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Dorine Bourneton, paraplégique et pilote d’avion : « Aux commandes d’un avion, j’ai l’impression d’être libre »

Dorine Bourneton paraplégique et pilote davion   Aux commandes dun avion jai limpression dêtre libre
Dans « Au-dessus des nuages », diffusé ce soir sur TF1, Alice Taglioni incarne Dorine Bourneton, une Française qui à l’âge de 16 ans, se crashe dans un petit avion, une passion de l’air qu’elle tenait de son père. Elle se réveille à l’hô

ELLE. Quand on a 16 ans et qu’on nous annonce qu’on ne marchera plus jamais, que se passe-t-il dans sa tête ?

Dorine Bourneton. On se dit que tout s’écroule. On fait la liste interminable de tout ce qu’on ne pourra plus jamais faire, et elle est infinie ! On a envie de mourir, on se dit qu’on n’y arrivera jamais, que c’est une épreuve trop douloureuse. Vous perdez votre liberté, vous allez être prisonnier de votre fauteuil. En m’installant sur mon fauteuil, j’ai pris soixante-dix ans d’un coup.

ELLE. Comment avez-vous surmonté ces sentiments ?

Dorine Bourneton. Deux choses m’ont aidée. Les infirmières laissaient la porte de ma chambre d’hôpital ouverte. Un jour, j’ai entendu deux jeunes garçons qui rigolaient, ils faisaient la course dans le couloir, un en fauteuil manuel, l’autre dans un fauteuil avec un joystick. J’ai été attirée par leurs rires, j’ai ressenti leur joie communicative, elle m’apaisait. J’ai compris que c’est par la joie que j’allais me reconstruire. La seconde, sur les murs de ma chambre d’hôpital, j’avais collé des posters d’avion et je m’évadais par le rêve, ça m’a donné de la force et du courage.

ELLE. Comment envisage-t-on le futur quand on a 16 ans et que l’on est paraplégique ?

Dorine Bourneton. Au début, on est anéanti de douleur, on n’a pas les mots, on se dit que personne ne pourra comprendre ce que l’on ressent. Ensuite, de la colère. Pourquoi moi ? Cette colère, si vous ne la transformez pas, elle va vous ronger. Moi, je l’ai transformée en courage, celui de remonter aux commandes d’un avion. Je me suis replongée dans les récits d’aviation, j’ai lu l’histoire des femmes pionnières, ceux qui ont risqué leur vie pour tracer les premières lignes aériennes. Les médecins mont demandé ce que je voulais faire de ma vie, j’ai répondu simplement que je voulais être pilote. Ils m’ont dit que ce ne serait pas possible, qu’il faut des jambes pour la gouverne de direction. Eux, leur truc, c’est la médecine, ils n’y connaissent rien à l’aviation. Mon père m’a dit : « Si on peut adapter les voitures avec des commandes manuelles, on doit pouvoir équiper des avions. Et on ne ne peut pas, on va l’inventer ! » Il m’a soutenue dans cette démarche. On a fait le tour des meetings aériens, on se renseignait, et il existait bien des avions pour des pilotes handicapés, avec un aéroclub à Toulouse. Il a fallu que je passe mon permis de conduire pour déménager à Toulouse. Là-bas a eu lieu ma renaissance.

ELLE. Comment vous êtes-vous réapproprié votre corps ?

Dorine Bourneton. Cela a pris des années. Avant, je négligeais mes pieds, je pouvais me blesser, me brûler, tout ce qui était en dessous des genoux ne m’appartenait plus, ça m’était étranger. Aujourd’hui encore, je suis très complexée, je n’ose pas montrer mes jambes. Mais désormais j’en prends soin, je mets de la crème tous les jours, elles sont belles, mais je les cache. C’est à nous, personnes handicapées, de changer notre regard sur notre propre corps, à avoir confiance en nous. Handicap ou pas, quand on a confiance en soi, on attire les regards.

ELLE. Certaines sensations du corps vous manquent ?

