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Caster Semenya, la triple championne du monde du 800 mètres ...

Caster Semenya la triple championne du monde du 800 mètres
La controverse causée par la victoire de la boxeuse algérienne Imane Khelif aux JO de Paris 2024 en rappelle une autre : celle entourant la coureuse sud-africaine, interdite de compétition depuis 2019. Qui mène une lutte acharnée contre son plus cori

La controverse causée par la victoire de la boxeuse algérienne Imane Khelif aux JO de Paris 2024 en rappelle une autre : celle entourant la coureuse sud-africaine, interdite de compétition depuis 2019. Qui mène une lutte acharnée contre son plus coriace adversaire : la Fédération internationale d'athlétisme. Portrait.

Ses épaules sont trop carrées, sa voix trop grave et ses performances bien trop élevées. Caster Semenya, double championne olympique et triple championne du monde du 800 mètres, fait face depuis plusieurs années à de vives controverses. Son tort : ne pas être «assez femme», disent les professionnels. Atteinte d’hyperandrogénie (comme la boxeuse algérienne Imane Khelif, dont la victoire a causé une controverse aux JO de Paris 2024), un syndrome provoquant chez certaines personnes un excès naturel d’hormones mâles - dont de la testostérone -, la sportive divise depuis toujours dans sa catégorie. Pris entre la rareté de son cas et la révolte de certaines concurrentes en coulisses, la Fédération internationale d'athlétisme (anciennement dit IAAF) a finalement décidé en 2019 de contraindre la coureuse à la prise d’un médicament afin de réduire son taux de testostérone dans le sang. Refus catégorique de cette dernière qui est, depuis, interdite de compétition. «Dieu m'a créée comme je suis, je m'accepte et je suis fière», déclarait-elle en 2009, dans les pages du magazine You .  

Du foot et de la bagarre

Des petites filles jouant au football sur le terrain de l’enfance de Caster Semenya. Getty Images

Jeune fille, celle que l’on surnommera bientôt «le cobra» a su très tôt qu’elle était «différente». Mais si, à l’âge de 5 ans, elle aime déjà le football et la bagarre, ne porte ni robes, ni de rubans, Mokgadi Caster Semenya - de son vrai nom - ne s’est jamais sentie «homme» pour autant. Née un 7 janvier 1991 à Pietersburg (aussi dit Polokwane), province pauvre du Limpopo en Afrique du Sud, elle est la dernière d’une fratrie de trois sœurs. Fait étrange : avant l’accouchement de son épouse, le père, Jacob Semenya, avait prié tous les dieux pour avoir cette fois-ci un garçon - un vœu «pleinement» exaucé des années plus tard avec la venue au monde de son fils Thabang. Dans un portrait du magazine Jeune Afrique dédié à la sportive en 2009, le patriarche s’était souvenu de l’adolescence de sa cadette, entre son timbre de voix masculin et sa poitrine inexistante. «Au téléphone, on la prenait souvent un homme», racontait-il. Pourtant, lui n’a jamais eu de doute : sa fille a toujours été une fille. Une fille «pas comme les autres», simplement. 

Au début des années 1990, dans son fief reculé à la frontière avec le Botswana, Caster parle peu de sa dissemblance. Là-bas on la voit seulement comme «un garçon manqué» - elle ne sera d’ailleurs jamais examinée par quel médecin que ce soit. Dans son livre autobiographique, The Race to be myself (La course pour devenir moi-même), paru en octobre 2023, elle évoque même cette enfance comme l’époque déchue d’une certaine insouciance. Malgré quelques railleries, elle aime se balader en survêtement et s’amuse de dépasser de plusieurs mètres les garçons qui s’époumonent en cavalant derrière elle. Quand Caster Semenya a-t-elle pris conscience de son talent ? Du plus loin qu’elle s’en souvienne, l’athlète s’entraînait déjà, jeune fille et toujours pieds nus, sur les pistes poussiéreuses qui bordaient sa maison. C’est ainsi qu’en 2009, tout juste âgée de 18 ans, elle participe aux Mondiaux de Berlin, sa première grande compétition.

