Agression d'Yvan Colonna : terrible gâchis en Corse
Editorial du « Monde ». A un mois de l’élection présidentielle, alors que la guerre gronde aux portes de l’Europe, Emmanuel Macron se serait bien passé d’une éruption en Corse. Bien sûr, des manifestants n’auraient pas crié « Etat français assassin », dimanche 13 mars, à Bastia, lors d’un défilé qui a dégénéré en émeutes, si Yvan Colonna, militant indépendantiste condamné à la perpétuité pour sa participation à l’assassinat du préfet Claude Erignac, à Ajaccio en 1998, ne se trouvait pas entre la vie et la mort, onze jours après l’agression dont il a été victime de la part d’un codétenu. Les circonstances de ce drame ne pouvaient que remettre en lumière l’épineuse question des conditions d’incarcération des détenus corses et susciter la colère des nationalistes.
L’agression brutale, perpétrée le 2 mars par un détenu condamné pour des faits de terrorisme islamiste, pose en elle-même plusieurs questions auxquelles des réponses devront être apportées : comment les deux hommes dont l’un, Yvan Colonna, était un « détenu particulièrement signalé » (DPS) et l’autre connu pour sa violence, ont-ils pu être laissés seuls dans une salle de musculation ? Pourquoi a-t-il fallu huit minutes aux gardiens pour intervenir ?
Six jours après ces faits, qui traduisent probablement une négligence de l’administration pénitentiaire, alors qu’Yvan Colonna reste dans le coma, le premier ministre a levé le statut de DPS qui l’empêchait de purger sa peine dans une prison corse, comme le réclament depuis longtemps les nationalistes. Après plusieurs jours de tensions, il a fait de même, vendredi 11 mars, pour Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, condamnés et détenus eux aussi après l’assassinat du préfet Erignac.
Jusqu’à présent exclue par l’Etat, la relocalisation de ces derniers est soudain envisagée dans la prison de Borgo (Haute-Corse), qui doit être réaménagée. Qu’il ait fallu des violences pour que soit satisfaite une revendication de plus en plus admise par les élus et par l’opinion, y compris sur le continent, constitue un dangereux précédent. Un tel scénario donne des arguments aux partisans de l’affrontement. Il souligne en outre l’extrême sévérité du régime carcéral appliqué à des détenus certes condamnés pour un crime particulièrement grave, mais qui, ayant achevé leur « période de sûreté », peuvent demander une libération conditionnelle.
Réforme bloquéeTout, dans ce déroulé des faits, évoque un terrible gâchis. Il ravive, parmi les jeunes Corses, le récit épique, entretenu par les indépendantistes, d’une période qu’ils n’ont pas connue. Cela alors même que les autonomistes, branche modérée des nationalistes, ont conquis, sous la houlette de Gilles Simeoni, non seulement la présidence du conseil exécutif de Corse mais la majorité absolue à l’Assemblée de Corse. La flambée de colère déclenchée par l’agression contre Yvan Colonna ne va pas aider M. Simeoni à défendre la stratégie non violente à laquelle il se tient.
Ces événements soulignent aussi l’occasion manquée avec la Corse pendant le quinquennat d’Emmanuel Macron. La réforme constitutionnelle lancée en 2018 mais bloquée par le Sénat ouvrait la voie à un statut plus différencié pour l’île, conférant de nouveaux pouvoirs réglementaires à la Collectivité de Corse, y compris en matière fiscale. Au-delà de la situation des détenus corses, qu’il est urgent de normaliser, c’est ce dossier institutionnel que le prochain chef de l’Etat devra rouvrir, en recherchant les voies d’un dialogue renouvelé avec les élus corses.
Le Monde