Diane Kurys : “'Cocktail Molotov', c'est l'enthousiasme de ceux qui avaient 20 ans en 1968”
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De “Diabolo menthe” à “Ma mère est folle”, son œuvre sensible et sociétale nous accompagne depuis cinq décennies. Retour avec la cinéaste sur son deuxième long métrage, le très rare “Cocktail Molotov”, diffusé ce vendredi à 21 heures sur France 5.
“Cocktail Molotov” sort en 1980, deux ans après votre première réalisation, “Diabolo menthe”, dont il prolonge la veine autobiographique sans connaître le même succès. Correspond-il à ce que vous envisagiez de faire ? Probablement pas. J’étais sans doute éblouie par le succès de Diabolo menthe et, me servant de mes souvenirs encore frais de Mai 68, je l’ai écrit trop vite. À l’époque, j’ai pensé que Cocktail Molotov n’était pas très réussi. Parce qu’il n’avait pas marché, mais aussi parce qu’à l’image des personnages du film j’avais le sentiment d’être passée à côté de mon sujet. Pourtant, en le revoyant lors de sa ressortie en 2018, j’ai révisé mon jugement. Cocktail Molotov parle bien de son temps, de l’innocence et de l’enthousiasme de ceux qui ont eu 20 ans en 1968. Je crois que sa qualité est d’être juste et vrai ; sur le ton des protagonistes, leurs sentiments, leur façon même de bouger.
L’histoire est celle d’Anne, de son petit ami Fred et du meilleur copain de l’amoureux, Bruno, qui accomplissent un road trip alors que la révolution, à laquelle ils auraient voulu prendre part, dresse ses barricades à Paris… Au fond, j’aurais voulu reconstituer les barricades et faire un vrai film sur Mai 68, à Paris. Comme c’était impossible, j’ai choisi de prendre la tangente à travers un road trip où les personnages courent après la révolution. Ils pensent la rater, mais ils vivent cette libération, même si elle est moins politique que de l’ordre des sentiments.
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Élise Caron, François Cluzet et Philippe Lebas dans « Cocktail Molotov ».
Films A2
Anne est incarnée par Élise Caron, au jeu neutre et sec, mais qui fait preuve d’une réelle maturité. On sent que vous avez souhaité être davantage dans la vérité de cette jeune femme que dans le désir de séduire le public… Oui, certainement. Moi-même, je ne me suis pas complètement identifiée à elle. Mais elle représente ce que je recherchais, quelque chose de l’esprit d’une ado de ce temps, avec un côté un peu mec et le fait qu’on ne sait pas si elle est vraiment jolie. Comme je ne pouvais reprendre l’héroïne de Diabolo menthe, Éléonore Klarwein étant trop jeune pour ce rôle, j’ai beaucoup auditionné avant de rencontrer Élise, qui est une chanteuse mais dont la personnalité collait bien à Anne. Je regrette juste de ne pas avoir développé une relation amoureuse, pourtant en germe, entre elle et Bruno, qu’interprète François Cluzet.
Lequel, pour son premier rôle au cinéma, est déjà pleinement l’acteur qu’on connaît ! Je l’avais vu jouer Haute Surveillance, de Jean Genet, dans un petit théâtre. Il était déjà prodigieux et m’a éblouie. François a mis des années à être reconnu pour ce qu’il est : un grand acteur. Sur le tournage, il était charmant, craquant. Il m’a bluffée par ce qu’il apportait. Sa scène d’engueulade, sur la route, c’est fort et c’est du Cluzet pur jus !
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« Élise Caron est une chanteuse mais sa personnalité collait bien à Anne », se souvient Diane Kurys
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Pourquoi avez-vous mis tant de temps à évoquer la dimension autobiographique de vos films ? À mes débuts, la notion d’autofiction n’existait pas. Et il entrait sûrement une part de honte, de gêne à le reconnaître. Pourtant, quasiment tous mes films sont autobiographiques. Sauf certains, plus récents. Mais même dans Sagan, je me suis projetée. Disons que je me suis cachée, longtemps…
Dans la vie, vous avez concrétisé le souhait d’Anne en partant, à 16 ans, avec votre amoureux, qui était Alexandre Arcady, dans un kibboutz en Israël. Pourquoi ne l’avoir pas permis à votre alter ego fictionnel ? Parce que j’ai justement mêlé la fiction à la réalité. Anne renonce à son rêve qui n’en est pas un. En ce qui me concerne, le kibboutz ne s’inscrivait pas dans le cadre d’un retour en Israël. Il s’agissait d’un désir de vie en communauté. Là encore, c’était dans l’esprit du temps.
Que faisiez-vous en mai 1968 ? J’avais 20 ans, j’étais étudiante à Paris et, tous les matins, j’arpentais le Quartier latin sur mon Solex. Mon sentiment, c’était : à nous de jouer ! On se sentait invulnérables…
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Dans « Cocktail Molotov » François Cluzet joue son premier rôle au cinéma, et était « déjà un grand acteur » selon Diane Kurys
Films A2 - Alexandre Films
À voir q Cocktail Molotov, de Diane Kurys (France, 1980). Avec Élise Caron, Philippe Lebas et François Cluzet, vendredi 29 avril, à 21h, sur France 5.