Un «test de féminité»

Caqter Semenya devant les bureaux de l'ASA à Rosebank le 24 août 2009 à Johannesburg, Afrique du Sud. Gallo Images / Getty Images

Le saut entre Limpopo et l’Allemagne est vertigineux. Dans le Stade Olympique de la capitale, d’une superficie de quelque 75.000 spectateurs, la jeune femme s’élance aux côtés de 1.895 athlètes, issues de 200 nations. «Très vite, le plus beau jour de ma jeune vie s'est transformé en scandale international», écrit-elle dans son ouvrage. Car ce 19 août, son exploit - une minute, 55 secondes et 45 centièmes la propulsant au rang de championne du monde du 800m - ne suffit pas à faire taire les suspicions, voire même les intensifient. Dans les vestiaires, la rumeur s’ébruite : Caster Semenya aurait menti sur son sexe. Au sortir de la remise de prix, un journaliste ose même lui poser cette question : «J'ai entendu dire qu'à la naissance, vous étiez un homme ?». Pour calmer le tumulte, la Fédération internationale d'athlétisme la soumet à son premier «test de féminité» ; cette dernière est transportée le soir même dans un hôpital allemand. Scandale dans le monde sportif féminin. À peine sortie de l’adolescence, son identité est remise en question, tandis que son corps, son visage, sont placardés en une de tous les magazines. Comme elle l’expliquera en 2019 devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), saisi pour contester sa prise de médicaments en tant que coureuse hyperandrogène, elle subira ce jour-là «l'expérience la plus forte et la plus humiliante de sa vie». 

Dans cette déferlante médiatique, un journal australien assure que «selon une source proche de l’IAAF», Caster Semenya a été diagnostiquée hermaphrodite par les experts. Des informations pourtant tenues confidentielles, livrées dans la presse sans l’en avertir avant. Toujours dans son autobiographie, elle revient sur la violence de cette mise en pâture, apprenant en même temps que le monde l’existence de son syndrome : «un excès d'androgènes - hormones masculines principalement représentées par la testostérone - circulant dans le sang», explique pour Madame Figaro le sociologue du sport et de la santé Hugo Garcia. Face à son cas et dans un souci «d’équité sportive», on l’a contraint alors à prendre un traitement pour se remettre à la norme. Sous le choc et soucieuse de vite reprendre les compétitions, la sportive accepte. En 2010, elle entame la prise de médicaments et découvre son lot d’effets secondaires avec. 

S’ensuivent en effet la fièvre, les poussées de transpirations, la prise de poids, les nausées et les douleurs abdominales. Des symptômes entraînant rapidement une perte de confiance en elle et une dépression. Pour surveiller son taux de testostérone elle doit pratiquer des analyses sanguines régulièrement, en plus de tests inopinés de la part de l'IAAF, qu'elle accuse aujourd'hui d’avoir été prise pour un «rat de laboratoire». Si elle conserve son titre de championne du monde en 2011, sa médicalisation a ainsi des effets très négatifs sur ses performances. Alors qu’à partir de cette année-là, la Fédération internationale d'athlétisme fixe un règlement relatif à l'hyperandrogénie, établissant des seuils de testostérone pour mieux définir le «sexe sportif féminin», l’athlète décide, en 2015, d’arrêter son traitement. L’heure, pour elle, d’entreprendre un tout nouveau combat. 

