cet esprit féroce, cette rage subtile et cet incroyable talent de plaideur.
Le fracas d'une époque tragiqueDernièrement, ce pudique maladif s'était enfin livré dans un ouvrage écrit par la journaliste Vanessa Schneider. A l'approche de la mort, qu'il sentait venir, il voulait rendre hommage « à cette vie magnifique » dont il aura joui jusqu'au bout. Pourtant, « je suis un enfant du XXe siècle qui a grandi dans le fracas d'une époque particulièrement tragique. J'ai hérité d'une histoire triste. Je ne serais jamais devenu l'homme que j'ai été si ma mère avait su lire, si elle n'avait pas été si pauvre et si mon père n'avait pas été assassiné à Auschwitz en 1943 », avouait-il.
Ce séducteur invétéré, cabotin par habitude et charmant par talent avait intitulé le livre « L'Homme qui voulait être aimé », cela n'a surpris personne. « Les femmes, disait-il souvent, ont été la grande passion de ma vie. » Marié à l'actrice Marie-France Pisier, puis, depuis 1983, à la journaliste Laure de Broglie, amant de Françoise Giroud, gourmand, il aligne les conquêtes et se gave de littérature.
Juif de la diaspora et BerrichonSnob sans ostentation, Georges Kiejman, se disait « Juif de la diaspora et Berrichon ». Né à Paris le 12 août 1932, il est le fils d'un artisan mort en déportation. Jeune homme pauvre, il fait ses études secondaires à Saint-Amand-Montrond (Cher) avant d'obtenir un diplôme d'études supérieures de droit public. Il est avocat à la cour d'appel de Paris dès 1954 et devient deuxième secrétaire de la Conférence du stage. De cette enfance difficile, il a tiré toute sa vie une énergie débordante.
Dans son bureau du boulevard Saint-Germain, celui qui a défendu Liliane Bettencourt dans sa lutte contre sa fille, la famille Trintignant lors du décès de Marie sous les coups de Bertrand Cantat, mais aussi Roman Polanski, vous recevait sans vanité excessive. Mais il n'avait pas pu s'empêcher d'écrire à la journaliste que je suis une longue lettre tendre quand il s'était vu sur la couverture des « grands fauves du barreau » que je cosignais avec Isabelle Horlans.
Pénaliste hors pairSa carrière est émaillée d'affaires retentissantes. L'homme était malin et rapide. Au civil, sa causticité le rendait redoutable. Spécialiste des dossiers de propriété littéraire, d'édition, de cinéma, de presse. Il a été notamment l'avocat des éditions Gallimard de longues années comme celui de Gaston Defferre, Simone Signoret, Eugène Ionesco ou Roland Barthes.
Mais c'est au pénal qu'il déployait toute sa palette. Dans une salle d'audience, il se levait, renversait les micros et plaidait d'une voix forte, capable même de menacer d'en venir aux mains quand il défendait Liliane Bettencourt face à son confrère Olivier Metzner, avocat de Françoise Bettencourt Meyers.
Il n'était pas l'avocat d'une cause, mais de toutes. Georges Kiejman a ainsi défendu le militant d'extrême gauche Pierre Goldman, acquitté du double meurtre des pharmaciennes du boulevard Richard-Lenoir à l'issue de son second procès en 1976. Mais il a aussi représenté les intérêts des Etats-Unis lors du procès de Georges Ibrahim Abdallah, le chef présumé des Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL), condamné à perpétuité pour les attentats proche-orientaux à Paris en 1986.
Ministre de François MitterrandIl a défendu également les autonomes italiens, « Les Cahiers du cinéma », la Nouvelle Vague, Robert De Niro, le préfet Yves Bonnet, la famille de Malik Oussekine, l'étudiant tué en marge des manifestations contre la loi Devaquet en 1986, les enfants du général Oufkir détenus au Maroc, les époux Aubrac... Avec l'avocat Richard Malka, son fils spirituel, il s'était engagé dans son dernier grand combat pour la liberté d'expression dans le procès « Charlie Hebdo »…
Ministre et ami de François Mitterrand, il fut d'abord comme ministre délégué auprès du garde des Sceaux puis à la Communication en mai 1991, puis ministre délégué à la Coopération internationale et au Développement entre 1992 et 1993. Mais en 2011, cet homme de gauche qui vouait une admiration totale à Pierre Mendès France, avait défendu Jacques Chirac dans le procès des emplois fictifs à la Mairie de Paris.
Voilà, l'homme qui « voulait être aimé » n'est plus. Mais que l'on se souvienne de ce qu'il rétorqua un jour à une journaliste du « Financial Times » dans une conférence de presse lors de l'affaire Bettencourt : « Je ne pense pas, que le charme décline après 60 ans. Moi, je serai sujet de désir jusqu'au bout ! » Et même après.