En ville, le design se jette à l'eau
Fontaine à évaporation, borne de nettoyage, pergola avec brumisateur… Isabelle Daëron, designer aux idées limpides, propose des solutions pour mieux utiliser l’eau en ville. Ça coule de source.
Par Xavier de Jarcy
Publié le 25 juillet 2023 à 12h00
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Alors que l’eau devient un sujet central sur notre planète, Isabelle Daëron n’a pas attendu les dernières canicules pour s’emparer de la question. Depuis plus de dix ans, cette designer installée à Vanves, au sud de Paris, étudie des solutions pour rapprocher l’eau et les humains : fontaine à pluie, scénographie incitant à préserver les milieux naturels… « Ce qui m’intéresse, c’est d’atteindre l’espace public », explique la créatrice. C’est pourquoi elle a fondé une structure, le Studio Idaë, pour répondre à des appels d’offres et s’est entourée d’une équipe. Peu à peu, ses propositions descendent dans la rue. Quatre exemples.
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Une fontaine à évaporationLe projet Aéro-Seine est né d’une réflexion d’Isabelle Daëron sur le réseau d’eau non potable parisien. Car Paris est l’une des rares villes au monde pourvue d’un tel circuit, construit au XIXᵉ siècle par l’ingénieur Eugène Belgrand (1810-1878). « Puisée dans la Seine et le canal de l’Ourcq, l’eau brute est simplement filtrée par une grille. Elle sert à nettoyer les rues et arroser les parcs et jardins », explique la designer. Ce qui évite de gaspiller l’eau potable, plus coûteuse car traitée et chlorée. Mais ce réseau est sous-utilisé et en mauvais état. Pour éviter sa disparition, Isabelle Daëron lui a donc cherché de nouveaux usages, à commencer par une fontaine à évaporation. Le principe est simple : l’eau s’échappe de trois bouches posées au sol ; elle s’étend sur une surface poreuse de 21 mètres carrés et rafraîchit l’air en s’évaporant. Le dispositif, lauréat du concours Faire Design organisé en 2018 par le Pavillon de l’Arsenal, a été installé au pied d’immeubles de la rue Blanchard, dans le 20ᵉ arrondissement.
Une borne de nettoyageAéro-Seine a débouché sur un autre projet, destiné à utiliser l’eau brute pour laver les parties communes des bâtiments d’habitation. « Jusque dans les années 1990, l’accès au réseau non potable existait dans ces immeubles, mais il a peu à peu été réduit pour des questions de normes. Alors qu’on peut très bien l’utiliser pour le nettoyage, ce qui diminue les charges locatives », dit Isabelle Daëron. Le bailleur social Paris Habitat, intéressé par l’idée, lui a commandé une borne-fontaine pour l’une de ses résidences, rue Armand-Carrel, dans le 19ᵉ arrondissement. « Nous avons réalisé une étude des usages auprès du gardien, des agents d’entretien et des jardiniers », précise la designer. En béton et tôle laquée, l’objet final, posé en 2021, abrite un tuyau de 50 mètres permettant de nettoyer locaux à poubelles et conteneurs. Et en plus, il est beau. « Paris Habitat voulait que le résultat parle aux habitants, alors nous avons fait recouvrir la borne de mosaïque colorée. »
Hélas, pendant la crise du coronavirus, la Mairie de Paris, délaissant l’œuvre de Belgrand, a décidé d’utiliser de l’eau potable pour nettoyer les rues. Et elle a du mal à revenir en arrière. Un tiers du réseau non potable est aujourd’hui menacé de fermeture.
Des arches de brumeIsabelle Daëron et son équipe ont continué à travailler avec Paris Habitat, cette fois dans un ensemble de logements de la rue Championnet, dans le 18ᵉ arrondissement. Le bailleur social voulait installer des ombrières dans le jardin. « Mais nous nous sommes aperçus que cet espace vert était peu investi par les habitants, alors que beaucoup souffraient de la chaleur dans leur logement, en particulier les plus âgés. Nous avons donc ajouté des “arches de brume”. Elles fonctionnent sur des plages horaires préprogrammées, de mai à septembre, quand la température dépasse 28 degrés. » Inaugurée cette année, la structure forme une pergola recouverte de motifs en tôle découpés avec une grande finesse. Ils reproduisent le dessin de trois types différents de feuilles d’arbres. Cette fois, le projet utilise de l’eau potable, obligatoire lorsqu’il y a aspersion. La brumisation consomme 80 litres par jour, « l’équivalent d’une douche de quinze minutes ».
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Un miroir d’eauIsabelle Daëron ne travaille pas seulement à Paris. À Rennes, elle a répondu à un appel d’offres pour créer un miroir d’eau place Saint-Germain, dans le centre-ville. « L’architecte des Bâtiments de France nous a imposé beaucoup de contraintes : pas de volume, pas de couleur. Nous devions aussi utiliser le granit de la place. Alors nous avons proposé une “fontaine sèche” : sans bassin, elle est simplement constituée de jets d’eau partant du sol. Nous avions commencé par faire des recherches sur l’histoire de la place. Un méandre de la Vilaine passait autrefois par là. C’est ainsi que nous avons eu l’idée d’un pavage ondulant comme le cours d’une rivière. » La fontaine a été inaugurée en 2022. « Les habitants sont très contents, les enfants viennent y jouer, et les commerçants sont ravis. De plus, cette solution rend l’espace circulable, ce qui permet à un marché de venir s’installer. »