Adios "La Casa de Papel" : clap de fin pour une série qu'on ne regrettera pas
Le critique doit (parfois) reconnaître qu’il n’y comprend tripette. À cette aune, « La Casa de Papel » est certainement le plus grand trou noir éditorial de l’histoire du journalisme sériel. Pourquoi un thriller espagnol moyen, s’étant planté dans son pays et diffusé par Netflix sans promotion, est-il devenu le troisième plus grand succès de l’histoire de la plateforme ? Pourquoi son discours anticapitaliste a-t-il rencontré un tel écho à New York, Ryad, La Paz ou Villefranche-de-Rouergue ? Pourquoi des fans ont-ils fini par se tatouer les visages des héros sur les cuisses ? Pourquoi des migrants ont-ils débarqué à Lampedusa en chantant Bella Ciao, l’hymne de la série ? Et pourquoi ce chant ouvriériste italien est-il devenu, bien loin de son contexte d’origine, un improbable tube planétaire ?
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Rappelons que durant les cinq saisons de la Casa, ses Ibères qui galèrent s’attaquent à la Fabrique nationale de la monnaie et du timbre puis à la Banque d’Espagne. L’idée est d’abord de voler l’argent des puissants – sans dépouiller les pauvres – en imprimant des billets qui n’existent pas encore. Est-ce cela qui aurait excité les foules ? Des dizaines de millions de spectateurs sur leur canapé en auraient à ce point marre de nos sociétés si marchandes et de nos gouvernants si cupides ?
La théorie tient d’autant moins bien la route que ce PSI (Phénomène Sériel Inexpliqué) a plu à tout le monde : patrons, cadres, cols bleus, cols blancs, cocos, fachos… Et c’est peut-être ça la formule magique. La société du spectacle a compris depuis longtemps que, plutôt que combattre les idées séditieuses, il valait mieux les récupérer et les noyer dans la grande mélasse molle du divertissement lucratif. De telle manière que le téléspectateur s’endorme heureux, avec la conviction rassurante d’avoir le cœur bien à gauche (ouf !), voire d’être un gauchiste potentiellement dangereux craint des hautes sphères. Mais ça n’est qu’une hypothèse.
Impasse narrativePourtant, sans être une bouse absolue, « La Casa de Papel » ne casse pas d’autres briques que celle de sa salle des coffres. Le jeu des comédiens est outré et pénible, la mise en scène industrielle, les histoires d’amour faisandées et le bon pitch de base débouche vite sur une impasse narrative (Arriveront-ils à s’échapper ? Arriveront-ils à s’échapper… Arriveront-ils à s’échapper… Répétez quarante fois et revenez nous voir dans quatre ans…).
La bande-annonce de La casa de papel, partie V volume II :
En réalité, ce PSI est peut-être (comme tout carton) simplement arrivé au bon endroit au bon moment. À savoir sur Netflix en 2019, en pleine montée, dans l’Europe du Sud, des partis anti-systèmes et d’une remise en cause mondiale des élites. Avec, cerise sur la tortilla, un bon gros parfum d’anti-mondialisation anglophone. Et une faculté assez putassière à coller à son temps, comme quand Agata (dite Nairobi) crie « Que le matriarcat commence ! » après avoir assommé Andrès (dit Berlin).
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Le plus malin dans cette histoire est finalement le créateur du format. Il a compris que, lors d’un braquage, le plus important est de se retirer à temps, et aurait choisi lui-même d’arrêter les frais. « « Nous avons épuisé certains des arcs émotionnels des personnages et leurs arcs de transformation, a expliqué Álex Pina, à qui on ne fera vraiment pas dire le contraire. Nous en avons dit beaucoup et je pense que c’est le bon moment pour arrêter. Il est toujours préférable de partir le plus tôt possible… » Comme dit-on « lucidité » en espagnol ?