Art contemporain : on a visité la Bourse de Commerce, un nouveau musée au cœur de Paris

Cette fois, il l’a fait. Après une si longue attente. L’homme d’affaires François Pinault, classé parmi les cinq plus grandes fortunes de France, et collectionneur d’art contemporain aux 10 000 œuvres, ouvre enfin son musée somptueux, le 22 mai, dans l’ancienne Bourse de Commerce, en plein cœur de Paris, à l’ombre de l’église Saint-Eustache, entre le Louvre et le Centre Pompidou. Au centre de l’échiquier de la capitale. Son musée, où il faut réserver dès maintenant, il en rêve depuis… vingt ans. Un premier projet sur l’île Seguin, à Boulogne-Billancourt, a été abandonné en 2005. Le milliardaire déçu s’est rabattu sur le Palazzo Grassi transformé en centre d’art à Venise. Mais entre-temps, la Fondation Vuitton de son éternel rival des affaires et des arts Bernard Arnault (propriétaire du Parisien-Aujourd’hui en France) est née en 2014, avec un succès fou.

Quand la rumeur d’un musée Pinault à Paris est revenue en 2016, certains membres de l’entourage démentent : « Vous n’y pensez pas, il a 80 ans ». Écran de fumée : le tycoon peaufinait son plan en secret, en liaison avec la Ville de Paris, qui lui concède ce bâtiment historique pour 50 ans. Coût estimé des travaux, fonds privés : 160 millions d’euros. Le vieux lion de 84 ans inaugure à son tour son chef-d’œuvre, prêt depuis un an, retardé par la pandémie, ultime obstacle.

Conçu par l’architecte-star japonais Tadao Ando – secondé par un architecte des monuments historiques – qui a respecté le lieu d’origine, une ancienne halle au blé du XVIIIe siècle devenue bourse de commerce au XIXe, ce nouveau musée a d’abord de la gueule. De l’extérieur, c’est la même qu’avant, mais restaurée à la perfection dans l’état de 1889.

À l’intérieur, quel choc sous la coupole : Tadao Ando, le maître zen du béton, a conçu dans cet espace circulaire un cylindre de ce matériau brut qui joue avec l’architecture d’origine sur 35 m de haut, jusqu’à la verrière sur le ciel et les fresques anciennes restaurées aux couleurs toutes fraîches. Un immense puits de lumière. Et des escaliers comme pour monter dans le labyrinthe, suivre les coursives à différents étages avec leurs vues lumineuses sur Paris à l’extérieur, les salles d’exposition à l’intérieur.

Et qu’y voit-on ? L’art contemporain des années 1960 à nos jours. Pas de noms connus du grand public. Pour ce dernier, la Bourse de Commerce Pinault Collection – c’est son nom, dans cet ordre – sera un lieu d’initiation. S’y affichent environ 200 pièces, dont beaucoup de peintures, et c’est, pour nous, la bonne surprise, car le collectionneur aime ce qui est âpre, conceptuel, pas toujours facile d’accès.

Bien sûr, il a quand même choisi sous la coupole un ensemble de sculptures du Suisse Urs Fischer, l’un de ses artistes fétiches, qui a notamment modelé une statue imitant l’antique : en fait, ces héros romains en cire vont brûler, lentement mais sûrement. C’est la spécialité de Fischer, l’œuvre d’art qui s’autodétruit à petit feu. On aime ou pas, mais la Collection ne s’y réduit pas.

Les salles de photographies, d’une grande puissance, présentent à la fois des pièces pop, colorées, nourries de la publicité, et un ensemble en apparence austère de 94 photos de Louise Lawler, de simples gobelets comme en usaient les premiers malades du Sida à l’hôpital dans les années 1980. Approchez-vous, regardez les noms, la démonstration est terrible : l’artiste a listé la totalité des élus, Républicains mais aussi Démocrates américains, qui ces années-là, ont refusé de voter des fonds pour lutter contre le virus, encore vu comme un mal marginal des homosexuels. Parmi ces réactionnaires de l’époque, un certain… Joe Biden. Cela fait son effet.

Le propos, d’ailleurs, est souvent politique. Pinault soutient des peintres afro-américains, ou le Brésilien Antonio Oba, dont nous aimons énormément la peinture « Strange Fruits, genealogia », datée de 2020, hommage très doux et mélancolique aux Noirs victimes de lynchage. Ces fruits « étranges » aux arbres, c’étaient les pendus.

Cette peinture, toute en allusions, sans violence apparente, aux couleurs chaudes, fait découvrir un grand artiste. « Vous n’allez pas retrouver ici Koons, Hirst ou Murakami », les peintres contemporains les plus chers du monde que collectionne aussi Pinault, prévient Martin Béthenod, directeur délégué de la Bourse du Commerce, qui veut surprendre, faire sens plutôt qu’étalage d’une richesse.

Bourse de Commerce Pinault Collection, ouverture le 22 mai, lundi-dimanche 11 heures-19 heures ; vendredi 21 heures ; fermé mardi ; entrée 14-11 euros ; réservation ici sur le site du musée