L'élargissement des Brics, un défi pour les pays occidentaux
L'avenir dira si c'est un tournant historique. D'ores et déjà, près de 22 ans après leur création, les Brics franchissent une étape historique en passant de 5 à 11 membres, avec l'arrivée officielle à partir du 1er janvier 2024 de l'Arabie saoudite, de l'Egypte, des Emirats arabes unis, de l'Iran, de l'Argentine et de l'Ethiopie. C'est une victoire pour Pékin et Moscou qui plaidaient en faveur de cet élargissement face aux trois autres membres, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud. Les pays émergents savent désormais qu'ils peuvent se tourner vers une institution autre que la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international (FMI) pour financer leur développement.
Si durant le Sommet, plusieurs voix ont répété qu'il ne s'agissait pas d'entrer en confrontation avec les pays occidentaux du G7, nombre d'émergents souhaitant garder leurs relations privilégiées avec les Etats-Unis, à l'instar de l'Inde, les Brics veulent réaffirmer leur indépendance et peser sur la scène internationale. « Les pays des Brics doivent porter le véritable multilatéralisme, préserver le système international centré sur l'Onu, soutenir et renforcer le système commercial multilatéral centré sur l'OMC, et s'opposer à la création de « petits cercles » et de « blocs exclusifs » », a expliqué le président de la Chine, Xi Jinping, lors de son discours jeudi.
Surtout, cet élargissement s'inscrit dans l'évolution de l'organisation de l'économie mondiale, qui a vu la montée en puissance de la Chine sur la scène internationale durant les deux décennies de « mondialisation heureuse » fondée sur la libéralisation des échanges commerciaux depuis le début du 21e siècle.
Fragmentation du mondeMais cette séquence est bien terminée. Elle avait été déjà remise en cause par le retour du protectionnisme prôné par Donald Trump lors de sa présidence et la guerre commerciale déclenchée avec la Chine. La pandémie du Covid-19 avait ensuite redonné des couleurs aux tenants du souverainisme en exhibant la dépendance des pays occidentaux aux chaînes d'approvisionnement des pays émergents. Enfin, les sanctions occidentales imposées à la Russie dans sa guerre menée contre l'Ukraine ont accru la méfiance des émergents à l'égard de l'Occident. Face à cette fragmentation, le monde est donc en train de se reconstituer en deux blocs: celui des Brics et celui du G7.
Et la dynamique est du côté des Brics. Dans les prochains mois, d'autres candidats vont intégrer la coalition : l'Indonésie, la Thaïlande, le Vietnam, Cuba et le Venezuela, tous les deux soumis à des sanctions des Etats-Unis, et le Nigéria, convaincus que le principe de la souveraineté des pays et le rejet des ingérences étrangères doivent être appliqués. « Les règles internationales doivent être élaborées et préservées par tous sur la base des buts et principes de la Charte des Nations Unies, mais non être dictées par ceux qui ont les muscles les plus puissants ou la voix la plus forte. Encore moins faut-il monter des groupes exclusifs et déguiser les « règles domestiques » en règles internationales », a critiqué Xi Jinping dans une allusion à peine voilée à la politique internationale des Etats-Unis.
Intérêts économiquesAu-delà des aspects géopolitiques, ce sont les échanges commerciaux et le développement des infrastructures et des chaînes de valeur qui intéressent aussi nombre de pays. L'Argentine, deuxième économie de l'Amérique du Sud derrière le Brésil, incapable de s'extraire d'une crise économique persistante et d'une inflation record, est un pays exportateur mondial de produits agricoles, comme le soja, les céréales, mais aussi de viande. Depuis plusieurs mois, le pays accueille d'importants investissements pour développer son potentiel minier, notamment le lithium, un métal stratégique dont la demande mondiale explose car nécessaire à la production de batteries pour véhicules électriques.
L'Ethiopie, seul pays de l'Afrique figurant dans les nouveaux entrants, connaît une dynamique économique qui devrait le propulser de 7e économie du continent en 2022 au 4e rang en 2026, selon les prévisions du Fonds monétaire internationale (FMI). Mais sa croissance reste fragile, car en large part basée sur son secteur agricole, et le pays doit investir dans de nombreux projets de développement.
L'entrée en force du Proche et Moyen OrientMais c'est surtout l'entrée en force des pays du Proche et du Moyen Orient, avec des producteurs de pétrole et de gaz de rang mondial comme l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, et l'Iran qui montre l'enjeu énergétique au sein des Brics. L'Iran, soumis à des sanctions des Etats-Unis en raison de son programme nucléaire militaire qui l'étouffe économiquement, pourrait retrouver via les Brics des débouchés pour sa production pétrolière et gazière. .
« La Chine et l'Inde, membres des Brics, sont déjà les principaux importateurs de brut des pays du Golfe, et également les principaux partenaires commerciaux de l'Arabie saoudite et des pays du Golfe. Rejoindre les Brics renforcera la coopération économique entre le Royaume et les pays membres, et contribuera à la croissance de l'économie saoudienne dans l'avenir », indiquait en juillet les Brics dans un communiqué.
Depuis plusieurs mois, les ventes de pétrole saoudien à la Chine sont libellées libellées en yuan. Et l'entrée de l'Arabie saoudite, qui dispose d'un fonds souverain, le Public Investment Fund (PIF), gérant 750 milliards de dollars d'actifs, est en effet plus qu'un symbole. Avec la montée en puissance de l'homme fort du royaume, le prince héritier Mohammed ben Salman, le premier exportateur mondial de pétrole, a ces dernières années multiplié les prises de distance à l'égard des Etats-Unis, mettant à mal une relation historique. En choisissant d'intégrer les Brics, Riyad a clairement choisi dans quel camp il situait son avenir.
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