Le temps de la révolte

Cela fait maintenant près de 15 ans que Caster Semenya mène ainsi une lutte acharnée contre l’institution, aujourd’hui baptisée World Athletics. Pour Hugo Garcia, les enjeux sont grands puisqu’ils s’inscrivent dans l’histoire du sexisme et de la discrimination, inhérents au monde sportif, et cristallise les débats autour du sexe biologique. «Des athlètes comme Semenya, Dutee Chand (sprinteuse indienne hyperandrogène, NDLR) et bien d'autres, ne doivent en aucun cas être forcées ou encouragées à prendre des médicaments pour baisser leur taux de testostérone, alors que c'est leur corps qui est fait ainsi. Il est totalement ahurissant que des personnes soient obligées de suivre un traitement hormonal ou de se faire opérer pour être acceptées dans des compétitions puisqu'elles en viennent à changer leur corps pour correspondre à des standards posés comme naturellement normaux». Pour mieux comprendre, ce dernier cite l’une de ses homologues, Béatrice Barbusse : «On a appris à l'école qu'il n'y a que deux sexes figés, or la science nous permet de savoir qu'il y a plusieurs façons de le définir – hormonal, génétique, anatomique, chromosomique.» «Cela bouscule beaucoup de nos croyances, reprend Hugo Garcia. On est incapable scientifiquement de définir ce qu'est une vraie femme ou un vrai homme». 

En attendant et concernant les performances, de nombreux sociologues du sport invoquent le traitement de figures masculines pour contredire le fantasme d’une «équité» intersexe : «Cela n'existe pas. Usain Bolt avait des dispositions physiologiques qui faisaient qu'il était avantagé : la performance est inégalitaire en soi». Et de poursuivre :«Caster Semenya est une femme de sexe cis(genre). Par conséquent, quel que soit son avantage, cela n'est ni injuste ni artificiel. Vous ne pouvez pas disqualifier un grand joueur de basketball parce qu'il est plus grand qu'une personne moyenne ou disqualifier un joueur d'échecs parce qu'il a un QI plus élevé». Après plusieurs années d’allers-retours entre quelques compétitions de seconds rangs et l’attente d'une prise de décision définitive de la part du Tribunal arbitral du sport (TAS), Caster Semenya est finalement, en 2019, interdite de compétitions internationales sous faute de traitement. 

À lire aussi«L'image et le corps d'une athlète ont une influence sur sa carrière» : quand les diktats de beauté pèsent sur le sport féminin

Un mariage traditionnel

Dans ce tumulte, la combattante n’a néanmoins jamais perdu le soutien de son pays, l’Afrique du Sud, et de sa compagne Violet Raseboya, ancienne athlète également. Les deux femmes se sont mariées en décembre 2015, dans une luxueuse villa de Pretoria, la capitale sud-africaine. Les photos de son union, publiées sur Instagram, montraient une Caster Semenya, alors âgée de 24 ans, en costume foncé aux côtés de son épouse, vêtue quant à elle d’une somptueuse robe blanche immaculée. Cinq ans plus tard, le couple confirmait la naissance de leur premier enfant, une petite fille prénommée Ora. Puis, en juillet 2021, l’arrivée de leur second : «Dix petits doigts, dix petits orteils. Avec amour et grâce, notre famille s'agrandit. Cette âme précieuse que Dieu a décidé de nous donner. Nous sommes tous impatients de te rencontrer !», écrivait-elle sur les réseaux sociaux. 

Après avoir saisi la Cour européenne le 18 février 2021, Caster Semenya a partiellement eu gain de cause en juillet 2023, suite à son recours déposé contre la Suisse. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a en effet confirmé que la sportive avait été victime de discrimination par la justice helvète en 2020. Une première victoire qui sonne comme le début d’un renouveau pour elle. Interrogée par BFM TV sur sa lutte pour faire valoir ses droits, la mère de famille avait déclaré, alors toute confiante : «Tu n'es jamais fatigué quand tu te bats pour la vérité. Je suis heureuse, j'aime ma vie et je n'ai besoin de la validation de personne pour la mener. À ces questions je réponds toujours la même chose : Je suis Caster Semenya, je suis une femme, je suis rapide et incroyable. Je ne serai jamais fatiguée d'être moi-même. Le jour où j'arrêterai de me battre, c'est que je serai dans une tombe». 

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