Mort de Christian Bobin, l'écrivain du surgissement
Bibliothécaire et guide de musée, l’auteur du “Très-Bas” vivait en homme tranquille, au Creusot. Goûtant la singularité sans cesse renouvelée d’un jour qui passe, d’un mot qu’on trouve. Il s’est éteint le 23 novembre, à l’âge de 71 ans.
La Folle Allure, L’Homme-Joie, Le Muguet rouge :autant de titres de livres qui sont déjà des vers, des mots jetés pour exprimer le désespoir, la gaieté ou la difficulté de vivre, comme il l’écrivait dans La plus que vive. Un roman, une confidence ? Chez Christian Bobin, mort le 23 novembre à l’âge de 71 ans, les catégories étaient poreuses, seuls comptait la pensée ou le songe qui surgissait : « La vie n’est pas chose raisonnable. On ne peut, sauf à se mentir, la disposer devant soi sur plusieurs années comme une chose calme, un dessin d’architecte. La vie n’a rien de prévisible ni d’arrangeant. »
Né au Creusot en 1951, Il avait connu le succès avec Le Très-Bas (1992), consacré à saint François d’Assise. Un texte poétique en prose qui salue un homme, un saint du XIIᵉ siècle rapidement canonisé. Il n’était pas question de biographie mais d’une forme de dialogue entre le poète et un « merveilleux conducteur de joie ». Les détails de la vie du saint comptaient moins que les images que celui-ci pouvait suggérer : « On dit par exemple saint François d’Assise. On le dit en somnambule, sans sortir du sommeil de la langue. On ne dit pas, on laisse dire. On laisse les mots venir, ils viennent dans un ordre qui n’est pas le nôtre, qui est de l’ordre du mensonge, de la mort, de la vie en société. »
Christian Bobin avait un regard malicieux, comme celui d’un chasseur de mots surpris qu’ils viennent à lui avec complicité. Bibliothécaire, guide à l’écomusée du Creusot, c’est toujours avec étonnement qu’il constatait que ses livres se vendaient à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. Discret, loin du monde, il ne faut voir sa disparition que comme la promesse d’une pensée poétique toujours à découvrir. « Ce qui ne fane jamais, disait-il dans un entretien accordé à Télérama en 2019, c’est l’appétit d’écrire, la curiosité infinie du jour qui passe. » Il n’est pas mort, il est juste somnambule.
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