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CAN 2024 : Mali-Côte d'Ivoire, une affiche aussi politique

CAN 2024  MaliCôte dIvoire une affiche aussi politique
Les deux voisins d’Afrique de l’ouest s’affrontent samedi en quart de finale de la Coupe d’Afrique des nations. Si une forte diaspora malienne est installée en Côte d’Ivoire, les relations politiques entre Abidjan et Bamako sont fraîches.
Un supporter du Mali à Korhogo le 30 janvier.Un supporter du Mali à Korhogo le 30 janvier.
Un supporter du Mali à Korhogo le 30 janvier. FADEL SENNA / AFP

Deux peuples, une seule cité et la même joie intense de vivre « entre frères » un quart de finale de Coupe d’Afrique des nations (CAN), comme le martèlent des supporters des deux nations. Samedi 3 février, le Mali défie la Côte d’Ivoire sur au stade de la Paix à Bouaké. Dans cette CAN renversante, il fallait bien que ce classique de la sous-région, ce « Barça-Real », comme l’ont surnommé des reporters locaux, se tienne dans cette ville si spéciale - la deuxième du pays (plus de 800 000 habitants) - où vit une importante diaspora malienne.

Dans les rues submergées par les taxis motos, certains chauffeurs portent en bombant le torse le maillot des Aigles. « Bouaké, c’est le Mali, clame Sanogo Touma, 43 ans, un commerçant dont la boutique est située non loin de la gare routière. Je suis né à Bouaké, mais je suis obligé de supporter le pays de mon papa. Ça ne sera pas un petit match. » Il promet que les tribunes seront « du nord au sud et de l’est à l’ouest » aux couleurs des Aigles.

« En 2016, il y a eu un match à Bouaké entre les deux pays, le Mali avait ouvert le score, et le stade s’était levé, je m’étais dit “on est envahis”. Après, on les avait calmés, se rappelle en rigolant Jean-Claude Kouakou, un Ivoirien de 47 ans. Les Eléphants l’avaient emporté 3-1. L’ambiance va être chaude lors de ce quart, mais dans le bon sens du terme. Il y a aura un match sur la pelouse et un autre dans les gradins avec une dominance ivoirienne. On est chez nous quand même ! »

« On reste deux pays voisins inséparables »

Vendredi, en cette fin de journée, ce délégué médical était en train d’acheter une tunique aux couleurs des Eléphants. Les trois vendeurs, tous d’origine malienne, sont arrivés d’Abidjan et ont ramené dans leur besace 1 500 maillots orange et 500 jaune-vert-rouge de l’équipe adverse à vendre. Pour eux qui vivent en Côte d’Ivoire, cette rencontre est un tourment : quel camp choisir ? Les Aigles ou les Eléphants ? « Que le meilleur gagne, lâche Samba Cissé, 35 ans, qui préfère botter en touche avant de se raviser : Faut que la Côte d’Ivoire gagne, car on a beaucoup de maillots à vendre. » Un de ses collègues est un peu moins cynique. « Je suis partagé, mais je penche plus pour la Côte d’Ivoire, confie Amadou Sylla, 24 ans. C’est vrai que je suis Malien, mais je suis né ici, j’ai grandi ici, mon cœur est Ivoirien. »

C’est un sentiment que partagent beaucoup de Maliens rencontrés dans cette ville. « On reste deux pays voisins inséparables », veut insister Amadou Sylla. Bouaké est géographiquement au centre de la Côte d’Ivoire. Carrefour commercial entre les différents pays de la sous-région, la ville a accueilli, ces dernières décennies, une immigration burkinabée, guinéenne, sénégalaise et malienne. Depuis la rébellion déclenchée en 2002, dont elle était la « capitale », et les crises politiques survenues à partir de 2012 au Mali puis au Burkina Faso le nombre de ressortissants de ces deux pays a encore augmenté.

Bouaké la rebelle a repris son développement dès 2011 et la fin de la guerre ; le stade qui porte le nom de « Paix » se veut donc un signe de réconciliation nationale, alors que la ville vient de se rapprocher d’Abidjan : l’autoroute a été prolongée à l’occasion de la CAN et met désormais la capitale économique à moins de 5 heures.

« Palabres »

Duel sportif, ce Mali-Côte d’Ivoire est également une affiche politique. Les liens entre ces deux pays se sont distendus jusqu’à devenir hostile depuis l’arrivée de militaires au pouvoir à Bamako lors de deux coups d’Etat en 2020 et 2021. Des sanctions économiques et politiques, dont le président ivoirien Alassane Ouattara était un fervent partisan, ont été décidées contre le pays par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Signe de la tension, 49 soldats ivoiriens accusés d’être des mercenaires chargés de déstabiliser Bamako ont été détenus par le Mali entre juillet 2022 et janvier 2023. La rupture officielle a été prononcée dimanche 28 janvier, quand le Mali, accompagné du Burkina Faso et du Niger ont annoncé leur départ de l’organisation régionale, ce qui pourrait avoir des conséquences sur la libre circulation des biens et des personnes jusqu’alors en vigueur. « Politiquement, c’est tendu, mais pas entre la population, assure Cissé Fosseny, un commerçant de chaussures originaire du Mali. Ce match est l’occasion de montrer au monde que les deux peuples sont unis. Un Malien en Côte d’Ivoire ou un Ivoirien au Mali, il est chez lui. Nous sommes tous de la même famille. »

A Bouaké, on ne veut pas se laisser embarquer dans des « palabres » sans fin. « Il y a des gens qui cherchent à faire du mal sur les réseaux sociaux, ce n’est pas bien, s’emporte Badjé Gnagadou du Haut conseil des Maliens en Côte d’Ivoire. Il n’y a rien de politique dans ce match de foot, le ballon, c’est un amusement. »

Le sélectionneur du Mali, Eric Sekou Chelle, a bien senti l’enjeu « symbolique » autour de cette rencontre et en début de conférence de presse d’avant match, le 2 février, il a voulu souligner que ce quart de finale se joue « entre deux pays frères, dans un lieu dont le nom est le stade de la Paix, sur un terrain de foot ». Il a ajouté que les « deux nations sortiront grandies de ce match-là » et qu’« on va pouvoir s’embrasser à la fin ». Le coach de la Côte d’Ivoire, Emerse Faé a également tenu un discours apaisé : « On restera dans le fair-play, et j’espère que les deux peuples sont dans cet état d’esprit. La CAN, c’est la fête de l’Afrique, du foot africain, nous les acteurs, il faut qu’on montre l’exemple. »

A côté du centre commercial Cacomiaf, Alou Kouma, 25 ans, un Malien qui vit à Bouaké depuis quatre ans, est l’objet d’amusement de la part de ses amis ivoiriens. « Il a peur, lance N’Valy Nacer Camara, 32 ans, le Mali n’a jamais gagné les Elephants. Jamais. » Lui, est confiant : « Cette fois-ci, c’est la bonne, il y a une première à tout. » Les deux hommes travaillent ensemble chez un vendeur en gros de cahiers. Alou Kouma dit être heureux de vivre dans cette ville « sans animosité ». « On cohabite tous ensemble, avance N’Valy Nacer Camara. Mali-Côte d’Ivoire, quel que soit le vainqueur, Bouaké sera gagnant. »

Mustapha Kessous(Bouaké, envoyé spécial)

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