Eurovision 2024 : et à la fin, c'est un pays neutre qui gagne
Placé sous haute tension, le concours de l’Eurovision a finalement pu se dérouler sans difficulté et offrir son habituel défilé d’excentricités frelatées.
Par Louis-Julien Nicolaou
Publié le 12 mai 2024 à 10h01
Mis à jour le 12 mai 2024 à 11h41
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Rarement un concours musical aura été autant médiatisé dans les jours précédant sa finale, rarement il aura paru traversé d’enjeux politiques aussi sensibles. L’Eurovision, dont la première édition remonte à 1956, se veut pourtant une vitrine de l’Europe de l’amitié et des gentils clichés, où l’on se dit « god morgon », « ciao » ou « hola » en s’adressant des cœurs avec les doigts. Bien sûr, il promeut depuis des lustres un mélange d’euro-dance ringarde, de vocalises criardes et de résidus de folklore à déprimer l’europhile le plus endurci. Mais la lutte pour la première place demeure bon enfant. Pour preuve, les méchants n’y sont pas invités, ainsi la Russie, privée d’Eurovision depuis que son armée a envahi l’Ukraine.
Or, cette année, la participation d’Israël au concours a été l’objet de critiques, notamment en Scandinavie, certains la jugeant incompatible avec les bombardements sur Gaza. Lors des demi-finales, la concurrente israélienne, Eden Golan, a été huée pendant qu’elle entonnait le titre Hurricane, dont les paroles, jugées trop explicites par l’Union Européenne de radiotélévision à l’égard des massacres du 7 octobre, ont dû être réécrites à deux reprises. Il n’en fallait pas davantage pour que Bernard-Henri Lévy ou Nadine Morano, déclarent sur X (ex-Twitter) leur intention de voter pour elle. Et tandis que le chanteur suédois Eric Saade se produisait le poignet ceint d’un keffieh en soutien au peuple palestinien, Slimane, représentant de la France – en rade de victoire depuis 1977 –, tentait de mettre la balle au centre en appelant, dans un anglais digne de feu Jacques Delors, « à l’unité en musique, oui, mais dans l’amour et la paix. »
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Un concours sans heurts
Toute cette électricité devait s’évaporer dès les premières images retransmises depuis Malmö, en Suède, où se déroulait la finale de cette 68e édition. Magie de la grosse machine à paillettes, les vingt-six concurrents firent leur entrée sans le moindre sifflet, les drapeaux israéliens étaient bien visibles dans le public, et le concours put se dérouler sans heurts. Dans leurs combinaisons lamées, Marcus et Martinus (Suède) ouvrirent le bal en rappelant un peu les frères Bogdanoff, période Temps X. Ce fut comme un retour à la maison : depuis toujours, l’Eurovision est désespérément kitsch, c’est pour ça qu’on l’aime (ou pas). Suivit notamment l’Allemand à moustache Isaak, qui s’entoura de flammes pour entonner un refrain (« ran-dan-ah-eh ») proche d’une litanie cheyenne. Il fallut cependant attendre Nebulossa (Espagne) et leur Zorra pour atteindre avec soulagement un premier pic de ridicule et un premier vertige de rire et d’effroi comme seul l’Eurovision en procure à coup sûr. Ces barbus en porte-jarretelles montrant leurs fesses tandis qu’une batteuse sortie de l’enfer martelait un cadre électronique des années 80, c’était parfait.
Des postérieurs, on en vit d’autres, le rappeur de Windows95Man (Finlande) s’ingéniant à montrer le sien aussi sûrement qu’il cachait son sexe – bien la peine de chanter No Rules si c’était pour afficher une fausse impudeur. Les Estoniens de 5MIIINUST x Puuluup, eux, gardèrent le pantalon tout en s’efforçant de produire une musique s’approchant au plus près du marteau-piqueur, idée au fond amusante – au point où en était. Curieusement, dans l’outrance sataniste, Bambie Thug (Irlande) se révéla plutôt convaincante avec sa chanson Doomsday Blue. Sa mise en scène était certes hideuse, mais le diable et ses suppôts ne sont pas censés être arbitres des élégances. Au rayon pop à plumes et voix haut perchée, le Suisse Nemo fit impression. Quant à Teya Dora (Serbie) ou iolanda (Portugal), elles chantèrent des ballades tout à fait décentes. Enfin, Slimane s’est distingué par sa sobriété : pas de danseurs, pas de grands effets, un homme en blanc et son micro, avec un passage a capella pour mieux faire vibrer Mon amour. Faut-il l’avouer ? Dans ce contexte et après avoir bien conjuré tout parti pris chauvin, il nous sembla demeurer le plus digne prétendant au titre.
Au terme du long décompte des voix, le classement final a donné la Suisse gagnante de l’Eurovision 2024. La France finit en quatrième position, derrière la Croatie et l’Ukraine et devant Israël. Nemo s’est vu remettre la « couronne de la sorcière » par Bambie Thug et le trophée officiel par Loreen, gagnante de l’édition 2023 qui, une heure auparavant, avait livré la plus envoûtante prestation de la soirée. L’Eurovision ? C’était mieux hier et ce sera mieux demain, en espérant que le monde, lui aussi, aura meilleure mine.
Classement final de l’Eurovision 2024
PAYS | PLACE | POINTS |
---|---|---|
Suisse | 1re | 591 |
Croatie | 2e | 547 |
Ukraine | 3e | 453 |
France | 4e | 445 |
Israël | 5e | 375 |
Irlande | 6e | 278 |
Italie | 7e | 268 |
Arménie | 8e | 183 |
Suède | 9e | 174 |
Portugal | 10e | 152 |
Grèce | 11e | 126 |
Allemagne | 12e | 117 |
Luxembourg | 13e | 103 |
Lituanie | 14e | 90 |
Chypre | 15e | 78 |
Lettonie | 16e | 64 |
Serbie | 17e | 54 |
Royaume-Uni | 18e | 46 |
Finlande | 19e | 38 |
Estonie | 20e | 37 |
Géorgie | 21e | 34 |
Espagne | 22e | 30 |
Slovénie | 23e | 27 |
Autriche | 24e | 24 |
Norvège | 25e | 16 |