Dries Van Noten, un défilé géant à la Courneuve et une standing ...
Ce samedi 22 juin, le poète de la mode contemporaine, maître de l’allure, des fleurs et des couleurs, a présenté son dernier défilé dans une usine désaffectée de la Courneuve. Un grand moment de mode aussi brillant qu’émouvant.
En mars dernier, dans un communiqué sous forme d'une émouvante «lettre à ses amis», Dries Van Noten annonçait qu’il tirait sa révérence, «triste et heureux» à la fois de quitter ses fonctions de directeur créatif de la maison qu’il a fondé en 1986. À 66 ans, celui qui faisait partie des «Six d’Anvers» (ces créateurs belges qui ont bouleversé la mode dans les années 1980), celui qui sublimait chaque Fashion Week parisienne avec ses défilés enchanteurs, ses vêtements à supplément d’âme, ses fleurs et ses couleurs, est venu saluer hier soir, avec un dernier défilé homme printemps été 2025, ses amis et tous ceux qui l’ont tant aimé.
Ils étaient nombreux à se presser en cette soirée du 22 juin à la Courneuve dans l’immense usine Babcock désaffectée, ancien poumon économique de la ville, spécialisée dans la fabrique de chaudières. Un lieu cool et improbable qui sied parfaitement au créateur anversois, un hangar bétonné au pied du RER B qui avait déjà servi de cadre à son show mémorable d’octobre 2004 qui fêtait son cinquantième défilé : à l’époque une table festive de 140 mètres de long illuminé de lustres de cristal s’était transformée en podium sous les yeux ébahis des invités.
Pier Paolo Piccioli, Norman Reedus et Venus Williams
Hier soir, pas de table dressée mais un cocktail festif avec d’immenses panneaux vidéos retraçant des moments de vie et les 129 défilés du maître anversois attendait les quelque 900 invités conviés. Pas de pop stars ni d’actrices en vogue, pas le genre de la maison, mais de très nombreux créateurs de mode – ses camarades de promotion de l'académie royale des beaux-arts d'Anvers, Walter Van Beirendonck et Ann Demeulemeester mais aussi Thom Browne, Véronique Nichanian, le chapelier Stephen Jones, Haider Ackermann, Pierpaolo Piccioli... Venus Williams et l'acteur Norman Reedus font leur apparition, le champagne coule à flots, l’ambiance est chaleureuse mais l’émotion palpable. Une chose est sûre : Dries Van Noten a l’art de recevoir.
L’hommage des créateurs
Les compliments fusent, les souvenirs remontent à la surface. Le discret Dries Van Noten fait l’unanimité. L’iconique créatrice belge Diane Von Furstenberg loue sa discipline, son esthétique, son élégance et sa fidélité tandis que le directeur artistique de Y/Project et de Diesel, Glenn Martens, célèbre sa perfection et sa poésie. «Quand tu vois un maître de la couleur et de la beauté, cela ne peut que t’inspirer», nous dit-il. Cela va être compliqué de trouver quelque chose d’aussi moderne et de bon goût, dans le monde d’après». Alexandre Matiussi, fondateur du label Ami, s’exclame, lui : «Dries est un repère, un symbole de l’élégance, un créateur qui a vraiment le goût du vêtement et cette envie de le rendre portable, j’espère lui ressembler, en toute humilité. Je suis très admiratif aussi de l’équilibre qu’il a trouvé dans sa vie, entre la mode, sa passion et sa vie intime, plus confidentielle. C’est vraiment chic dans ce monde actuel».
Un podium aux feuilles d’argent
À 22 h, des rideaux noirs s’ouvrent, les invités découvrent un immense podium recouvert de feuilles argentées qui brillent et volent délicatement. Le défilé peut commencer. C’est Alain Gossuin, l’iconique mannequin belge des années 1990, qui ouvre la collection, dans un long manteau noir très élégant. Il était déjà présent sur le premier show du créateur, fait partie des visages clés de Dries Van Noten, tout comme Karen Elson, Kirsten Owen, Leon Dame ou Hanne Gaby Odiele, présents sur le podium, eux aussi. Moonage Daydream de David Bowie résonne et les passages se succèdent avec filles et garçons de toutes générations.
Rose, pêche et citron vert
Les tops et les pantalons amples en organza transparent semblent flotter, les costumes monochromes parfaitement coupés au chic décontracté sont rebrodés de motifs dorés puis la couleur s’invite sur de sublimes manteaux en soie rose, des mohairs pêche et des lurex citron vert. Les fleurs, évidemment, s’expriment, toute en délicatesse, les matières – du coton léger à la laine rustique, du chevron anglais classique au polyamide froissé comme du verre – semblent s’animer et autant raconter les histoires du passé que celles à venir. Les touches de brillance or ou argent selon l’éclairage sont si belles qu’elles allument d’emblée des étincelles dans les yeux, les bermudas, vestes, tops ou pantalons comme sculptés dans du métal doré sont à tomber, associé à du noir envoûtant.
Dries Van Noten vient saluer, très ému, lui aussi. Standing ovation. Une immense boule disco surgit du podium. «Ça fait tellement longtemps qu’on n’a pas vécu un moment comme cela», s’exclame la fashion editor d’un grand magasin. La fête peut commencer. Tout comme l’avenir de sa griffe qui ne s’arrête pas à ce dernier défilé. Dries Van Noten l’a affirmé, s’il se retire pour profiter des fleurs de son jardin à Anvers, il continuera à s’impliquer dans cette maison qu’il chérit tant et annoncera alors (avec le groupe Puig, devenu actionnaire majoritaire de sa marque en 2018) le nom du créateur qui poursuivra sa belle histoire.
Show must go on
Dans sa note d’attention, il conclut d’ailleurs : «Il s'agit de mon 129e show. Comme les précédents, il est tourné vers l'avenir. Ce soir, il y a beaucoup de choses, mais ce n'est pas un grand final. Je pense à Marcello Mastroianni qui a parlé un jour de la paradoxale "Nostalgie du futur", au-delà des paradis perdus imaginés par Proust, et comment nous continuons à poursuivre nos rêves en sachant qu'à un moment donné, nous pourrons y repenser avec amour. J'aime mon travail, j'aime faire des défilés de mode et partager la mode avec les gens. Créer, c'est laisser quelque chose qui perdure. Ce que je ressens de ce moment, c'est qu'il n'est pas seulement le mien, mais le nôtre, pour toujours». Merci Dries Van Noten.