Effacer l'historique : critique 2.0 - Critique Film
Depuis leur premier film, Aaltra, Benoît Delépine et Gustave Kervern nous racontent les tribulations de doux dingues aux prises avec la bêtise du monde. Leur cinéma, franchement organique, semble toujours, entre deux éclats de rire, chercher à retrouver la matérialité d’un monde de moins en moins vivant, humain. Qu’ils scrutent le colosse Depardieu remontant le fil du temps dans Mammuth, ou capturent les micro-expressions de Poelvoorde narrant les 10 stades de l’ivresse, ils rendent compte des petits combats de leurs personnages avec une tendresse et une sympathique démence, qu’on retrouve au cœur d’Effacer l'historique.
Sous ses airs de bouffonnerie inoffensive, le film aborde ses personnages avec la sincérité qui caractérisaient déjà Saint-Amour ou I Feel Good, épousant leurs travers et leurs excès avec une bienveillance instantanément désarmante.
Drame du biniou
Il faut dire que Blanche Gardin, Corinne Masiero et Denis Podalydès s’assemblent parfaitement. Mauvaise troupe déclassée, piégée et renvoyée aux marges par des algorithmes et ceux qui en détiennent les clefs, ils trouvent naturellement leur place dans l’univers joyeusement azimuté du duo de cinéastes. Chacun joue de son image, la tord et la convoque, pour composer une galerie de caractères désaxés, mais mus par le profond désir de reprendre le contrôle, d’en finir avec l’atomisation que leur impose un système qui s’est imposé à eux.
Ils s’avèrent le vecteur idéal pour l’humour faussement badin de Kervern et Delépine. Riant avec leurs personnages, mais jamais d’eux, ils parviennent toujours à trouver la distance idéale avec eux, comme ils le faisaient dans Saint Amour, en mélangeant comédie de mœurs et un amour franc du burlesque, parfois aux portes de la Commedia Dell’arte. Une galerie d’anti-héros instantanément attachants, dont les errements permettent aux réalisateurs de réserver leurs piques les plus acides à une société qui laisse les puissants broyer les plus faibles avec d’autant plus de facilité qu’ils apparaissent immatériels.
Retour vers le futur du smartphone
TELEFUNEt c’est là que réside la grande force de cette charge politique qui feint souvent la légèreté, mais se révèle toujours plus mordante qu’attendue. Avec ce portrait d’anonymes décidés à emmerder très concrètement les géants du web, ils ramènent leur récit dans un univers matériel, et refusent d’envisager leur sujet comme une posture militante facile, ou une récrimination théorique. Utiliser l’humour, l’absurdité comme autant de révélateurs des fracas du monde, voilà tout le programme d’Effacer L’Historique. Entre douceur et amertume, le film y parvient, s’amuse continuellement d’une certaine culture française, volontiers frondeuse, et étreint sa bande de David embarquée contre de redoutables Goliath avec un enthousiasme incroyablement communicatif.
Cette affection pour la farce a également la vertu de révéler les failles d'un système qui voudrait apparaître inéluctable quand il est avant tout un dédale non-sensique qui profite toujours aux mêmes. Tout au plus regrettera-t-on que la facture de l’ensemble soit moins accomplie que dans certains efforts de Delépine et Kervern, comme le récent I Feel Good. Leur choix d’opter pour la pellicule leur confère encore une belle âme, mais comme s’ils avaient voulu assumer de situer leur récit dans une réalité plus heurtée et désenchantée que leurs précédents opus, la forme paraît souvent plus sèche, aride. Un choix cohérent, mais qui amoindrit par endroit le charme de l’entreprise.