Estelle Lefébure : «J'avais un physique différent, avec de la poitrine ...

Les premiers shootings (1988)

«J’ai fait tellement de photos sur la plage que je ne les compte plus : j’étais plutôt considérée comme une fille de l’été, moins de l’hiver. On m’engageait pour les shootings au soleil avec le bronzage, les cheveux au vent, la mer. Et puis, j’ai été choisie pour poser dans Sports Illustrated, le graal pour une mannequin. Jule Campbell, la rédactrice en chef, était très exigeante dans ses castings. Donc, quand elle vous choisissait, c’était incroyable. Les photos étaient tellement sexy, mais aussi jolies. 

Je me souviens notamment d’un cliché parmi les éléphants. Plus que la French girl, j’étais la Normandy girl, car tous les Américains connaissent la région du débarquement. C’était ma carte de visite. À l’époque, il y avait un peu une représentante par pays. Elle Macpherson pour l’Australie ; Linda Evangelista pour le Canada ; Claudia Schiffer pour l’Allemagne… Bien sûr, il y avait Ines de la Fressange, mais elle était très associée à Chanel. Moi, j’avais un physique différent, avec de la poitrine, plus de formes. En tout cas, il n’y avait pas de guerre entre nous. On était une petite troupe. Celles dont j’étais le plus proche ? Christy Turlington et Tatjana Patitz, dont la disparition, il y a deux ans, m’a profondément affectée.»

La campagne d’Angel de Thierry Mugler(1992)

«Ce parfum a vraiment révolutionné les codes, avec cette odeur si reconnaissable. Alors, encore aujourd’hui, quand je croise quelqu’un qui le porte, j’ai envie de l’embrasser. Je crois que c’est vraiment ça la puissance d’un parfum. Quant à la campagne publicitaire, j’ai un souvenir bien précis de cette photo prise à New York par Thierry lui-même. Nous étions en haut d’un building, à la limite du vide. 

J’avais le vertige et je me disais : “Mais attends, je ne peux pas reculer plus que ça.” Aujourd’hui, elle serait truquée avec l’IA, mais à l’époque, on n’avait pas le droit à l’erreur. Il n’y avait pas le morphing ou Photoshop, on ne pouvait pas ajouter le décor en postproduction, modifier la longueur des jambes… D’ailleurs, en tant que mannequin, on était vraiment obligées de prendre soin de nous, car on ne pouvait pas tricher. D’où l’importance de l’hygiène de vie qui relevait du professionnalisme. Les retouches étaient difficiles et coûtaient cher !»

Le clip Too Funky de George Michael (1992)

«Thierry Mugler (qui a réalisé le clip, NDLR) avait choisi ses mannequins “préférées”, mais savoir qu’en plus George Michael avait validé ce choix, déjà c’était incroyable. Le tournage a été fou dans tous les sens du terme. Il a duré 24 heures non-stop. Tous les deux se disputaient beaucoup. Et pendant ce temps-là, nous, on attendait, coiffées et maquillées, en se demandant ce qu’on faisait là. J’étais dans une tenue en vinyle moulante qui n’était pas des plus confortables, mais le pire restait ma coiffure.

Je ne sais pas combien de kilos de rajouts je portais sur la tête, mais c’était très lourd ! À l’inverse, je me souviens aussi de ces moments de tournage avec le chanteur, où j’ai pu découvrir une personne très respectueuse. Il avait vraiment envie de nous mettre en valeur. C’est une expérience vraiment gravée dans ma mémoire. Surtout quand je vois le rayonnement dont bénéficie encore ce clip, culte pour toute une génération.»

La mariée pour Dior (1995)

«J’ai été choisie plusieurs fois pour incarner la mariée. Pour Dior quand Gianfranco Ferré était aux commandes, mais aussi pour Thierry Mugler. Un rôle important, car elle devait clôturer le défilé en allant ensuite chercher le créateur pour qu’il salue. Avec le recul, c’était une période où chacun pouvait vraiment montrer sa personnalité sur les podiums. Aujourd’hui, on demande aux mannequins plus de neutralité. 

J’aimais beaucoup défiler pour Thierry (Mugler), Jean Paul (Gaultier), Azzedine (Alaïa), parce qu’on pouvait sourire, prendre la pose… Il y avait de l’acting. Maintenant, je pense qu’on ne s’amuse plus beaucoup sur les shows, et c’est pour ça que je préfère les shootings qui laissent plus de liberté. Je pense que pour remonter sur le podium, il faudrait qu’un créateur ami me le demande. Quand Jean Paul Gaultier a fait ses adieux, j’ai tout de suite dit oui. Mais malheureusement, ils ne sont plus beaucoup à être encore vivants.»

Défiler enceinte pour Jean Paul Gaultier (1995)

«Ce créateur a toujours eu l’habitude de faire un pas de côté, de convier des profils atypiques. C’est ça qui était extraordinaire avec lui. Et qui rendait ses défilés aussi spectaculaires. Quand j’étais enceinte, il avait choisi le thème Mad Max pour sa collection, donc j’avais un maquillage très particulier, des plumes dans les cheveux… Quand il a voulu mettre mon ventre en avant, j’ai immédiatement accepté. C’était complètement assumé, alors que la même année, pour d’autres défilés, on l’avait un peu caché. 

La photo est sortie un peu partout, et j’en étais très fière. De toute façon, j’avais ce côté “puissante” qu’on peut ressentir quand on attend un bébé : à ce moment-là, j’étais au-dessus de tout. Peu importe ce que les gens en pensaient, moi, je me sentais bien et j’étais à l’aise avec mon corps. Donc, c’est un merveilleux souvenir, pour ma fille Ilona aussi. Et c’est très drôle parce qu’il y a quelques années, elle a, à son tour, défilé pour lui.»