Dorine Bourneton. J’adorais marcher pieds nus, sentir l’herbe ou le sable. J’en ai encore le souvenir et le plaisir revient, mais ça s’est envolé. Quand on est paraplégique, c’est aussi beaucoup plus compliqué d’avoir un orgasme, quasi impossible même, mais pour autant, je suis arrivée à éprouver un plaisir que je n’aurais jamais cru possible. J’ai aussi retrouvé une forme de bien-être grâce au yoga. Comme on ne sent plus ses jambes, on a l’impression de flotter, ce sentiment vous empêche de fixer vos idées et vos pensées, de vous concentrer. J’ai des pertes de mémoire fréquentes. Avec le yoga, j’arrive à retrouver la sensation physique d’avoir les pieds sur terre, d’avoir le contact avec le sol.

ELLE. D’où vous vient cette passion pour l’aviation ?

Dorine Bourneton. Mon père était chauffeur de taxi ambulancier, mais son rêve éait de piloter un avion. Il a mis de l’argent de côté, et un jour, il s’est lancé. Un jour, il a demandé à mon frère s’il voulait piloter, mais il lui a répondu qu’il n’avait pas assez confiance en lui. Moi, je n’étais pas conviée dans la conversation, mais je m’y suis invitée, je m’en sentais capable. J’avais 8 ou 9 ans. Je rêvais d’une vie d’aventure, dans le dépassement de soi. Après l’accident, quand j’ai voulu repiloter des avions, mon père était très fier, mais ma mère était catastrophée, elle me disait : « Tu veux te crasher une deuxième fois ? ».

ELLE. Que ressentez-vous dans les airs que vous ne ressentez pas sur terre ?

Dorine Bourneton. Aux commandes d’un avion, j’ai l’impression d’être libre, de glisser, de danser. Et surtout, j’ai l’impression d’être aux commandes de ma vie et de mon destin, je commande cette machine complexe, ça me donne confiance en moi, ça me reconstruit de l’intérieur. Je ressens de la joie et de la fierté, chose que je n’éprouve pas dans la rue, sur un trottoir qui peut me paraitre difficilement franchissable, où je suis vulnérable. Avec la voltige, on s’entraîne au dépassement de soi, on sort de sa zone de confort. Là, je viens d’accepter un poste au sein d’une banque, je vais être responsable d’une mission handicap, alors que je n’ai pas particulièrement les compétences pour le faire. Mais c’est grâce à mes entraînements dans les airs que j’ai trouvé la force de prendre ce genre de risques.

ELLE. Vous vous êtes engagée pour faire changer la loi…

Dorine Bourneton. Pendant des années, j’étais porte-parole des pilotes handicapés. Je me suis battue pour changer la réglementation, pour leur permettre d’être pilotes professionnels ou de voltige. Il a fallu changer la loi en 2003, mais je n’y serai pas arrivée seule, j’ai été bien entourée de gens qui m’ont appris le langage politique pour argumenter le dossier. C’était une victoire collective. Notamment grâce à Brigitte Révellin-Falcoz, une des premières pilotes de ligne en France, elle était dans le tout premier équipage 100% féminin en 1982, sur Air Inter. Elle avait subi du sexisme, on lui avait dit : « Jamais on ne laisserait une femme aux commandes d’un avion de ligne ! »

ELLE. Vous avez subi ce sexisme ?

Dorine Bourneton. Etre femme et handicapée, je cumule ! C’était ardu, on m’a humiliée, j’ai tellement mal vécu ça que je laissais Guillaume, mon meilleur ami, pilote handicapé, prendre la parole à ma place. J’avais peur de prendre la parole en public. Parfois, ma parole n’avait aucun crédit. Alors je lui soufflais des idées et il les défendait à mes côtés.

ELLE. Aujourd’hui, avez-vous l’impression de mener une vie comme les personnes valides ?

Dorine Bourneton. A 46 ans, j’ai l’impression de mener une vie normale, mais ça a été un long chemin de réparer cette blessure que l’on a autour de soi. Perdre l’usage de ses jambes, c’est perdre l’usage de ses rêves. On se dit qu’il est impossible de se marier, de travailler, d’avoir des enfants, qu’il va falloir se battre pour aller le chercher. C’est un long chemin. J’ai une fille de 14 ans, elle appréhende l’idée de voler mais elle a ses propres passions.

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